Corps et âme

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Elle est partie. A tourné les talons. Me laissant les aiguilles. J’observe la pendule. J’attends un instant. Pour être certain. Ne pas « œuvrer » sur un faux départ. La trotteuse bat la mesure. Mimétique tac au cœur. Je lui accorde encore un tour. Puis, je passe à l’action.

Mon temps compte à rebours. Elle me l’a dit : « Je ne serai pas longue mon chéri ! A tout de suite !». Direction sa chambre, je fouille avec frénésie son tiroir à froufrous. J’ y découvre dedans ses dessous. Tout ce qui n’est pas pour moi : Du doux satin peau rosé, du rouge et noir mélange passion, des rubans et des nœuds savamment tressés, du blanc transparent couleur brodé. Je dérobe à la volée une nuisette tout en transparence dentelée. Ma plus belle pièce ! A conviction.

Un coup d’œil rapide dressing. Et voilà que je m’attarde bêtement, fasciné par ses paires de chaussures élégantes. Serrées les unes contre les autres dans un amour aligné et bien rangé. Je repère ma préférée. De beaux escarpins rouges vernis sage, et talons aiguilles hauteur raffinée. Je décide de les chausser.

Le miroir magique aimant m’attire vers sa coiffeuse-tiroirs. Impression Barbe bleue. Ouvrir l’interdit. Délivrer de leurs secrets ces petits tiroirs de poupée. Sa coiffeuse sème la confusion dans un fourbi parfumé et coloré. Crayons, rouge à lèvres, petits pots magiques, palettes et pinceaux, houpettes poudrées, fioles alambiquées : Un laboratoire secret. Sorcier-apprenti, je m’asperge. Gouttelettes à profusion. Célèbre N°5. Je me farde à fond de teint. Enduis mes longs cils d’un noir intense recourbant.

« Je suis rentrée ! T’es où mon chéri ? ». Je sursaute. Son rouge à lèvres carmin déborde mes lèvres. Bavure triste blessure. Ses talons aiguilles claquent à ma recherche. Elle ouvre gaiement la porte. A ce moment précis, j’en suis certain, la trotteuse s’est arrêtée. Un ballon football flambant neuf, roule à mes pieds. C’est vrai ! J’avais oublié. Aujourd’hui, c’est mon anniversaire ! J’ai onze ans.

La trotteuse s’obstinait à ne pas trotter. Normal. Elle s’était profondément plantée dans mon cœur, en un instant. Et pour toujours. « Mais, pourquoi tu fais ça? T’es pas une fille ! J’te l’ai déjà dit ! De quoi t’as l’air ? Non, mais tu t’es vu ? Regarde-moi ! » Ses douces mains enserrèrent ma tête. « Tu es un garçon ! Un garçon ! Tu m’entends ! MON GARÇON.». Ma mère claqua la porte sur notre guerre ouverte.

J’ai ramassé le ballon. L’ai serré très fort, contre ce corps étranger. Me suis assis. Mon reflet grimé me fixait dans sa coiffeuse. Mes larmes noires coulèrent à flot mascara. J’suis mal né, ma maman. Je suis une fille. Y ’a comme une erreur sur le livret de famille. Je suis une fille. Je le sais depuis toujours, je le sens de tout mon cœur et de tout ce corps que j’ai en horreur. Je suis ta petite fille qui t’aime. MAMAN !

Le jour de mon onzième anniversaire, j’ai décidé d’être. Ce que je savais. Quand je serai grand(e), je serai MOI. Pas par rébellion. Maman. Etre bien dans ma peau. Unir l’âme au corps. Et coûte que coûte, à la rubrique sexe, sur ma carte transidentité, j’inscrirai le F.

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