Une bonne résolution
Quelle nuit étrange ! J’ouvre les yeux en me demandant si je vais réussir à faire le tri parmi toutes ces images qui tournent dans ma tête. Voyons… Entre le fils du Père Noël et Laurent l’infirmier, je pense être certaine de celui qui est vraiment entré dans mon appartement hier soir. Après, j’avoue avoir quelques doutes. Laurent était-il bien torse nu et entouré d’une guirlande lumineuse ? Comme cadeau de Noël, j’avoue que cela me conviendrait complètement, mais l’image me semble un peu improbable. D’un autre côté, il y a encore moins de chance que nous soyons allés faire du patin à glace…
Je soupire en me redressant, fustigeant ce cerveau incapable de se rappeler ce qu’il s’est vraiment passé cette nuit. Bon, inutile de me torturer : Laurent n’était que de passage dans ma vie.
Je me lève, encore un peu chancelante, et déboule dans mon salon. J’ai besoin d’une douche et d’un café. Tous les deux bien chauds. Cependant, je me fige à côté de mon canapé. Visiblement, le passage n’était pas si éphémère que cela car là, profondément endormis sur mon canapé, je découvre Laurent et Melchior. Ce traître de greffier dort contre le bel infirmier, blotti le long de son flanc, sous son bras replié, et pour un peu je l’entendrais ronronner de plaisir. Même mon chat est plus doué que moi pour finir entre les bras d’un beau mec. Salopard ! J’ai envie de le prendre par la peau du cou pour le virer de là, mais je m’abstiens : Laurent dort du sommeil du juste et je m’en voudrais de le réveiller. Surtout que cela mettrait fin à cette petite séance contemplative bien agréable. Son tee-shirt est remonté jusqu’à sa taille, dévoilant une peau brune aux muscles saillants. Sa ceinture de jean est ouverte, ainsi que les deux premiers boutons. Il porte un caleçon rouge et blanc. Normal pour le fils du Père Noël… Je me passe la langue sur les lèvres, en proie à une soudaine chaleur en imaginant ce qu’il a peut-être fait sur mon canapé hier soir pendant que je dormais dans la pièce d’à côté. Je déglutis et me secoue. C’est d’une douche froide dont j’ai besoin maintenant !
Je tourne les talons et le verrou de ma salle de bain. J’ai chaud mais je sais que la fièvre n’y est pour rien. Ce type me retourne le ventre : je n’ai jamais ressenti un truc pareil juste en regardant un mec, fût-il canon. J’ouvre le robinet de la douche et me déshabille. L’eau tiède (oui, quand même, je sors d’une bonne grippe !) m’apaise. Je prends mon temps pour ôter toute trace de vilains microbes qui séjourneraient encore sur ma peau. L’espace d’un instant, j’oublie la présence de Laurent chez moi.
Mais ce moment ne dure pas car, à peine ressortie de la salle de bain et enveloppée dans deux larges serviettes, je croise le regard gris de l’infirmier. Il est dans la cuisine, devant la cafetière qui diffuse des arômes prometteurs et une poêle remplie de pain perdu. Je lui souris, un peu timidement, pas très à l’aise de me retrouver en serviette devant lui. Il ne semble pas se rendre compte de mon trouble.
– Bien dormie ?
– Oui. Je me sens beaucoup mieux ce matin.
– Cela se voit, fit-il en retournant un morceau de pain caramélisé. Un petit déjeuner, ça vous dit ?
– Oui !
– Alors, à table.
Je me change rapidement, enfilant un large tee-shirt et un legging, et on s’installe tous les deux autour de la table basse. Melchior s’étire et nous regarde manger avec envie. Du bout de la patte, il touche délicatement l’épaule de Laurent qui se tourne vers lui.
– Tu ne manques pas de culot, mon bonhomme. Tu me griffes quand je te sauve la vie et il faudrait que je partage mon repas avec toi ?
