Où ça se corse dans les Landes
Nous quittons la Peña Campo Charro quelques heures plus tard. Eric m’emmène au commissariat étant donné que nous avons promis au Commissaire de passer.
L’ambiance y est tout à fait différente. Là où à l’extérieur les rires et chansons prédominent, l’intérieur du commissariat est sobre et sérieux. Eric salue les policiers à l’entrée et nous emmène vers le bureau de son chef. Il me présente en passant à ses collègues qui apparemment ont déjà entendu parler de moi. Je soupçonne Eric de m’avoir créé une réputation auprès de ses collègues de bureaux.
Apparemment, le Commissaire Lafitte vient juste de rentrer et nous le trouvons soucieux dans son bureau. Il lève les yeux à notre arrivée et son visage exprime un air de regret.
« Je suis désolé messieurs mais ce n’est pas le bon moment pour des réjouissances, déclara-t-il.
- Que se passe-t-il, chef ?, demande Eric d’un air inquiet.
- Une tragédie, voilà ce qu’il se passe… On a retrouvé un homme mort hier soir à côté du Darrigade. Il s’est fait poignarder et a saigné à mort. Trente ans, il laisse une femme et deux gosses tous seuls. »
Eric et moi dégrisons en quelques secondes. Même si la mort est chose courante dans notre métier, c’est à chaque fois dur à encaisser. Le Commissaire se lève et fait signe de le suivre :
« Venez avec moi, nous avons un briefing avec l’équipe en salle générale. Vous allez y participer ».
Bon, voilà apparemment le topo : un homme a été trouvé par des festayres mort à 6h ce matin non loin du bar Darrigade. Il avait abondamment saigné suite à un coup de couteau dans le rein et la carotide. Il était lui aussi en tenue de Féria et son visage était tuméfié, suite à une bagarre. Il travaillait comme concierge d’immeuble à Dax, était marié et avait deux enfants : Lucie 11 ans et Matéo 9 ans. Il n’y avait pas de témoin du meurtre, la majorité des festayres étant trop saouls pour être fiables. Seul un élément des témoignages avait l’air consistant : les témoins ont rapporté avoir vu un autre festayre s’enfuir du lieu juste avant. Celui-ci portait un t-shirt d’une peña Tarbelle et sur le dos était écrit : « Ni Manso Ni Afeitado ». Le Commissaire avait passé la matinée en réunion de crise avec le Maire, le Comité des Fêtes de Dax et la gendarmerie, plus les représentants des familles marchandes de Dax. Ils devaient décider s’il fallait arrêter les Férias ou non. Les commerçants y étaient fortement opposés : les Ferias représentaient 70% de leur chiffre d’affaires annuel. La fin des fêtes représenterait un trop gros manque à gagner et créerait une crise économique à Dax. En final, la décision avait été de confier l’enquête à la Police avec le renfort de la Gendarmerie, tout en laissant les Férias se poursuivre. Grosse pression !
« Quelqu’un a déjà entendu parler de cette peña ? », demande le Commissaire à son équipe rassemblée. Tout le monde répond par la négative. Seul l’un d’entre eux lève la main :
« J’ai cherché sur Internet. "Tarbellae" ou "Tarbelli" étaiet le nom du peuple qui vivait là où est maintenant Dax avant la venue des Romains. En fonction de la source, ils étaient soit gaulois, soit une branche des basques qui était montée vers le Nord.
- Et on peut en déduire quoi ?, demanda Lafitte.
- Que ce sont des gens du coin, répondit Eric. Des enfants du pays probablement. Nous devons les retrouver.
- Mais il y a huit cent mille personnes en ce moment en ville, objecta un autre. Ce serait comme chercher une aiguille dans une meule de foin !
- Alors munissez-vous de vos fourches, répondit placidement le Commissaire. Action ! »
Nous sortons du commissariat et je regarde Eric d’un air interrogateur :
« On fait quoi maintenant, p’tit ?
- Je suis officiellement en congé donc Lafitte m’a dit de rester à l’écart. Donc on continue le programme comme on a prévu. En plus, Nadège a dit qu’elle allait se réveiller tôt pour profiter des Férias avec nous. Elle doit déjà nous attendre. »
Je vois bien dans les yeux d’Eric qu’il n’est pas content. Mais j’acquiesce et le suis.
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