La création du trio infernal

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L'école de l'Élite est un endroit particulier, où les élèves sont mis à l'épreuve régulièrement, pour forger leurs connaissances, leurs capacités et leurs aptitudes. Tous rêvent de devenir Élitiens, mais peu pourront accéder à ce titre.

Louis Serra en avait toujours entendu parler. Depuis son enfance dans un orphelinat reculé du royaume, il sentait qu'il avait plus à offrir que la vie minable qu'il avait eu jusqu'à présent. Il était encore jeune, mais jamais personne n'avait voulu l'adopter. Il n'avait d'ailleurs jamais voulu être adopté. Il voulait juste prouver au monde sa valeur.

Et il avait finalement réussi. L'Élite, d'habitude peuplée de nobles ou d'enfants de riches familles marchandes, lui avait ouvert ses portes après des efforts et quatre ans de travail pour se préparer. Il aurait cependant cru que son statut lui collerait moins à la peau.

— Vous avez vu ? C'est le Prétendant sans sous... murmura un élève.

— J'ai entendu dire qu'il n'avait même pas d'album de l'Élite..

— Il ne pourra pas rester longtemps ici, il ne servira à rien sans fortune ou lien important, affirma un autre.

Louis serra les dents aux remarques qui se faisaient derrière son dos. Cela faisait seulement trois jours que la situation avait dérapé, au point de mettre en péril la réussite de sa prochaine épreuve. L'adolescent devait mettre la main sur une espèce de plante fort rare qui ne poussaient que dans des endroits improbables et difficiles d'accès. Louis avait trouvé peu d'informations à ce sujet, si ce n'est qu'elle était surnommée la Foudre fantôme des ronces. Son apparence était semblable à celle des chardons d'après les descriptions, mais les tiges étaient argentées et la partie florale avait une teinte d'un bleu scintillant.

Il avait bien tenté de demander conseil auprès d'élèves plus âgés, mais aucun n'avait consenti à l'aider. Louis venait d'essuyer un énième refus, et sentait qu'il perdait sa patience.

Reste calme, ce n'est rien, tu leur prouveras qu'ils ont tort.

Il avait beau se répéter ce mantra dans sa tête, le garçon ne pouvait oublier les mots qui lui avaient été balancés en pleine figure trois jours plus tôt.

Depuis son arrivée dans l'Élite déjà quatre mois auparavant, il n'avait pas réussi à véritablement s'intégrer à ses camarades. Cela ne l'avait surpris qu'à moitié : l'un des jury de son épreuve du Prétendant l'avait refusé lorsqu'il avait onze ans, jugeant son caractère trop colérique et incapable d'accorder sa confiance pour intégrer l'Élite. Ce même homme, John Mid, avait pourtant consenti à le laisser retenter l'épreuve un an plus tôt.

Louis avait beaucoup travaillé sur son impulsion alors qu'il se trouvait à l'orphelinat. Pendant un an, il s'était préparé continuellement, essayant d'être aussi patient que possible avec les plus jeunes enfants de l'orphelinat.

Et il avait réussi haut la main. Son caractère était encore difficile, mais ses efforts avaient été perçu comme un signe de maturité. Et enfin, le jeune garçon s'était évadé de son existence minable.

Mais voilà, il n'en restait pas moins solitaire, critique et exigeant, des traits qui n'attiraient pas la sympathie.

Il avait donc tenté de s'intégrer, à l'occasion de la fête du nouvel an. Malheureusement, la chance n'avait pas été de son côté.

La coutume des élèves de l'Élite à l'occasion de cette fête était simple : s'échanger des cadeaux d'une certaine valeur, pour sceller une amitié. Louis s'était retrouvé dans l'embarras en avouant ne pas être capable de payer autant que ce qui avait été annoncé.

Au milieu des fils de la petite et de la haute noblesse astrienne, l'orphelin de naissance sans héritage ni nom de bonne lignée faisait tâche.

Aucun élève ne le lui avait vraiment reproché. Mais les mots chuchotés derrière son dos le minaient, car il se doutait des remarques faites.

Les Élitiens devaient être les protecteurs du royaume, des piliers capable de tout supporter. Ils devaient être aussi forts que des rocs et aussi sages que des magistrats. Avoir de solides liaisons avec des personnages du royaume était même une norme, et facilitait certaines missions.

Louis n'avait cependant rien qui puisse intéresser quiconque. Sa place ici tenait à un fil, il lui fallait réussir à tout prix. Échouer à une mission ne lui coûterait pas forcément sa place, mais cela lui coûterait définitivement l'estime de ses camarades, une estime déjà bien faible.

— C'est vrai ce qu'on raconte ? lui demanda une voix familière.

Louis redressa la tête vers un camarade qu'il connaissait un peu. Julius Purple Maxima, un fils de comte solélin. Ils avaient déjà eu l'occasion de s'entraîner en duo lors de cours d'équitation. Ce n'était pas quelqu'un de hautain, mais il n'avait pas aidé Louis à se sentir intégré lors de la plupart des cours. Le garçon blond savait monter à cheval depuis sa plus tendre enfance, et avait profité d'entraînements de préparation à l'escrime ou au tir à l'arc.

