Chapitre 27

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Chapitre 27

Le petit groupe s’enfonça dans la plaine. Les herbes craquaient sous leurs pieds mais aucun n’y prêta attention. Ils affrontaient tous leurs démons dans une bulle solitaire, hermétique. Kita elle-même retenait ses larmes. Le visage de son frère la hantait, si beau, si grave. Il dévastait le peu d’équilibre qu’elle conservait. La dresseuse secouait la tête, marchait aveuglément, tenta de se soustraire à l’emprise de Meorwen (ou des Kelpies). Par une volonté de fer, elle ravala un cri de frustration. Si elle était hébétée, elle n’osait imaginer la tempête sous le crâne de Galtriel. Affaibli et voûté, il retenait ses larmes avec peine. Ses yeux se voilaient, il titubait. Soudain, il s’effondra et entre deux sanglots, protesta :

—Je ne peux plus continuer !

Il avouait sa faiblesse. Plus que lui rappeler de mauvais souvenirs, le Kelpie dérobait sa force, son identité. L’homme-arbre n’était plus que l’ombre de lui-même. Prise au dépourvue, spectatrice d’une scène de sentiments bien trop intime, Kita se soustrayait. Elle s’éloigna de quelques pas, oppressée, incapable d’affronter l’ouragan de sentiments dévastateurs qui éclot dans l’âme et le cœur de son compagnon. Les hommes ne trouvèrent pas les mots justes pour apaiser sa souffrance ni même de gestes amicaux.

—Nous dormirons ici, ajouta Reikoo.

Kita s’infligeait souvent une telle épreuve : dans son esprit, le visage de Meorwen se matérialisait tous les jours. La jeune femme avait déjà côtoyé l’orage que traversait l’homme-arbre et elle ne s’en était pas remise. Elle s’enlisait dans cet état de souffrance permanente, avait oublié la raison et dansait au bord du précipice de la folie. Oh ! s’il elle s’en désintéressait depuis l’idée de créer un spectacle avec Maketa, le gouffre n’était jamais loin. Plus d’une fois, des idées délirantes s’invitaient dans son esprit et plusieurs fois elle jouait avant d’une brusque prise de conscience. Un jour, elle savait, elle ne reviendrait pas. Ce serait le souvenir de son défunt amant qui lap longerait. Non, la torture avait été bien longue et subtile pour lui octroyer une porte de sortie. Même dans ces hallucinations, Meorwen avait toujours été bon avec elle et cette petite voix se faisait entendre de plus en plus. Une fois, elle omettrait que ce n’était qu’une voix désincarnée et non une réelle personne.

Galtriel recula sur ses jambes, frappa la terre de son poing en gémissant des « pourquoi » tantôt furieux tantôt implorants. Il restait seul, personne n’osait s’approcher de lui. Les sanglots redoublèrent et si la douleur n’était pas sienne, Kita ressentait de la pitié pour cet homme qu’el considérait comme un roc.

La cavalière s’assit en tailleur, les pattes de son bâshki sur ses jambes.

—Aucun Kelpie n’a su t’atteindre, petit chanceux.

Il pencha la tête, interrogateur. Comme tant d’autres animaux, les mots humains lui étaient inconnus. Parfois, il comprenait ses intentions à de rares occasions, ses sentiments. Cette nuit, il quémandait des caresses. Bravant l’espace d’intimité crée autour d’eux depuis l’incident du fleuve, Arment s’assit à ses côtés. Il resta silencieux les premiers instants alors que la dresseuse gratta la joue de Tâches de Myosotis. Il la surveillait de ses perçants yeux bleus fendus.

—Vous avez l’air de bien surmonter le choc, constata le mercenaire.

Les piercings reflétaient les rayons de lune. Son visage scintillait presque. Les nuages se mouvaient avec lenteur dans la voûte nocturne. Seule deux épouses-dragons l’accompagnaient.

—Je suis habituée à cette douleur. Mon esprit me montre son visage avant de l’effacer, comme s’il se jouait de moi.

Son esprit ou la prémisse d’une folie ?

—J’ai vu mon frère. Je m’en veux d’avoir sauté, d’avoir cru que c’était lui.

—Nous l’avons tous fait. Heureusement même. Si nous n’avions pas entendu leur appel immédiatement nous aurions probablement coulé avec le bateau. Il vaut mieux en voir le bon côté ?

—Y en a-t-il eu pour lui ?

