Chapitre 10
La froideur des dalles traversera le pantalon de Kita pour anesthésier ses genoux à vif, roides depuis ce matin. Elle priait depuis l’aube chacun des Dieux. A Ombala, la déesse mère, elle adressa ses remerciements. A sa fille, le cœur de protection, à son frère, la réussite. A Indaldra, elle quémanda la douceur de vieillir. A toutes les statues présentes dans le temple, une histoire. La cavalière suppliait Khéor, le dieu à la mâchoire dénudée de peau et de muscles de l’oublier. Elle ne souhaitait pas rejoindre le Royaume Blanc, le pays des âmes en perdition. A Khispakas, veiller sur ses animaux, à Isthiliel, renforcer les souvenirs de son frère.
—Je demande la bénédiction de Falkian, clôt-elle ainsi ses prières.
Que d’histoires régnaient en ces lieux ! Les cieux étaient-ils assez vastes pour les accueillir tous ? Ses dieux à elles, les dieux de la glace, les esprits malins des peuples Natures ? Les mains jointes de Kita se pressèrent contre son cœur, selon le rituel de purification.
—Lève-toi, ordonna la prêtresse, une rousse marquée au fer.
Une ancienne esclave qui trouva la paix et refuge auprès d’eux. Puisse Logaï, dieu des chemins spirituels la bénir. Une brise fraîche caressa ses jambes lorsqu’elle se dévêtit. La rouquine, de l’encens entre ses mains, l’intima de la suive.
—Abandonne tes erreurs passées. Suis la voie des Dieux.
Enveloppées dans sa robe ou ne dépassait que des bras et pieds nus, aucun bijou n’ornait son corps. Vierge de toute tentation.
—Déshabille-toi.
Kita dénoua les lacets qui retenaient son pantalon sur les hanches, ôta sa tunique pour se dévoiler dans le temple aussi que le jour de sa naissance.
—Laisse-les ici. Ils seront purifiés.
La prêtresse approcha la coupole de son visage, exhalant une douce vapeur. Elle psalmodia dans l’ancien langage une prière destinée à la pardonner de ses actes, implorait les Dieux d’être bons et de lui accorder une chance nouvelle. Chance qu’elle venait quérir une fois par semaine sinon plus.
De hautes statues de leurs souveraines se dressaient contre les voutes. Représentés dans leurs plus beaux atours, fiers et beaux, Kita se sentit soudain misérables sous leurs regards de marbre inexpressif. Installer des statues à l’effigie de tous les dieux demanda de la ressource. Ils étaient plus d’une centaine et la salle s’étira douze douzaines de pieds de long. A leurs pieds : un bassin empli de leurs larmes.
Malgré sa nudité, Kita ne frissonna pas. Les eaux se voulaient brûlantes pour effacer les martyrs.
—A qui souhaites-tu rendre hommage ?
—A Enkishim.
Le temple se vouait aux pêcheurs, aux repentis. Entièrement colorée d’or, la couleur de l’espoir, de la Mère. Les statues immenses la jugeaient de leur trente mètre. En tendant les bras, étirant son corps, elle ne parvenait qu’à toucher l’ongle de leurs pieds. Si jamais il lui prenait l’envie, elle devait châtier cette faiblesse humaine par dix coups de fouet. La nature fleurissante accompagnait les fervents dans leur soif de pardon. Une jungle luxuriante, de terre, d’arbrisseaux, de rivière creusée dans les dalles dorés, la forêt du dieu qui avait perdu sa forme humaine en sacrifice. Un exemple pour tous les pêcheurs.
Kita se dirigea vers son bassin, sans se préoccuper des feuilles qui dissimulerait sa nudité aux yeux des mâles. Sous leurs vêtements, les dieux eux-mêmes leur ressemblaient. Non, nous ressemblons aux dieux. Nous sommes la quatrième chair de leur chair. Oui, la quatrième, la meilleure mais non la plus parfaite. Les hommes ne pouvaient l’être.
Les mâles se contentaient de recevoir sur leur crâne, leur torse, l’eau de la résurrection. Paupières fermées, lèvres agitées des soubresauts de la prière, ils ne remarquaient pas une pècheresse de plus.
—Enkishim, la prévint la prêtresse.
