Chapitre 32
Les signes ne trompaient pas. Les griffures constituaient un indice mais leur emplacement lui indiquait avec clarté qu’une race intelligente vivait : elles formaient un demi-cercle, une arcade autour de la bouche noire qu’était l’entrée. La grotte n’était pas grande mais large d’au moins trois corps. C’était précisément ce qu’elle avait imaginé : une créature petite mais trapue. Un gros lézard encore inconnu assez vorace et véloce pour s’attaquer aux autochtones. Kita s’approcha de l’ouverture dans un silence exagéré, déroula avec la plus grande précaution la semelle de ses chausses. Elle ignorait la profondeur de la caverne et l’endroit où le dragon se terrait. La cavalière s’avança d’un pas, se pétrifia soudain. Se pouvait-il qu’un réel dragon ait établi domicile dans cette crypte reculé, qu’il ait vécu reclus, entouré de proies assez longtemps pour berner les Horziens jusqu’à l’apparition des sauvages dans les profondeurs jaunes de ces bois ? Se pouvait-il qu’elle ait eu tort ? Que la science soit aujourd’hui obsolète ?
Elle tendit la main, paume ouverte, les défendit d’approcher. Peut-être le dragon les avait-il entendu, peut-être savourait-il son odeur, sa sueur, s’imaginer sucer ses membres pour ramollir et détacher la chair et enfin croquer ses os. Beaucoup d’hypothèses et peu de certitudes menaient aux plans irréfléchis. La patrouille avait tant affronté au cours de ces derniers cycles, tant sacrifié pour se jeter dans la gueule e la bête avec rien de plus que leur foi et leur courage. Kita recula.
—Il est dedans, annonça-t-elle en les entraînant à l’écart.
—C’est bien un dragon ? S’enquit Ferol.
—Quoi que cela puisse être, je crois qu’il dormait.
—Si vous nous proposez d’entrer, j’attendrai ici.
—Non. Nous ne savons rien de lui. Sa taille, ses habitudes… Si elle est ce qu’elle prétend être, cette bête est intelligente. Elle a vécu cachée des humains. Ce serait une découverte incroyable.
—Si tel est votre souhait, vous reviendrez plus tard. Nous mission concerne les pierres, pas les légendes.
Arment évita de croiser son regard, trouva un intérêt nouveau aux griffures gravées dans la roche.
—Votre Dame (elle s’adressa à Reikoo, insistant sur le titre de sa maîtresse) m’a attribué une place dans ce groupe ; Précisément pour cette bête. Rentrez à l’aveuglette et seule vos âmes ressortiront peut-être un jour de cette grotte. Un dragon n’est ni un serpent ni un léopard ni quelques autres bêtes que vous ayez pu rencontrer. Je n’ai jamais domestiqué un dorakkar, je me contentai de les monter avec une selle et une longe. Et ce sont toujours de formidables carnassiers. Pas question de le réveiller.
—Que proposez-vous ?
—Il devra chasser un moment ou à un autre. Lorsqu’il sortira, l’un de nous se glissera à l’intérieur dérober les pierres.
—Il ne sentira pas l’entourloupe ? Vous avez dit que ces monstres sont intelligents.
Un dragon n’est pas un monstre.
—Vous prenez vos rêves pour des réalités. Ils sont plus intelligents que des chats ou des chiens et nettement inférieurs à un cerveau humain. Tâches de Myosotis est aussi futé qu’un oiseau.
—C’est bien intéressant toutes ces leçons mais il reste une question cruciale : qui descendra dans la grotte ?
Au son de sa voix, Kita connaissait la réponse. Il écarta les bras.
—Vous êtes toute trouvée ! Comme vous l’avez si bien souligné avant, votre place est ici. C’est dit, nous avons notre volontaire.
Il jouait la comédie. Valia avait été claire : elle distrairait le démon. Ensuite, elle improviserait. Elle se glisserait, une fois le dragon hors de sa tanière, dans son antre puant.
Ils établirent le camp à un point stratégique : loin des grottes mais suffisamment prêt pour être incapable de manquer la bestiole. Dans une monotonie que l’attente rendait insupportable, les tours de garde s’enchainaient et le monstre dormait. Kita en vint presque à penser que la bête les dupait. La forêt était giboyeuse, au moins veillaient-ils le ventre plein. Un cycle passa, puis deux. Elle dormait d’un seul œil, craignant que ses compagnons ne la tuent durant son sommeil. La cavalière se trompait de cible.