D’un signe de tête, elle désigna Galtriel. Arment ne répondit pas, s’allongea et croisa les bras derrière sa tête.

—Si ce n’est pas indiscret, qu’avez-vous vu ?

Meorwen portait tant de noms ! Elle ignorait lequel lui décerner. Frère semblait trop éloigné, amant trop charnel, âme-sœur un brin grandiloquent.

—La seule personne que j’ai vraiment aimée. Elle morte il y a trois ans.

—Vous n’avez toujours pas fait votre deuil.

—Je ne peux m’y résoudre.

Accepter son décès, c’était accepter de vivre sans lui. Marcher non loin de cette falaise, c’était raviver son souvenir.

—Je ne le veux pas.

Mieux valait une épine meurtrissant sa chair plutôt que l’oubli.

—Puis-je vous demander pourquoi vous acceptiez Maketa si vous ne souhaitiez pas quelqu’un d’autre dans votre vie ?

Un petit rire sardonique racla sa gorge.

—Je pensais que vous seriez le dernier à me le demander. Le sexe et l’amour sont deux choses différentes. Je n’aimais pas Maketa, pas comme lui m’aimait du moins. Et une femme a aussi besoin de sexe.

Elle lui fit un clin d’œil mais aucun n’avait l’esprit à la plaisanterie. D’une œillade, elle retrouva les corps allongés de ses camarades. Personne ne trouvait le sommeil, tous avaient un pied dans le passé.

—Connaissez-vous la femme que Galtriel a cru vois ? Je l’ai entendu appeler le Kelpie Masha.

—Non, il ne m’en a jamais parlé. Je suppose que Keïdan a dû voir un de ses enfants, murmura-t-il doucement afin que seule Kita puisse saisir les mots. Reikoo a du apercevoir Dame Valia et j’ignore à qui Ferol a pu s’attacher.

—Valia ? S’étonna la jeune femme. L’aime-t-il ?

—Pas au sens où vous l’entendez. Il la considère plus comme une Déesse. Il ne désire pas son corps mais son âme, son esprit. Il aime son ambition, son pouvoir. Il la convoite parce qu’il a peur d’elle.

—Peur ?

Elle se tenait bien trop éloignée des jeux politiques pour comprendre que l’admiration des sujets à leurs souverains nécessitait un soupçon de crainte.

—Elle l’a ensorcelé. Il est bien plus dévoué à sa cause qu’un simple soldat appréciant son suzerain. Elle est certaine que jamais il ne la tromperait, que seule la mort l’empêcherait de lui ramener ces pierres.

Elle-même jugeait Valia de charismatique. Son intelligence et la vivacité de ses idées se reflétaient dans ses yeux pétillants. La vénérer telle une Déesse lui semblait aussi loufoque que stupide. Arment conserva son air sombre.

—Elle est plus dangereuse qu’elle en a l’air. Avec cette relation, elle s’assure un allié poids.

—Pour qui et pour quoi ? Grinça la jeune femme. Je ne fais partie de leur monde et vous non plus.

—C’est grâce à elle que vous êtes toujours en vie.

—Elle m’a besoin pour le dragon. Il a beau me détester, il ne me tuera pas.

Arment ne releva pas. Elle prit son silence pour un acquiescement. Les sanglots de Galtriel perdirent de leur intensité, s’espacèrent. La cavalière le vit rouler sur le flanc, le visage enfoui contre l’herbe. Elle ne doutait pas que des larmes roulaient sur ses joues, silencieuses et discrètes. Son camarade lui souhaita une bonne nuit mais Kita se retira de quelques pas et encouragea son animal en le balançant en l’air. En tendant les oreilles, elle aperçut plusieurs couinements. Protégés par le voile de l’obscurité, les rongeurs glissaient leur museau frétillant hors de leur tanière à la recherche de graines. Tâches de Myosotis fondit sur l’une de ses proies, un glapissement aigu résonna dans la plaine avant que le silence ne les assourdisse à nouveau.

Des ombres menaçantes s’élevaient à quelques lieues de là. Derrière ces montagnes aux flancs battus par les vents se dissimulait la Forêt Jaune et la tanière du dragon. Leur voyage aboutissait mais aucun sentiment de satisfaction ne la combla. Par après que le visage de Meorwen se dressait entre le monde des vivants et celui de Khéor. Enfin seule, elle s’abandonna à cette vision, savoura les contractions de son myocarde qui apportaient sang et chaleur à son corps. Il lui manquait atrocement. Son cœur écorché, lacéré en témoignait mais ses yeux demeuraient secs. Souffrance n’était pas synonyme de larmes. Pourtant, son odeur s’entêtait à caresser ses narines, sa peau se souvenait de ses lèvres brûlantes, de sa langue qui lui promettait cent supplices et milles plaisirs.