Dieu du courage et de l’honneur, il la jugea d’un regard rendu austère par le marbre. A ses pieds, un bassin d’eau fumante qui brûlerait sa peau. Elle s’immergea. D’abord, la cheville, la jambe, la taille, enfin les épaules. Seule la tête demeurait en dehors, à contempler le dieu qui par la ruse réussit à domestiquer le serpent. Ce dernier s’enroulait autour de sa jambe pour reposer son crâne sur les plis du genou. La chaleur l’électrisa. L’esclave la pressa de s’agenouiller près du bord pour la rincer. Les mains jointes sur son front, elle supporta la torture des eaux chaudes qui léchaient la base de son cou. Seules les prières l’aideraient à supporter la souffrance qui irradiait dans son être. L’ancienne esclave pressa ses doigts sur ses tempes, indiqua de renverser la tête, de fixer le visage du dieu afin de laver son opprobre. Enkishim devait lire son âme pour lui pardonner et seul les yeux, unique fente qui possédait la carapace du corps humain. La prêtresse versa de l’eau glacée sur son visage. Kita ne put retenir un frémissement malgré les vapeurs qui se pressaient aussitôt pour essuyer son front.
—Votre bras. Vos cheveux.
Elle désignait les parties qu’elle purifiait et Kita s’inclina à sa demande, perdue dans ses pensées, pensées que sondèrent Enkishim.
—Donnez-moi l’opportunité d’être brave, pria-t-elle. Pardonnez mes erreurs et je viens à vous lavée de mes offenses.
Prier. Ce mot, elle le connaissait pour l’avoir prononcéé maintes et maintes fois. Ce mot qui promettait un refuge rien qu’en le prononçant. Refuge de l’âme, refuge du cœur. L’eau berçait son esprit, l’apaisait. Les mains de la prêtresse volaient sur sa peau, léger nuage de papillons. Soudain, l’éclat de l’acier la tira de sa rêverie. Vive, la rousse caressa sa cuisse de sa lame. Kita accusa le coup, retenant derrière sa bouche un juron. Le bassin se tinta de pourpre.
—Le prix du sang pour la purification
—Je sais, grommela la cavalière.
La plaie béait, lèvres ouvertes, dévoilant une bouche gluante. La lame s’était enfoncée profondément sous la surface, suffisamment pour que la crainte de mouvoir sa jambe l’étreigne. Elle esquissa un mouvement pour sortir du bassin. La femme la retint, une main barrant sur sa poitrine.
—Pas encore.
—Je dois voler aujourd’hui, protesta-t-elle. Ma jambe.
—Qu’est-ce qui est plus important à tes yeux, cingla-t-elle. Les dieux ou un concours conçu par des humains pour des humains ?
—Les Dieux l’ont voulu.
Elle lui offrit le sourire d’une mère à son enfant.
—Vous croyez que les Dieux souhaitent quelque chose car vous l’avez vu en rêve mais ce ne sont que des désirs humains.
—Pas des humains, des sorcières.
—Des ensorceleuses, autant dire des bouffons des Rois.
—Que faire pour se protéger du mal dans ce cas ?
—Prier. Et se purifier.
Kita se tut et la prêtresse se garda bien d’engager la conversation. Un fois la plaie soignée à même le bassin, elle ordonna à la jeune femme de remercier Enkishim de sa bénédiction, de la suivre à nouveau. Quelques gouttes de sang s’échappèrent des sutures pour glisser le long de sa cuisse, de sa jambe, de ses pieds et laisser des traces rouges de son passage.
Encore une fois, elle dut s’imposer cette marche sans la moindre serviette pour la vêtir mais personne ne prêtait attention à sa nudité. Le temple n’est pas une maison de plaisir. Plus concentrée sur leur propre personne que sur leur voisin… Voilà qui lui plaisait.
Kita, les bras croisés sur sa poitrine en signe de prière observa discrètement les prêtres. On racontait bien des choses sur eux et une seule vérité fondée : la diversité de leurs origines. Comment ils réussissaient à s’enroler dans cette voie, mystère. Leur rôle dans ce temple : aucun hormis celui de l’habiter. Nettoyer, prier, partager les bains avec des étrangers, les laver, les purifier… Ce que chaque maître offrait dans sa demeure. Vénérés et haïs, il conservaient une place en dehors de la société. Marquée des dieux par leurs imperfections, ils étaient intouchables. Les plus téméraires les affublaient « d’amants des dieux ». Chaque nuit, Ils troquaient leurs formes divines contre humaine pour assouvir leur soif de chair.