Au milieu de la nuit, elle étouffa. La mince frontière entre rêve et réalité s’estompait lorsqu’un poids oppressa sa poitrine. Du ciel, elle ne vit rien mais les secrets du Khéor se révélaient à elle dans ces yeux pissenlit striés de noir. L’extrémité de sa queue gluante et froide caressait sa joue. Incapable de bouger, emprisonnée qu’elle était dans son étreinte, ses lèvres s’entrouvraient prêtes à appeler à l’aide. Le doux feulement du serpent la dissuade et son cri mourut derrière sa bouche tremblante.
—C’est toi, le dragon que nous cherchons, n’est-ce pas ?
Avec la douceur d’un amant, la précision d’un tueur, la créature mordilla le lobe de son oreille. Pourtant, si la voûte-nocturne se révéla enfin, les iris du serpent se greffaient sur ses rétines. Inutile de fermer les yeux, ils dardaient sur la dresseuse un regard malveillant.
—Je sais que tu me comprends.
La peur écrasait son cœur contre son sternum. Elle le sentait vibrer sous sa peau, à chaque battement.
—Tu es celui que nous cherchions. Pourquoi nous envoyer si loin de la Horza pour te rencontrer ? Tu nous suivais depuis le début.
Depuis la Breille, l’animal avait assassiné son ombre pour malicieusement la remplacer. D’ombre, elle n’avait besoin mais d’un châtiment si. Ce n’était pas ses pensées. Le serpent ! Le dragon ! Il lui… parlait ? Non, elle délirait. Délirer, elle connaissait ce terme. C’était un verbe courant qu’elle apprenait à côtoyer. Il lui était familier. Les griffes du serpent caressaient la boursoufflure de ses clavicules avec la légèreté d’une plume qui fit bondir son pauvre muscle cardiaque. Immobilisée, à sa portée, se serait si facile de la contraindre au silence.
—Tu ne le veux pas. Je dois encore te servir. J’ai raison, hein ?
L’animal ne répondit pas, son corps entier pesait sur ses membres et son torse. Elle haïssait ces écailles qui s’enfonçaient dans sa chair.
—Tu veux que je rentre dans la grotte, comprit-elle. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il m’attend là-bas ?
La monstre la comprenait, elle en était certaine. La cavalière détestait le blanc si pur, la couleur de la mort, de ce monde qui promettait mille tortures qui recouvraient l’animal. Peut-être était-il Khéor lui-même.
—Tu n’es pas lui, je ne crois plus aux Dieux.
A cette parole, le tortionnaire le mordit. Sa peau émit un léger craquement alors qu’elle se fendait, qu’elle s’effritait, dévoilait le derme caché, les veines rouges palpitantes et ruisselantes de sang. De sa langue bifide, il les titilla, les perça pour recueillir le précieux trésor.
—Pourquoi boire mon sang ? Qu’a-t-il de si rare ?
Sa langue à elle, molle et pataude s’agitait sous les multiples questions. La douleur l’immobilisa. Elle pointait sans ses épaules, doucereuse et timide d’abord, puis confiante grimpa le long des lacérations, excita ses nerfs et incendia son corps. La seule réponse de cet assemblage grossier de muscles et de sang : les yeux révulsés, la crispation de ses doigts. Ses cordes vocales soudainement endormis emprisonnaient le moindre son. Crier, cet exutoire si puissant, si libertin lui était interdit, hors de sa résistance, ses valeurs, son identité. Il lui opposait à ses aveugles croyances la cruelle vérité. Sa voracité n’avait d’égale que sa gorge et, encore imbibé de vermeil, piquait sa joue. Après un dernier regard des plus vicieux, il abandonna son emprise. Kita, à nouveau maîtresse de ses mouvements, hurla à faire vibrer sa trachée, sa langue ses dents. Cette fois, la blessure avait l’élégance d’une cicatrice. A peine une goutte ou deux maculaient ses doigts.
—Je l’ai vu ! Le dragon ou serpent, il était là. Il m’a bu.
Le mercenaire examina son cou.
—Vous avez dû vous blesser en dormant.
—En dormant ? Non, non, il était… Attendez, ne l’avez-vous pas vu ?
Elle interrogeait Ferol, de garde, et ses camarades attroupés autour d’elle alertés par ses cris.
—Nous n’avons rien vu, confirma Reikoo en se tournant vers son guerrier.
Ce dernier la fixait en confirmant :
—Rien n’est sorti de la grotte. Ni serpent, ni dragon, ni jolie vierge.
Ils se consultèrent du regard, l’exclurent volontairement.
—Avez-vous peur, Kita ?