Satanés Kelpies ! Foutues créatures. Quelle vicieuse technique de chasse. Une grimace tordit son visage. Elle cuirassa son cœur comme elle savait si bien le faire, aucune épine de la déchirerait, aucun sentiment pervers ne la contournerait. Kita rappela son bâshki et se coucha non loin d’Arment. Le sommeil la fuyait, elle se tournait tant et si bien que Reikoo posa une main sur son épaule.

—Venez avec moi.

Elle l’observa avec une moue suspecte. Où voulait-il l’emmener alors que même l’aube rêvassait encore ?

La cavalière se leva et comme répondant à un signal, le petit dragon grimpa le long de sa jambe.

—Cette rencontre a été la pire de notre voyage. Aucune ne pourra être plus destructrice que celle-ci.

La cavalière se remémora les suppliques de Galtriel, tueur de sang-froid, celui qu’elle pensait le plus inébranlables des six.

—Nous savons nous battre et nous savons où aller. Cette épreuve nous confronte avec nous-même, nos peurs, nos hontes, nos pertes. Nous préférons les oublier, les enfouir au plus profond de notre âme et lorsque nos démons ressurgissent, nous sommes aussi acculés que des lapins face à un renard.

Kita acquiesça mais se rappela que l’obscurité avalait les mimiques de son visage.

—Il ne nous abandonnera pas.

Elle ignorait où cette discussion l’emmènerait.

—Pas physiquement. Je crains que son esprit ne soit plus accès sur notre objectif.

La cavalière jeta une œillade en arrière. Elle ne pouvait lui donner tort.

—Pourquoi en référer à moi ?

—J’ai besoin de causer et vous ne dormez pas.

J’étais la moins discrète surtout. Personne ne pouvait espérer dormir d’un sommeil réparateur cette nuit. Il la convoquait pour autre chose, un but qui lui était inconnu. Sa méfiance s’accroissait.

—Dîtes-moi franchement ce que vous voulez. Je n’ai pas la patience pour supporter vos remarques sournoises.

—Sournoises ? S’amusa-t-il.

— Venez-en au fait.

Les nuages se pourchassaient dans le ciel et en cet instant, ils voilaient les lunes de sorte qu’elle ne distinguait guère l’expression animant ses traits.

—Vous avez hésité avant de me délivrer.

—Etes-vous surpris ? Vous m’avez menacé de mort.

—Je ne cherchais qu’à vous tester.

—Je suppose que le test est concluant puisque je suis toujours là, railla-t-elle.

—On peut le voir ainsi.

Reikoo marqua un moment de silence puis reprit :

—Tester les limites de mes gardes est l’une de mes principales activités à Cerralion.

—Vous devez y prendre beaucoup de plaisir.

—Ne vous demandez-vous pas pourquoi je n’ai pas eu le même comportement envers vous et les autres ?

—J’ai trouvé quelques explications.

Ses répliques laconiques lui permettaient de relancer la conversation sans trop se dévoiler.

—Je connais le potentiel de ces mercenaires, pas le vôtre. Il me reste encore une question à vous poser : qui avez-vous vu ce soir ?

Il plantait un couteau dans un cœur meurtri. Quelle autre motivation de cette demande que la cruauté, le plaisir d’infliger la souffrance ? Kita se pétrifia. Ses yeux flamboyaient de haine.

—Vous me détestez au point de me faire revivre ça ?

—Cessez votre comédie. Vous êtes celle qui s’en est sortie avec le moins de blessures.

Un sifflement de mécontentement fusa entre ses lèvres. Il avait la langue habile pour un guerrier, elle ne pouvait le nier.

—En quoi connaitre le nom de la personne que j’ai vu vous aidera-t-il à mieux me cerner ?

—Pas seulement son nom. Je veux savoir qui il est.

—Allez-vous faire foutre. J’ai sauvé votre peau et ça me suffit.

—En échange, je vous dirai qui, moi, j’ai vu.

La cavalière releva la tête. Pourquoi acceptait-il de se dévoiler ?

—Je le sais déjà.

