Où j’emprunte le chemin de la nostalgie
La gare de Dax est bouillonnante d’activité en ce samedi matin. Bon nombre de festayres comme moi qui n’ont pas pu prendre de congés pour commencer les Férias à leur ouverture mercredi dernier débarquent aujourd’hui. Il ne reste que deux jours de célébration et tous comptent en faire un des moments des plus mémorables de cet été.
Je me fraye tranquillement un chemin vers la sortie de la gare. Dans le hall, j’aperçois mon ami Eric qui m’attend. Il porte déjà le blanc et rouge traditionnel, la cinta aux emblèmes de Dax pendante le long de sa jambe droite. Bon, je vois déjà votre regard oblique et interrogateur. Comment puis-je reconnaître une figure parmi cette foule dont chaque individu est accoutré pareil ? Surtout qu’Eric, d’à peine 1m75, n'en dépasse pas ? Facile je vous réponds : je ne pourrais jamais oublier la silhouette de ce gamin qui m’a tiré tant de fois d’un mauvais pas du temps où j’étais encore flic à Méandres. Il s’était présenté au commissariat comme « Eric Laborde », mais on l’avait tout de suite appelé « le p’tit Eric ». Ce n’était pas seulement dû à sa taille des plus ordinaires, mais surtout car il était fraîchement sorti de l’Ecole de Police et donc était le plus junior de l’équipe. Il m’avait été assigné comme partenaire et l’est resté jusqu’à ce que je démissionne. J’aimerais penser que c’est moi qui lui ai appris le métier, mais malin comme il était, il l’a probablement appris tout seul. Tout le monde l’aimait chez nous et malgré sa carrure impressionnante de rugbyman, il avait le cœur sur la main et embrassait vraiment le concept de « gardien de la paix ».
Je lui fais signe de la main et son visage s’illumine. Les quelques mètres nous séparant ayant été comblés, nous nous tombons dans les bras. Une embrassade longue et franche de deux individus qui sont passés à travers tant de choses qui ont scellé à jamais leur amitié.
Bon, passons la séquence émotions…
« Marcel, ça me fait vraiment plaisir que tu aies pu venir cette année ! Nadège est folle de joie de pouvoir enfin te rencontrer ! Elle nous attend à la maison. »
Nadège, c’est le grand amour d’Eric. Un amour d’enfance apparemment. Elle était de Candresse, un village d’à-côté et les deux s’étaient connus au collège. Depuis l’âge de 11 ans, ils s’aimaient. Ils avaient fait leurs études ensemble, toujours s’arrangeant pour ne pas être éloignés. Lorsqu’Eric décida d’entrer à l’Ecole de Police de Dax, elle rentra à l’école d’infirmière pas loin. Eric ayant gradué plus rapidement qu’elle, elle ne l’avait pas suivi lorsqu’il avait pris poste à Méandres. Au commissariat, on avait tous parié sur leur avenir, beaucoup misant sur la rupture due à la distance. Mais Eric et Nadège étaient un couple fort et leur relation avait supporté la séparation. Bien sûr, il y avait eu des hauts et des bas. Mais finalement quand Eric obtint sa mutation à Dax, ils se marièrent. Depuis, ils sont heureux en couple.
« Ton train avait du retard, non ?, demanda Eric.
- Un quart d’heure au moins, réponds-je. Il y avait des problèmes à la gare de Méandres. Une histoire d’aiguillage.
- Alors il faut se dépêcher. On est attendu à midi. Viens ! Ma voiture est par là. »
La voiture nous emmène à Saint-Pandelon, une commune limitrophe à Dax. Toute la famille d’Eric est de là-bas. Comme ces anciennes familles des Landes, les enfants ont construit leur maison à côté de celle de leurs parents, de leurs oncles et tantes. Du coup, la famille étendue d’Eric possède à elle-seule toute une rue du village. Eric avait consenti à habiter avec les autres pour se racheter de son départ qui avait été mal vu. En effet, Eric était considéré comme le rebelle, le mouton noir du clan. Le père d’Eric et le chef du commissariat de Dax à l’époque étant des amis d’enfance, Eric avait sa place déjà toute faite à Dax dès la sortie de son école. Mais Eric, à peine vingt ans, décida de s’expatrier et de faire ses preuves ailleurs. C’était ainsi qu’il avait atterri à Méandres, au grand dam de ses proches. Et même si ce n’était qu’à quelques centaines de kilomètres, c’était l’émancipation dont il avait besoin.
Nadège m’accueille à bras ouverts ! Comme on dit chez moi, elle m’embrasse comme du bon pain. C’est un petit bout de femme pas plus haut qu’1m50 et son sourire illuminerait un ciel d’hiver. Elle a le rire facile et une présence rassurante. Ses yeux verts pétillent à notre arrivée. Elle aussi est déjà en tenue de festayre.
« Marcel, quel plaisir de te rencontrer enfin !, s’écria-t-elle.
- Le plaisir est bien plus que partagé, je réponds, j’ai tellement entendu parler de toi ! »
Puis elle embrasse son mari et le regarde d’un regard accusateur.
« Vous ne vous seriez pas arrêté en chemin ? Vous avez vu l’heure ? On est déjà en retard !
- Mais le train avait du retard, se défendit faiblement Eric. On a fait aussi vite que possible !
- Je confirme, ajoutais-je pour prêter main forte à mon ami. »
Le sourire « Colgate » que j’ajoute à ma dernière affirmation finit de la convaincre. En tout cas, on sait qui porte la culotte à la maison !
« Bon, Marcel, il faut se dépêcher ! Ta chambre est à droite et tu trouveras tes tenues. La salle de bains est juste en face. Habille-toi et ensuite on partira. On aura le temps de causer à table. »
Sur le lit dans la chambre d’amis se trouve deux tenues de festayre : pantalon et chemise blanche, cinta et foulard rouge. Je me demande si Nadège attendait quelqu’un d’autre mais ce n’est pas le moment de s’attarder sur la question. Je cours dans la salle de bains, me change en vitesse et en ressort avec l’accoutrement approprié. A ce moment-là, Eric et Nadège sont en train de charger des bouteilles et des plats couverts de papier alu dans le coffre de la voiture. Je donne un coup de main et nous partons sur les petites routes des Landes. La destination ? Un repas des fêtes.
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