—Ce n’est pas le sujet. Le serpent chez les nomades…
—Il n’y avait pas de serpent, répliqua doucement Keïdan en englobant son épaule de sa main.
Elle se dégagea d’un geste vif, la douleur brûlait toujours sa chair. La dresseuse éclata de rire.
—Qu’est-ce que c’était alors ?
—Un kyrflak.
Un canidé avec deux gueules : l’une proéminente, la deuxième plus petite qui servait de crochet pour happer sa victime. Les meutes évoluaient près de la Grande Faux.
—Non ! Je sais ce que j’ai vu : un serpent blanc, maintint-elle.
—Je peux vous assurer que non.
La jeune femme se rétracta.
—Kitaya. Venez avec moi.
Galtriel lui tendait la main. Elle hésitait, refusait de la prendre.
—Je dois vous montrer quelque chose.
Elle accepta de le suivre. Ils abandonnèrent leurs compagnons qui se recouchèrent.
—Ce n’était pas discret, railla-t-elle.
—Je me fous de la discrétion. Qu’est-ce que vous fichez ?
—Je l’ai vu, merde. Vous croyez vraiment que je me suis endormie sur deux épines ?
—Kita, croyez ce que vous avez avoir cru voir. Je vous montre la réalité.
Il s’arrêta, désigna d’un signe de tête, un petit corps violet, réduit en charpie. L’horreur la saisit, la glaça, l’épouvanta. Tâches de Myosotis gisait à terre, éventré, le cou rompu, les ailes lacérées. La cavalière tomba à genou en criant. Ses doigts tendus au-dessus du cadavre tremblaient, hésitaient à soulever la dépouille. Les entrailles s’enroulaient autour de ses pattes. Sa bouche ensanglantée montrait des trous à la place des crocs : ils avaient été arrachés. Kita rejeta la tête en arrière et cria. Un cri guttural qui appelait à elle autant l’aide que la souffrance que la colère. Elle en oubliait les langues de feu sur ses omoplates. Il lui avait pris son bâshki, l’avait torturé !
Son châtiment. Le voilà donc à visage découvert, terrible. Ses lèvres se retroussèrent, les tendons de cou saillaient sous un nouveau cri, non pas venu de sa gorge ou de ses poumons mais tiré de son âme. Inhumain. A ses côtés, Galtriel tremblaient presque. Il l’observait avec une fascination nouvelle, découvrait la fureur d’une femme en deuil. Non pas un simple animal de compagnie mais un compagnon fidèle qui la comprenait, qui lisait en elle. Jamais plus, il ne se glisserait sous ses doigts en quête de caresses. La mort était naturelle, nécessaire. La torture était un plaisir. Son bâshki était incapable de se défendre : l’injustice emplit son corps entier de haine. Ses phalanges agrippèrent la terre, la creusèrent. Ses yeux ne discernaient plus de doigts, de chair, d’ongles, de muscles : ils voyaient ses serres qui creusaient une tombe. Ses mouvements étaient portés par la colère, la rage de semer dans son sillage des cadavres et d’innocents et celui de son plus petit ami qui lui rendait le plus brut des amours. La terre noire se glissait sous la peau, dans les plis de sa paume. Avec une douceur infinie, elle saisit Tâches de Myosotis et le coucha dans le trou. De l’index, elle suivit les courbes de cons corps, les imprimaient dans son esprit et sa chair. Kita le recouvrit, son corps disparaissait, se noyait. Les larmes coulèrent sur ses joues avec véhémence. Un, deux, dix. La dresseuse d’effondra sur le flanc, happée par le chagrin. Tous étaient-ils voués à disparaître ? Le courroux l’abandonnait aux prises avec son accablement. Elle remarquait à peine le départ de Galtriel, folle de douleur qu’elle était.
Elle griffait la terre, souhaitait la déformer, la martyriser, la stigmatiser pour l’éternité, qu’une autre ressente la force de cette souffrance. Elle lui ravageait le cœur, la raison, son être sombrait dans la folie la plus noire. Le point de bascule si souvent titillé venait d’être franchi.
Kita se releva, déterminée. Elle se posta devant ses compagnons et prononça quelques mots d’une voix glaciale, maîtrisée avec le trémolo de la fureur continue :
—Je.vais.le.tuer.
Elle montra sa paume à Reikoo.
—Donne.moi.ta.hallebarde.
Aucune autre arme ne convenait à son entreprise. Elle blesserait le serpent sans trop s’approcher. Parfait.
— Donne-la-moi.
—Non.