—Dîtes-moi son nom, répliqua-t-il surpris.

—Valia.

Reikoo acquiesça.

—Vous semblez en savoir long sur moi, finalement.

—Moi, non. C’est Arment qui me l’a révélé.

—Ces mercenaires, ricana-t-il. Ils sont bien plus intelligents et subtils qu’ils le laissent croire.

—J’ai une personne à laquelle je tenais beaucoup.

—Comme nous tous.

—Mon frère, avoua-t-elle enfin. Il a disparu il y a quelques centaines de cycles.

—J’ignorais que vous aviez un frère.

—J’ignorais que vous idolâtriez Valia de cette façon. Nous sommes des étrangers les uns pour les autres et parfois, il mieux que cela reste ainsi.

Elle pivota sur ses talons lorsque le garde la rappela.

—Il n’était pas que votre frère, n’est-ce pas ?

—Qu’est-ce que vous racontez ?

Son cœur tambourinait dans sa cage thoracique, ses intestins se nouèrent.

—J’ai vu votre visage lorsque vous avez vu ce Kelpie. L’expression qui vous animait… Ce n’était pas un simple amour fraternel. Qui était-il réellement pour vous ?

Un voile couvrit ses yeux, sa respiration s’accéléra. Un « je t’aime » fantôme tournait dans son esprit.

—Vous le savez.

—Il était votre amant.

—C’était plus que du sexe, plus que l’interdit du sang que nous partagions qui nous attiraient l’un à l’autre. Il y avait une complémentarité. Peut-être parce que nous avons partagé la même semence, le même ventre, par l’éducation aussi.

Les souvenirs qu’elle s’interdisait de revivre l’assaillirent. Des souvenirs enfouis, secrets, oubliés où cette étrange obsession l’un pour l’autre naissait. Des regards curieux sur un corps transformé par la puberté, des jeux taquins, des sourires un brin trop révélateur, des caresses maladroites. Elle se remémorait les réveils où la honte lorsque ‘elle découvrait son entrecuisse humide après de si réels rêves. Peut-être cet amour existait-il depuis leur naissance, lattant durant leur enfance et brusquement réveillé par les désirs du corps. Peu importe l’origine, qu’il ait évolué ou construit, elle se trouvait toujours seule. Sans lui. Des larmes brillaient dans ses yeux mais le mouvement de Reikoo sur sa gauche effaça ses souvenirs. Elle pressa son pouce contre ses paupières.

—Je suis habituée à cette douleur, expliqua-t-elle. Plus que d’autres qui oublient, j’ai choisi de vivre avec son fantôme. Ce Kelpie ne m’a que rappelé la vérité.

—Cela ne vous-a-t-il pas dérangé que l’homme que vous aimiez soit votre frère ?

—Nous ne nous ressemblions pas physiquement. Ma mère venait du désert Salimen, mon père a tout du Horzien moyen. J’ai hérité de sa taille, de sa couleur de peau quoique un peu plus claire, sa carrure et son visage. Mon frère tenait de ma mère. Que partagions-nous hormis le sang ? Et qu’est-ce qu’un sang identique ? Le même rouge, les mêmes plaquettes ? Je l’aimais pour qu’il fût.

Elle croisa les bras sur sa poitrine.

—Vous ne savez pas de quoi je parle. L’amour que vous portez à votre maîtresse est différent de celui que je portais à mon frère.

Kita s’apprêtait à clore cette conversation et rebrousser chemin. Reikoo l’en empêcha.

—Valia est tout ce qu’un peuple peut rêver. Forte mais douce, intrépide mais réfléchie. Elle est juste et pieuse. Je ne pensais pas qu’une seule personne puisse posséder toutes ces qualités. Je l’admire pour ça. Je veux l’emmener là elle pourrait faire le plus de bien : en dirigeant la Horza.

—Vous voudriez renverser notre régime ?

—Quel régime ? Ricana le garde. Ces misérables seigneurs qui gouvernent sur leurs terres comme ils l’entendent. Je veux établir une monarchie et Valia à sa tête.

—Personne ne vous laissera faire.

—Ils ignorent qui elle est. Ils ignorent combien elle est bonne. Moi, je le sais. La voir là, ce soir, me suppliant de l’aider… Oui, je l’aiderai.