Kita méprisait ces rumeurs. Des dieux bons et justes ne joueraient pas ainsi avec leurs création. Mystérieux, certes, mais surtout des âmes brisées. Eunuques, violées, battues, homosexuels… Le temple n’était pas leur demeure mais leur dernier espoir. Dans leur vie antérieure, ils trouvèrent le courage de fuir, de voir au-delà des châtiments promis par leur maître. Qui d’autres pour alimenter les rêves de promesses de paix que les dieux eux-mêmes ?
La cavalière retrouva ses vêtements pliés, secs et parfumer à la fleur d’oranger.
—Eloignez-vous du mal.
Coutume d’usage, la pretresse pressa sa paume sur son front.
—Comment le reconnaitre ?
—Suivez-votre âme et non votre cœur. L’esprit est la voix des Dieux, le cœur, la faiblesse humaine.
—J’ai peur de ne pas avoir la force.
—Chacun a assez de force pour la reconnaitre. Ce qui détermine qui tu es est la réponse à la réponse à la question : que vas-tu faire ?
—Je m’en souviendrai, répondit-elle docilement.
Mais elle ignorait que faire ensuite.
—Qui a scellé Sapin ?
Elle ne s’attendait pas à cette surprise. Un incompétent l’avait préparé à sa place et ornée d’une selle. Une selle ! Fulminait-elle. Qui, par Khéor, ignorait qu’elle chevauchait à crue ? Acclamée par son audace, criée pour son imbécilité, élevée au rang de championne favorite et un stupide palefrenier osait oublier ce détail. Pire encore, la desseller la maitrait en retard. Rien de pire que l’élimination pour non respect des Juges à cause d’un apprenti. La dresseuse s’attela à la tâche en maudissant l’écervelée et un, deux jurons se perdirent dans son monologue d’accusation. Les cordes du premier nœud retombèrent mollement sur le sol. Plus que deux, se convint-elle. Ses doigts s’empêtraient, gourds et maladroits dans les cordages. L’idée d’un poignard aiguisé la tenaillait mais le visage furibond de son père, écarlate de colère, la lippe tremblante la contraignait à y renoncer. Envolés les doutes quant au serpent, les problèmes de l’écurie l’assaillirent si bien que même les marques la surplombant le gênaient nullement. Le dernier résistait encore lorsque ses coéquipiers l’abandonnèrent. Personne ne vint lui prêter main-forte, à peine la tolérait-il.
Elle survolait les échelons, de gueuse à cavalière en quelques semaines quand d’autres accumulaient dettes et années pour obtenir ce qui lui revenait de droit. Kita refusa de s’enliser davantage, enjamba la portière à la recherche d’un couteau, une épée, un objet coupant. La jeune femme fouilla les remises, les ateliers, dénicha quantités d’objets inutiles, rien d’intéressant. Elle cracha une insulte. Les secondes défilaient, s’entrechoquaient et pis que tout : l’appelait.
Un coup monté. Quelqu’un m’en veut. Maketa. Les pensées s’assemblaient jusqu’à former une image. Le palefrenier lui en voulait de l’avoir congédié, alors il cherchait à se venger en sabotant son unique chance de s’arracher à cette vie oisive. Maudit, soit-il, le scélérat ! Par bonheur pour lui, il se trouvait autre part. N’importe… sauf ici.
Après quelques minutes d’effort, de grognements et de gouttes de sueurs, elle dessella l’assise. Prestement, elle engagea Sapin dans la voie des airs, espéra rattraper son retard. J’espère le voir, espéra Kita, pour lui faire gober ses yeux et ses coudre ses dents dans ses orbites creuses.
A peine Sapin amorçait-elle la chute que la cavalière sauta de sa monture. Tout un groupe s’écartait devant la dorakkar craignant de se faire piétiner. Précaution injustifiée. Contrairement aux énormes bêtes cuirassées, les animaux volants n’appréciaient guère marcher dans la bourbe. Car la consistance de la chair humaine équivalait la terre mouillée. Pour preuve : l’écart qui s’imposait le dragon avec les petites gens. Où en sont-ils ? S’angoissa Kita.
Elle ne vit rien, pas même en renversant la tête en arrière, en exposant ses rétines à la boule de feu qui éclaircissait le ciel. Aucune silhouette de dorakkar, l’ombre tremblotante d’un cavalier. Kita insista, écarta la foule de ses bras, se fraya un passage.