Kita sauta sur lui, cracha sur son visage, griffa nez et lèvres et d’une torsion de jambes, dévia sa trajectoire. Galtriel la saisit au vol, la retourna et s’allongea sur elle. Il la bloquait de tout son poids. L’homme-arbre maintenait ses poignets au-dessus de son crâne tandis qu’elle feulait et de débattait telle un chat des gouttières. Lorsqu’elle comprit qu’elle ne viendrait pas à bout du guerrier, elle simula l’épuisement, obligea ses membres à se détendre. Elle feint une immobilité totale mais ne ravala pas la haine de son regard. Elle en était incapable.
—Je peux te lâcher ? Demanda-t-il.
—Oui.
Il s’exécuta lentement, éloigna ses mains pouces par pouces. Une fois assez loin, elle pivota sur bassin et faucha ses jambes. Sans élan autre que la force des muscles de ses cuisses, Kita se jeta sur Reikoo. Cette fois, elle le déséquilibra. Il trébucha mais Galtriel, bien trop vif pour un homme-arbre empoigna ses jambes au dernier instant. La jeune femme s’étala de tout son long, sa mâchoire heurta le sol, ses dents se refermèrent brutalement sur sa langue. Le goût du sang, proche du cuivre rouillé, décupla ses forces.
Ce même sang que le serpent t’a dérobé, l’encouragea la voix.
La cavalière l’avala. Ses ruades désarçonnèrent Galtriel, la prise sur ses chevilles lui échappait. Ferol, Arment et Keïdan se joignirent aux autres hommes pour tenter de la maîtriser et malgré ses sentiments exacerbés, avec une bonne organisation, ils y parvinrent. Ferol et Arment plaquèrent ses bras au sol lorsque Keïdan s’assit sur son dos. Le poids nouveau sur ses jambes l’informa que l’homme-arbre les imitait.
—Bandes d’incapables ! Vous m’avez emmenée pour ça ! Libérez-moi !
Elle ne se laissait pas d’hurler à effrayer les proies, à déchirer les tympans de ses compagnons. Reikoo porta un coup sec sur le menton. Elle s’évanouit.
L’accouchement est un acte barbare. Arracher un bébé du ventre maternel, de ce cocon doux et humide pour le précipiter dans un monde froid et sec est le premier acte de cruauté que subit l’enfant. Sa respiration arrache un cri et les pleurs d’une souffrance aiguë suivent. Une migraine, à défaut de braillement martela le crâne de Kita. Elle avait l’impression d’être ce poupon propulsé dans un univers qui le dépassait et cherchait à le terrasser. En étouffant un juron, la jeune femme se redressa sur ses coudes. Elle reconnut la silhouette maigrelette, assise sur une pierre, triturant une barbe roussie. Ferol lui souhaita la bienvenue.
—Aussi fine que ça (Seul son petit doigt se dressa de son poing serré). Et nous cinq pour vous maîtriser. Je vous retirerai mon chapeau si j’en avais un.
L’aube était levée depuis un moment déjà. Kita s’assit, le nez plissé sous les pulsions des céphalées. Ses tympans vibraient.
—Je…Qu’est-ce qui s’est passé ?
Les souvenirs affluèrent avant que Ferol ne les confirmassent : la visite du serpent, la mort de Tâches de Myosotis, sa promesse de tuer le dragon. Si l’on pouvait appeler promesse sa tentative de voler la hallebarde de son chef. Aussi vite qu’elle l’avait oublié, la rage la saisit. Celle-ci était froide, calculatrice bien loin de ses pulsions nocturnes.
—Je le tuerai.
—Je n’en doute pas un instant. Vous étiez une vraie furie. Reikoo vous a réservé un crochet du droit pour vous mettre hors d’état de nuire. Je n’aurai pas aimé le recevoir.
De ses index et majeurs, elle frictionna ses tempes. Chasser la migraine, c’était se raccrocher à l’inespéré. Tout au plus, elle pouvait diminuer son intensité en demeurant tranquille.
—Où sont les autres ?
—Partis chasser. Nous allons faire un festin ce midi ! Le dragon s’est réveillé, il sortira bientôt. Nous nous cacherons prêts de l’entrée puis attendrons qu’il sorte. Ensuite, ce sera à votre tour.
—Ce plan me paraît foireux. Il y a trop d’hypothèses, de possibilités et si peu de certitudes.
—Reikoo s’est rendu à la grotte hier, il en est redescendu avec ce plan ; c’est l’avant-dernière étape avant mon sac d’or. Avec la mort de Xaelio, je toucherai un quart de sa bourse. Un bon investissement. Combien vous a promis Dame Valia ?
—La mort de mon père et mon titre d’héritière de son écurie.