Melchior ouvre de grands yeux tristes et émet un miaulement pitoyable. Là, tout de suite, j’ai honte de mon chat. Mais Laurent ne se formalise pas de son attitude et lui tend un morceau de pain imbibé de lait. Le félin ne se fait pas prier pour engloutir cette bouchée inespérée. Je sursaute quand la main de Laurent se pose sur la mienne. Nos regards s’accrochent. Je tente de ne pas avoir l’air d’une biche aux abois mais d’une femme fatale, ce qui doit donner un résultat peu convaincant. Mais son geste est purement professionnel, je me suis une nouvelle fois méprise. Ses doigts ont glissé sous mon poignet, là où bat mon cœur, bien trop rapidement.
– Ce n’était sans doute pas la grippe, dit-il en me lâchant. Vous ne seriez pas déjà sur pieds. Et finalement c’est une bonne nouvelle : vous n’avez plus besoin de garde-malade. Cela va rassurer votre grand-mère.
Quelque chose se déchire derrière mon sternum, sans un bruit, le temps d’une respiration. Je me maîtrise. J’ai l’habitude qu’on me balance des saloperies à la tête. Je fais toujours comme si ce n’était pas grave, comme si cela ne m’atteignait pas. Parfois c’est vrai. D’autres fois, non. Mais le plus dur, en cet instant, c’est qu’il n’a pas conscience du mal qu’il vient de me faire. Du coup, je ne peux même pas lui en vouloir ce qui, étonnamment, m’attache encore un peu plus à lui. Merde. Un sourire. Une bouchée de pain perdu pour masquer la moue de tristesse qui s’empare de mes lèvres. Et le temps d’avaler, ma voix est revenue. La douleur s’estompe. Elle restera, plus sourde, sans doute encore longtemps, mais je serai la seule à le savoir.
– Vous ne m’avez pas dit comment vous vous êtes lié avec ma grand-mère, lui dis-je.
– Qui vous dit que nous sommes liés ?
– Tssss, c’est moi qui pose les questions ! Et je connais suffisamment ma grand-mère pour savoir qu’elle n’aurait pas envoyé chez moi quelqu’un en qui elle n’aurait pas eu une totale confiance.
Il rougit ? C’est mignon. Son regard s’adoucit alors qu’il cherche ses mots sur le mur derrière moi.
– En fait, cela fait un peu plus de deux ans que je fais les remplacements des infirmières habituelles de votre grand-mère. Pas facile à apprivoiser, votre aïeule, mais on a fini par se découvrir une passion commune qui a scellé notre amitié.
– Ah oui ? Laquelle ?
Je regrette aussitôt ma spontanéité qui m’attire son regard envoûtant. Je le soutiens bravement, tentant de faire comme si de rien n’était alors que mon bas ventre diffuse d’agréables picotements.
– La pâtisserie.
Je savais qu’il cuisinait !
– Mamy adore cuisiner ! Elle pâtissait beaucoup quand j’étais petite, mais avec l’âge c’est devenu trop difficile pour elle de rester longtemps debout. Il y avait une recette pour laquelle elle avait gagné un prix quand elle était plus jeune.
– Oui, l a tarte tatin.
– Oh ! Elle t’a raconté ça ?
Il me fixe. Un ange passe, dirait ma grand-mère. Je retiens mon souffle. Je l’ai tutoyé ! Oh, punaise ! Vite, machine arrière toute ! Je lève les mains en signe d’excuses.
– Je suis déso…
– Ce n’est pas grave, ne t’inquiète pas.
C’est moi ou quelqu’un a installé une cheminée chez moi durant la nuit ? Et c’est moi la bûche qui doit être en train de brûler au milieu… Infirmier, fils du Père Noël, pompier : je suis sûre que tous ces costumes lui iraient comme un gant… Oh ! Ressaisis-toi ! Arrête de le regarder. Bouge !