En comparaison, Louis était constamment à la traîne, quelque chose qu'il détestait. Il avait redoublé d'efforts pour intégrer l'Élite, et y était arrivé par son seul mérite, mais il avait de sérieux retards face à ses camarades.

— Cela dépend de ce qui est dit et entendu, répondit finalement Louis.

— Il paraît que tu n'as pas d'autre argent que celui de la bourse du mérite que tu as obtenu, déclara Julius.

Quelques élèves autour d'eux pouffèrent de rire, et Louis serra les poings discrètement. Qu'ils rient, un jour il leur prouverait qu'il était le meilleur élève de cette école.

— C'est vrai. Et ?

— Je suis celui avec qui tu es censé faire l'échange de cadeau. Je voulais simplement être certain de ce que je pouvais attendre de ta part.

Julius repartit aussitôt, laissant Louis, le cœur battant et nerveux. Il repartit rapidement des couloirs et se réfugia dans son lit préféré : la fontaine des nymphettes. Le lieu était généralement tranquille, et c'était là que Louis y avait déplacé son lit.

L'une des particularités de l'Élite était que chaque élève se voyait attribuer une plume et un lit personnel en intégrant l'école. Chaque groupe de membres de l'Élite avait accès à une sorte d'armoire, plus ou moins fournie selon le niveau, composée de minuscules casiers. Chacun d'eux indiquait un lieu et il suffisait de glisser sa plume dans l'un de ces casiers pour que le lit de l'élève surgisse brusquement dans à l'endroit voulu.

Louis soupira de soulagement en voyant que personne ne se trouvait dans les parages, mais il fronça les sourcils en voyant un paquet sombre sur son lit argenté. Il s'y installa et ferma les rideaux pour être tranquille, avant de d'ouvrir le paquet.

Son cœur fit un bond en reconnaissant un album de l'Élite. La surprise était telle que ses mains tremblaient un peu d'émotion en touchant la couverture noire. Il l'ouvrit avec une extrême précaution, pour remarquer qu'il était vide.

En regardant plus attentivement dans le colis, Louis en sortit un paquet encore non ouvert de vignettes, mais rien de plus.

Il sortit de son lit et chercha du regard si quelqu'un l'espionnait, mais il ne trouva personne. On lui aurait fait un cadeau ? Ou bien est-ce qu'on comptait l'accuser d'avoir volé cet album à un autre élève, par jalousie ? Qui pouvait bien vouloir le contacter de cette façon ?

Louis reposa ce qu'il avait en main dans le paquet et repartit assez vite, l'esprit troublé. Il n'était pas très à l'aise à rester à côté de ce cadeau inattendu et anonyme, et de toute façon il était tard et il avait faim.

Il poussa la porte de la grande salle de Cérémonie, et se plaça au bout d'une des longues tables, comme à son habitude. Il fut cependant surpris de voir l'ombre d'une silhouette se pencher sur son assiette.

Le Prétendant releva les yeux vers un visage souriant, un garçon de son âge et déjà bien plus massif que lui. L'enfant face à lui n'avait que deux branches, il faisait partie de sa promotion, et pourtant il était incapable de se rappeler son nom. Il n'avait pas dû participer à beaucoup de séances organisées par l'école, il devait avoir réussi son épreuve du premier Mois sur un coup de chance.

— Alors c'est toi le garçon qui a tenu tête aux Apprentis il y a trois jours ? Enchanté, je m'appelle Robin Tilleul !

Louis serra la main tendu vers lui en murmurant son prénom, un peu troublé de voir quelqu'un aussi extraverti s'adresser à lui.

— Je me doutais bien que c'était toi, le fameux Louis. Apparement tu as obtenu une bourse du mérite, et tu es déjà meilleur que des Apprentis...

— Qui t'as dit ça ? se méfia l'intéressé. Je suis en retard sur tout le monde...

— Mon frère me l'a dit. Olivier t'a vu t'entraîner dans une salle à blanchir ta luide devant à miroir. Il était surpris. J'aurai aimé voir ça !

Ces mots allèrent droit au coeur de Louis qui sentit un sourire sincère étirer ses lèvres. Il n'aimait pas trop savoir qu'on l'avait observé à son ainsi, mais c'était plaisant de se sentir soudain reconnu pour ses efforts.

— C'est dommage que tu ne sois pas celui avec qui je dois échanger des cadeaux... à la place je suis avec mon frère ! se plaignit Robin.

— Au moins tu connais déjà ses gouts, c'est déjà ça...

— Tu sais ce que tu vas offrir, toi ?

Louis resta muet, ne voulant pas avouer qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait bien offrir, ni même qu'il n'était sans doute pas capable de payer quelque chose qui puisse être vraiment utile. Il aurait peut-être pu se contenter d'un livre, mais la bibliothèque de l'école était déjà si remplie que son cadeau semblerait fade en comparaison.

— C'est pas grave, je vais t'aider si tu veux.

— Pourquoi tu ferais ça ? demanda l'orphelin.