—La plus riche de notre patrouille !
Son ricanement la titilla et ses soupçons revinrent la hanter. Chassaient-ils vraiment ?
—Pourquoi n’êtes-vous pas partis avec eux ?
—Vous laissez seule avec un dragon éveillé dans les parages ? Je vous rappelle que vous n’avez aucune arme.
—Eveillé seulement dans les propos de Reikoo.
—Je commence à croire que vous vous méfiez de nous, Kitaya.
C’était la voix de leur chef, originaire des sous-bois. Galtriel et Keïdan tirait un mammifère, les mains enroulées autour de ses défenses. La proie ressemblait à un sanglier, un brin plus petit, le poil jaune.
—De simples questions innocentes, répliqua-t-elle.
—Comment va votre migraine ? S’informa-t-il en plantant le poignard dans la carcasse. Ne me mentez pas, après un tel coup, il serait plus surprenant que ne pas souffrir au moins d’un léger mal de tête.
Bien sûr qu’il cherche à t’éliminer. La question n’est plus si cette hypothèse en est une ou non mais comment Ferol a fourni la réponse.
Les légendes sur les dragons ne recelaient que peu d’informations exactes. Il avait berné ses compagnons. Reikoo comptait la jeter en pâture au serpent. Cela lui était égal désormais. Sa hargne la maintiendrait en vie assez longtemps pour occise ce fils de pute. Restait l’interrogation : pourquoi veut-il me supprimer ?
Ferol avait raison : ce déjeuner, excellent selon les circonstances, se rapprochait du repas du condamnée. Kita s’en fichait. On lui promit des armes, celles de son choix et surtout, Reikoo leur offrit une nouvelle, tardive au goût de la jeune femme.
—Nous avons vu le dragon lors de notre chasse.
Kita ignorait si leur enthousiasme était feinte ou non, le fruit d’années d’expériences et de cocasseries. Elle jubilait. Pour rien au monde, elle ne confirmerait ce qu’ils prenaient pour une vérité : son échec. Elle tirerait la gloire de sa vengeance, leur arracherait des sourires forcés et des « hourras » qui sonneraient comme le plus gros des mensonges. Car, quelle meilleure trahison, quel enjeu plus dramatique que la vie et le mort.
La cavalière jaugea la gueule de la caverne. Le poids réconfortant de son bâshki sur l’épaule lui manquait atrocement. Une fois leur repas terminé, ils gravirent la colline, équipèrent Kita d’instruments et de conseils tous plus traitres les uns que les autres. Elle s’enfonça, la colère au cœur dans l’antre de la bête.
Ce qui était une grotte se révélait être un tunnel qui s’enfonçait dans les entrailles de la forêt. Hormis la lumière extérieure sur les parois des roches, nulle source ne la guidait. Les rayons s’amenuisaient et alors que la jeune femme avançait à pas prudents, ses yeux s’accommodaient à l’obscurité. Elle discernait les délimitations de la caverne. Après quelques instants de marche, le souterrain s’élargit et déboucha sur une salle d’une grandeur impressionnante comme l’informa l’écho d’une pierre percutée par ses chausses s’écrasant dans une flaque. Elle ne doutait pas que le serpent la voyait, tapi parmi les ombres. Noir dans le noir, même l’éclat de la mort restait invisible. Soudain, une flamme s’alluma dans un crépitement. Elle bruissait l’air et exposait sa lumière orange dans la caverne. Le cœur battant, Kita s’approcha des stalagmites, parfois si larges qu’ils se joignaient à leurs voisins du haut, créant ainsi des colonnes épares. La dresseuse balaya la grotte des yeux. Aucun serpent.
—Où es-tu ? Hurla-t-elle.
Sa voix glissa sur les pierres, aussi tonitruante que le vacarme d’une cascade. Un sifflement. Elle pivota sur ses talons, brandissant la hallebarde Reikoo. Les flammes se reflétaient sur sa lame. Kita recula, s’enfonça dans la grotte jusqu’à ce que son dos heurte une colonne de roche. Effrayée, elle bondit. Enfin, le monstre apparut et aussi preste qu’une anguille l’accula. L’animal écrasa sa poitrine, ses doigts se desserrèrent, l’arme tomba avec un cliquetis. Elle tâtonna sa hanche à la recherche d’un des poignards de Galtriel, ne le trouva pas, baissa furtivement ses yeux. Furtif, le monstre l’était aussi. Kita ne remarqua pas les chaînes couleur rouille dans la façade. Elle ne comprit qu’elle s’était jetée dans un piège qu’une fois la menotte autour de sa cheville.
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