Leur chef oubliait cependant une chose. Presque toute la population avait renversé le système de pouvoir précédent et les fils de ces gens soutenaient leurs aînés. Cette entreprise était impossible. Elle avait beau s’être confié à lui (ou plutôt accepta de sa manipulation), elle ne partagea pas sa remarque. La lueur de conviction si intense qui brillait dans ses yeux la dissuada. A ce stage, nul autre que sa Dame ne le résonnerait. Il était plongé dans une folie idolâtrique.

—Nous devrions aller nous coucher.

Il ne l’écouta pas, occupé à divaguer sur ses rêves de gloire, à contrer à la nuit à quel point Valia était merveilleuse.

Des yourtes avaient émergé de terre alors qu’elle dormait. Avec un sursaut de surprise, elle guetta la longue silhouette caractéristique des cervidés, souffla lorsqu’Arment secoua la tête :

—Leurs tentes sont différentes. Elles ne sont pas en toile mais en peau de bêtes. Ce sont des tribus nomades qui habitent dans ses plaines.

Kita resserra sa veste sur sa poitrine. Lors de la traversée de la Double Faux, ils se rapprochaient du cercle polaire interne. En quelques jours de voyage, les températures estivales se troquaient contre celle plus fraîches et humides d’une mi-saison. Pour la jeune femme qui vivait à proximité d’une jungle, ces bises lui glaçaient le sang. Les autres hommes échangeaient leurs tuniques sans manches contre celles avec, sans protestations. Ce qu’elle appelait veste n’était que le cuir éméché de sa tunique et grossièrement cousu de sorte à couvrir ses bras, bien loin des longs manteaux dont devaient se parer les Dames des terres centrales. Le ciel lui-même s’attristait de ces pertes de chaleur : les nuages gris, lourds et tristes masquaient le bleu du firmament.

—Sont-ils amicaux ? Demanda Kita.

—Oui, ils acceptent les voyageurs.

—Je ne dirai pas non à un petit-déjeuner, intervint Keïdan.

Ils se retrouvaient à nouveau sans le sac et sans le sou, hormis les quelques contrats que rédigeaient Reikoo à la hâte. Leur chef se tenait déjà debout et d’une saccade réveilla Ferol. Personne n’osait s’approcher de Galtriel dont seul le dos arrondi de sa position fœtale apparaissait. Reikoo se dévoua, échangea quelques encouragements le supposait Kita lorsque le guerrier brava sa tempête émotionnelle pour les rejoindre. Ses cheveux d’ordinaire peignés en arrière tombaient devant ses yeux, dissimulaient la moitié de son visage. Ses manches se retroussaient jusqu’à ses coudes.

—Je ne veux pas en parler, maugréa-t-il.

Ils hochèrent la tête. L’herbe gémissait sous leurs pieds tandis qu’ils se dirigeaient vers les monades. Les montagnes les dominaient en arrière-plan. Enfin, elle put les admirer à leur juste valeur : petite mais enclavés, leurs sommets disparaissaient dans une nappe de brume.

Trois silhouettes les fixaient avant d’héler les hommes. Ils doublèrent leurs tentes d’une démarche menaçante, un bâton dans leur main. Après quelques pas, ils le tendirent devant leur poitrine et Kita reconnut des arcs.

—Qui êtes-vous ? Cria-t-il dans une langue Horzienne parfaitement maîtrisée.

—Nous demandons votre aide. Nous n’utiliserons pas nos armes.

Inutile de les cacher.

—Jette-les à terre.

Les hommes s’accroupirent en guise de bonne foi. Seule Kita n’exécuta aucun geste. Les arcs s’abaissèrent, ils s’avancèrent à leur rencontre.

—Nous n’avons aucune velléité contre vous. Simple précaution.

—J’aurai agi de même, acquiesça Reikoo.

Puis s’attardant sur Kita :

—Beaucoup risquent de vous apostropher. Peu ont vu de dragons dans notre clan.

Sa peau était plus pâle que la sienne, bien plus mais suffisamment noire ne point douter que ce territoire appartenait à la Horza.

—Vous venez de l’Est. Des cités marchandes.

—Oui.

—Où allez-vous ?

—Vers les montagnes.

—Vous pourrez nous accompagner sur une partie du chemin si vous vous rendiez utiles.

—Nous gagnerons notre pitance, affirma Reikoo.

Des tresses ornaient leurs chevelures. Celles des femmes flottaient autour de leurs épaules, englobant leur visage dans un halo sombre. Du cuir d’animaux leur servaient de vêtements.

Les quatre hommes les escortèrent jusqu’aux yourtes.

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