—Où sont-ils ? Apostropha-t-elle aveuglément.
—Qui ça ?
—Les cavaliers, imbécile.
Etaient-ils tous aussi stupide dans cette maudite cité ?
—Sont-déjà partis.
—Où ?
—Vers la carrière.
Par la Déesse. Cela s’annonçait de mal en pis. Son cœur, terrorisé, l’assourdissait. Qu’avaient-ils tous à se presser aujourd’hui ? Guettaient-ils un signe des Dieux dans ce ciel voilé de nuages ? Elle ne pouvait plus enfourcher Sapin : approcher du lieu du concours en volant perturberait les autres animaux et de favorite, Kita dégringolerait à tricheuse. Elle n’avait d’autre choix qu’espérer que sa dorakkar veuille bien la suivre dans cette mer de gueux. D’empathie ou d’une fine intelligence, nul le sait, Sapin emboîtait le pas à sa maîtresse, dodelinant son large corps, sa queue torse raclant le sol sous les regards perplexes des Breilliens.
La jeune femme déboucha enfin sur la dite carrière et l’horreur la transit. Un frisson s’emparait de ses membres, son cœur eut un dernier battement sonore avant de mourir. Un dragon déployait ses six ailes. Une seconde s’écoula et le rêve de Kita éclata en morceaux. Mieux qu’un tambour, cymbale ou quelqu’autre instrument de musique, l’envolée du premier cavalier marquait la fin, le point final, de l’espérance des derniers retardataires. Dures étaient les règles et Kita l’apprit à ses cruels dépens. Eliminée. Eliminée. Eliminée. Le mot chantait sous son crâne accompagné de la douce musique de battements d’ailes. De stupeur, elle s’immobilisa, les yeux rivés vers l’animal progressant dans le ciel gris. Un frisson froid de désespoir la saisit. Elle souhaitait que la terre se déchirer en deux pour l’avaler, fondre en larmes mais elle restait dressée là à bailler aux corneilles.
Son père, lui ne manqua pas de saisir l’occasion. Le plat de sa paume rencontra la base de son crâne et si elle ne put voir sa peau rougir, elle sentir l’impact sous des centaines d’yeux curieux.
—Je t’ai demandé une seule chose, siffla-t-il. Gagner et tu te permets d’arriver en retard. Jamais je n’aurai dû baiser ta mère pour te concevoir.
Humiliée telle une enfant, Kita reporta son attention sur son géniteur. Pouvait-elle l’appeler par un autre nom après son aveu ? Le peu d’affection qu’elle conservait pour son père s’estompait. Ne restait pour lui qu’un semblant d’amour intéressé. Intéressé par l’argent. Kita se fichait pas mal des ragots qui courraient sur son compte tant qu’ils lui offraient cette célébrité nécessaire à son entreprise.
Le cœur gorgé de haine, elle s’installa près des autres cavaliers. L’ire l’envahir toute entière, défigura son visage d’une grimace, tirant sur sa cicatrice. Son œil valide flamboyait de colère. Ses talons frappèrent le sol avec hardiesse et entre ses poings serrés, elle rêvait d’écarteler son maître de père. Mais dans ses paumes, rien que le vide. D’un geste, elle ordonna à Sapin de la suivre pour s’installer à l’écart. L’enflure, bouillait-elle en s’arquant sur le sol. Un jour, un jour, un jour, il me le payera, se promit-elle. Dans une heure, un mois, un an, une décennie. Elle attendrait, ombre parmi les ombres. Reines des rats, des larves et autres créatures de basses extractions, patienterait.
Tandis qu’elle ruminait des promesses de vengeance, des voix s’élevèrent. Non pas des cris d’encouragements mais des piaillements. En suivant leur index tendu, la cavalière découvrit un dorakkar suspendu au-dessus du vide, battant furieusement des ailes pour conserver sa position. Le cavalier se pencha pour dénouer les lacets qui plaquaient ses jambes au centre contre les flancs de l’animal. D’un mouvement de balancier, il se glissa sur quelques branches de sapins touffus. D’un large geste agacé, il chassa sa monture dont la queue fouetta le tronc. Si l’arbre oscilla légèrement, l’homme se redressa, bras tendus, flagellants sur ses jambes maigres. Kita espionna ses anciens concurrents du coin de l’œil. Tous fixaient la scène, médusés et jouissant du spectacle. Quelque chose clochait. De sa position maladroite ou de son instinct, elle ne saurait le dire. Ce qui était dur : ce numéro ne rentrait pas dans l’optique du concours. La jeune femme glissa ses jambes autour de l’encolure de sa dorakkar, se préparant à intervenir si besoin est.