Je bondis sur mes pieds, aussi vite que mon corps me le permet ce qui, une nouvelle fois, ne doit pas renvoyer exactement l’image que je souhaiterais. J’attrape nos tasses de café vides, les couverts sales, et file vers la cuisine sous le regard de Laurent qui n’a rien dit de plus. Je constate qu’il se lève à son tour pour débarrasser. Dans quelques minutes, il sera parti. Douche froide. Ma température corporelle redescend sans prévenir. Je m’appuie sur mon plan de travail pour maîtriser les montagnes russes de mes émotions. Je respire. Laurent est à côté de moi en train de mettre les assiettes dans le lave-vaisselle. Je m’éloigne un peu, c’est plus prudent. Mais je ne peux m’empêcher de lui jeter un regard torve, un dernier coup d’œil sur le plus beau mec que mon appartement ne verra jamais passer. Dommage que ma chambre elle… Oh, putain, ta gueule ! Je plaque un sourire avenant sur mes lèvres, le genre de sourire qui annonce la fin d’un entretien.
– Bon…
Voilà, voilà… Je suis explicite, non ? Il me fait face et m’observe. Cela manque de me remettre dans tous mes états mais je tiens bon. Allez, je vais lui dire que je souhaite me reposer un peu et hop, je le mets à la porte. Inutile de me faire plus de mal que ça.
– Je vais pouvoir dire à ta grand-mère que tu vas beaucoup mieux. J’ai été ravi de te rencontrer, Amélie.
Mon cœur se liquéfie dans ma poitrine mais je ne montre rien.
– Moi aussi.
Je ne dis pas son prénom. Impossible. Il me brûlerait les lèvres, j’en suis sûre. Je le conserve précieusement pour le murmurer contre mon oreiller lors de mes futures nuits d’insomnie. Il fait un pas vers moi et pose la main sur mon épaule. Elle diffuse sa chaleur à travers mon tee-shirt et je maîtrise mal un soupir.
– Prends soin de toi.
– Ça fait partie de mes bonnes résolutions pour l’année à venir, dis-je rapidement en me libérant de son emprise pour retourner vers le salon.
– Vraiment ? Pourtant, je ne crois pas l’avoir lue celle-là…
Il prend un air mi-songeur mi-moqueur et je mets quelques instants à comprendre. Puis je lance un regard affolé vers mon plan de travail : où est passée ma liste à la con ? Je vois le papier plié et rangé entre le sel et le poivre. Il l’a lue. C’est sûr ! Oh, la honte ! J’ouvre la bouche pour répliquer mais il fait un pas vers moi et sa proximité m’empêche de parler. L’odeur de sa peau emplit mes narines et j’arrête de respirer, comme pour conserver ces atomes de lui à l’intérieur de moi. Son souffle caresse mon cou et je peine à garder les yeux ouverts. Je me sens faible, entièrement à sa merci, et pour la première fois de ma vie cela ne m’effraie pas.
– Je suis tout à fait prêt à t’aider à tenir toutes tes bonnes résolutions, si tu le souhaites, reprend-il d’une voix douce.
Mon cœur s’affole. Ses lèvres ne sont qu’à quelques centimètres des miennes. Je n’arrive pas à y croire. Je n’ose pas lui répondre : je serais bien capable de commettre une maladresse et faire voler cet instant en éclats. Mais je sens qu’il attend mon consentement pour lever les derniers doutes qui l’habitent peut-être. Comment peut-il imaginer que je pourrais le repousser alors que tout mon corps tremble d’impatience de le sentir contre moi ? Vite, réfléchir si j’en suis encore capable et…
– C’est vrai que les résolutions c’est plus facile à tenir à deux, fais-je dans un murmure.
Sa bouche se pose sur la mienne. Je le pensais hésitant mais il est conquérant et n’a pas à mener une longue bataille pour que je lui rende son baiser. Nos souffles se mêlent, rapides, chauds d’une promesse qui sera tenue. Mes mains se glissent sous son tee-shirt à la recherche d’un contact plus intime. Je crois que je gémis quand sa bouche descend le long de mon cou puis remonte vers mon oreille.
– D’un autre côté, fait-il d’une voix rauque, il a été démontré qu’une activité sexuelle régulière permet de rester en meilleure santé.
Qu’est-ce que vous voulez que je réplique à ça ? C’est lui le professionnel de santé, après tout… Et ses mains qui glissent le long de mon dos, et s’emparent de mes fesses pour me poser délicatement sur le plan de travail me font comprendre que l’auscultation sera menée avec une grande rigueur…
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