— J'ai envie d'être ton ami. C'est si bizarre que ça ? rétorqua Robin.

Les deux enfants se regardèrent dans les yeux avant de rire légèrement. Ils discutèrent des cours, de leurs épreuves, des dernières nouvelles du royaume.

Ils marchaient dans une gallerie en direction de leur lit lorsqu'une silhouette leur barra la route.

— Tu m'oublies ? demanda le garçon devant eux.

Louis resta un moment ébahi en voyant le reflet de Robin face à lui. Celui-ci rétorqua à l'inconnu qu'il pouvait bien se passer de lui de temps à autre.

— Drame, mon jumeau ne veut même plus de moi, déclama l'autre garçon.

— C'est Olivier, mon jumeau, expliqua Robin à Louis. Il ne voulait pas être ici, mais il voulait tout de même acquérir des connaissances avant de devenir journaliste. Il est certain qu'il pourrait même parler aux Estaffes en personne...

— Personne ne peut faire face aux Estaffes pour le moment, à part les Élitiens, intervint quelqu'un derrière eux. Mais tu pourrais te trouver déjà un lectorat dans l'Élite.

Julius Maxima les regardait tous les trois avant que son regard ne se plante dans celui de Louis. Celui-ci regarda l'autre garçon, en se demandant ce qu'il pouvait bien leur vouloir.

— Et bien ?

— Et bien quoi ? répéta Louis.

— Tu ne me dis rien ?

— Je t'ai déjà dit « Bonjour » plus tôt, se rappela l'orphelin.

Robin éclata de rire, faisant sursauter les autres enfants. Olivier l'excusa en disant que son frère était un idiot des fois, sans que l'intéressé ne se vexe.

— Je pensais que mon cadeau te plairait, reprit Julius.

— C'est toi qui a posé le paquet sur mon lit ?! s'écria Louis.

— Bien sûr. C'est toi mon partenaire pour l'échange des cadeaux...

— Mais je n'ai rien trouvé encore à te donner, paniqua l'autre enfant.

Maintenant qu'il y repensait, cela paraissait évident que c'était Julius qui lui avait transmis un cadeau, comme convenu. L'album de l'Élite était neuf, et même s'il ne valait pas si cher que cela, les paquets de vignettes pouvaient contenir des cartes d'une valeur inestimable. Et lui n'avait rien à échanger en retour.

— Je ne veux pas que tu me donnes un objet ou une babiole en retour, avoua Julius. J'attends plus de ta part...

Robin se placa entre les deux garçons, comme pour signifier au solélin qu'il n'était pas d'accord avec la tournure de la conversation.

— Tu es intelligent, exigeant, tu travailles beaucoup et tu as un esprit déterminé, reprit Julius sans se démonter. Je voudrais donc que tu sois mon ami, parce que ce que tu as de mieux à offrir, c'est cela. Tu seras sans doute le meilleur d'entre nous dans quelques années si tu persévères comme tu l'as fait jusqu'à maintenant. Ce serait idiot de ma part de rester en plan derrière...

— Mon amitié... Entendu ! scella Louis.

— Je n'ai pas tout compris, soupira Robin. Mais est-ce que je peux être ton ami aussi, Julius ?

— Évidemment, tu es déjà le plus fort de nous quatre ici... enfin ton frère t'égale peut-être...

— Oh, laissez, demanda Olivier. Du moment que vous me laissez documenter vos aventures, moi, je resterai hors de votre chemin. Je partirai sans doute dans un an ou deux, de toute façon. Mais je veux bien voir le cadeau que tu as fait à Louis...

Le petit groupe se dirigea dans la bibliothèque et l'orphelin se fit une joie d'ouvrir de nouveau son paquet, et de découvrir les vignettes qu'il possédait à présent. La plupart des cartes n'étaient pas très intéressantes, mais quelques unes étaient plutôt rares, et lui tenaient déjà plus à coeur. Une vignette du capitaine actuelle des Élitiens faisait même partie du lot.

Alors qu'il échangeait des cartes avec ses nouveaux amis, Olivier repartait de la pièce, songeant à écrire un petit article et à faire un journal de l'école. S'il devait devenir journaliste, il devait bien commencer quelque part.

Il avait déjà une idée de qui pourrait voir son nom dans ses petites publications. Entre son frère, un darnois jovial avec beaucoup de muscles, Julius, un noble solélin intelligent et silencieux, et Louis, un orphelin travailleur et taciturne, il y avait là un trio qui pourrait faire beaucoup de choses à l'Élite.

Des années plus tard, il regarda avec nostalgie son premier article, celui qui dévoilait l'existence de ce trio infernal. Louis venait de faire signer aux Estaffes le Serment rouge, qui mettait fin à un siècle de guerre contre la fratrie, et serait très certainement le prochain capitaine des Élitiens. Épaulé par Julius et Robin, tous deux assagis par le temps, ils faisaient encore un trio atypique mais fonctionnel.

Olivier n'aurait pas pu trouver meilleure nouvelle et ascension pour l'orphelin sans le sou qui était entré dans l'Élite une douzaine d'années plus tôt.

Grâce à lui, le royaume était en paix

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