—Fou, se gaussa-t-il du haut de son perchoir. On me juge de fou mais je ne le suis pas.
Le petit oiseau chantait, battait des ailes de ses longs bras. Pensait-il qu’à la chair se troquait les plumes ? Imaginait-il le vent se glisser sous les dites plumes le porter comme le portent portait l’aigle ?
—C’est Venkia qui m’habite.
Le dieu ni mort ni vivant, messager entre les humains et celui de l’au-delà. Il se matérialisait en songe, en animaux, en prophéties. Annoncer le futur n’était que la première de ses tâches.
—Regardez-moi, Dieux ! Regardez-moi ma vie. Vous réclamez la mort, vous réclamez du sang. Je vous la donne.
D’un coup de poing, Kita ordonna à sa dorakkar de s’envoler. Les pieds de l’homme quittèrent la branche, bras tendus dans le vain espoir de flotter. Sous les mines ébahis, la jeune femme d’une pression sur ses jambes, tendit son corps, se contorsionna pour rattraper celui qui désirait se sacrifier. Son cœur manqua un battement lorsque sa main se referma sur le vide. A nouveau, elle s’élança, portant son poids sur ses chevilles dont les os grincèrent dans leur cavité. Ses doigts agrippèrent le vêtement, le choc la mit au supplice. Ses muscles se raidirent, se crispèrent autour du cou de la dorakkar, comprimant sa trachée. Les ongles de la victime griffèrent sa chair, arrachant à Kita un gémissement de douleur. L’homme lui montra ses dents, ses gencives noires et lui cracha à la figure.
—Les dieux te maudissent, déclara-t-il en posant ses pieds à terre.
La jeune femme s’écroula dans la combe sablonneuse, le souffle court, l’adrénaline affluant dans ses terminaisons nerveuses. Un cri d’horreur, de douleur aussi, la contraignit à rouler sur le flanc, renverser son crâne en arrière pour découvrir l’homme qu’elle venait de sauver de la mort, empalé sur une pique taillée dans le bois qui délimitait la combe. Kita se laissa choir au sol, soudain lasse. Qui sont les plus fous ? Ceux qui se sacrifient au nom des Dieux où ceux qui tentaient de les raisonner en risquant leur propre peau ?
L’enfant de Nogaïla écarta la foule terrorisée de ses bras, contempla l’œuvre d’un œil vide avant de glisser l’index sous le menton du défunt.
—Un paria, annonça-t-il. Les Dieux ne l’ont pas choisi. Il s’est choisi lui-même. Mettez-le dans la rivière, son âme ne mérite pas de se reposer dans le paradis de la Déesse.
Son corps se flétrirait, son âme se riderait et les poissons le dévoreraient. Une mort que les Dieux refuseraient d’accueillir car si les sources de la terre, ils terminaient leur course dans le Désert Blanc, lieu maudit. L’enfant de Nogaïla se tourna vers Kita, qui malgré les courbatures conduisait Sapin à l’écurie. Son lit, où les ressorts perçaient le matelas, l’appelait.
—Tu comptais lui ôter son droit le plus naturel.
—Il voulait se suicider.
—Il devait mourir.
—Il l’est.
—Arrête-toi.
Kita stoppa sa dorakkar d’une pression sur le flanc. Saper l’autorité d’un tel personnage signait son arrêt de mort. Le prêtre la fusilla du regard, les mains croisées dans son dos. Ses lèvres serrées en une fine ligne, ses prunelles glacées et sa mâchoire carrée ne rendait sa face que plus austère.
—Tu n’es pas le destin, jeune fille. Il ne t’incombe pas de l’influencer. Tes compagnons l’avaient compris, eux.
L’humiliation de l’élimination de suffisait pas, se désola Kita. Il me reproche d’avoir essayé de sauver une vie.
—La prochaine fois, j’attendrai patiemment qu’il s’écrase, cracha-t-elle.
Tous les hommes meurent. Mieux vaut crever dans un lit étouffé par quelques os de poulet plutôt que par les siens.
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