Quelque part dans la nuit
Les ombres dansaient à travers la fenêtre. Je n’avais jamais fermé les volets. Ma manière à moi d’accueillir la liberté sans doute.
Les boulevards, en dessous, bruissaient encore d’une légère activité qui s’estompait avec la nuit.
Il n’était pas si tard. Ou plutôt il l’était déjà. Ces heures indistinctes où tout devenait flou, comme la possibilité d’un lendemain. Alors que les draps n’étaient plus très chauds, au bout de mes doigts.
S’était-il levé? était-il parti faire un tour?
Je ne me demandais jamais avec qui. Connaître la réponse ne m’aurait rien apporté. Rien d’autre que des souffrances d’incertitude, ces falaises au bord desquelles je ne voulais pas me tenir en équilibre précaire.
Je m’étendis dans le lit devenu trop grand, gardant la couette haute sur mes épaules. Le regard happé par les dessins que les phares des voitures renvoyaient sur mon plafond, j’essayais de ne pas imaginer les quais où je l’avais retrouvé plusieurs années avant. Ni le regard fou des mecs qui l’avaient tabassé en le laissant pour mort. Je ne crois pas que j’oublierai jamais ce souvenir. Cet instant, parmi tous les autres, où j’avais cru l’avoir perdu pour toujours.
Je frissonnai. Pas de froid. À moins que l’absence de son corps chaud et doux contre le mien ne réveille un manque qui ne serait jamais comblé.
Depuis combien de temps était-il parti? J’abandonnai l’idée de lire l’heure sur mon téléphone, qui devait traîner quelque part sur la table basse du salon. Et le café en bas de chez nous ne m'aida pas à évaluer l’heure. Il était ouvert toute la nuit.
J’aurais pu lui envoyer un message. Ou l’appeler. Mais s’il avait pris sa moto, il ne décrocherait pas.
J’étais en train de lutter, coincé entre le sommeil qui revenait et son absence à mes côtés, lorsque la porte d’entrée grinça. Ses pas, discrets, se déchaussèrent dans l’entrée. Le blouson trouva le dossier du canapé car il fit un son mat en trouvant le tissu élimé. Il poussa un soupir lent. Profond.
Je l’entendis s’approcher à mesure que je fis semblant de dormir. Arriverai-je à calmer ma respiration? L'écouter venir vers moi, ne pas me réveiller, en douceur, me faisait l’effet de l’observer en cachette. Comme si je volais ses précieux moments où il me faisait craquer. Tant de précaution pour que je ne sache pas ce qu’il avait fabriqué m'amusaient un peu.
Son jean glissa par terre, son pull le rejoignit, et il souleva délicatement la couette en restant à distance de moi. Le matelas bougea à peine lorsqu’il s’installa sur le dos, les bras repliés sous sa nuque, les yeux grands ouverts.
II sentait l’air frais. Et l’odeur chaude et rassurante de sa peau. Je fis semblant de bouger dans mon sommeil, et me rapprochai de lui. Sa main sur son ventre le fit se raidir, puis se détendre imperceptiblement.
Caressant sa peau douce, je traçais des cercles de mon pouce qui se voulait rassurant. Je sentais son corps chaud, tout près. Je n’avais qu’à rompre les quelques centimètres qui restaient entre nous pour qu’il épouse le mien. La tiédeur m’y appelait et je me lovai contre son flanc. Sa tête s’inclina vers moi et trouva mes yeux toujours fermés. Sa peau contre mes lèvres, je l’embrassai. Il délogea un bras de sous sa tête pour le poser sur mon épaule. Sa main chaude se referma sur moi et nous serra davantage. Mes jambes trouvèrent les siennes et se faufilèrent entre elles. Mon genou sur sa cuisse, mes hanches plaquées sur les siennes, ma bouche contre sa peau, son souffle dans mes cheveux, nous étions tout ce dont nous avions besoin.
- Balade intéressante ce soir? murmurai-je entre deux baisers les yeux fermés.
- Hum… répondit-il le visage toujours enfoui sur le haut de mon crâne. Tu ne dors pas? d’une voix basse.
- Jamais quand tu t’en vas, avouai-je en frottant mon nez contre son épaule.
Il me serra davantage contre lui, son deuxième bras venant encercler ma taille pour coller nos ventre l’un contre l’autre.
Sa bouche sur mon front, il m’embrassa doucement.
- J’avais du mal à dormir, dit-il tout doucement, presque comme un murmure à peine audible.
- Tu veux une berceuse? ris-je en caressant son dos de mes mains autour de lui.
- Si seulement tu savais chanter! s’esclaffa-t-il tout bas.
- Tu serais le premier à le savoir, admis-je d’un hochement de tête.
Il rit en silence.
- Tu sais, je ne vais jamais… vraiment nulle part quand je pars…Je me contente de rouler au hasard, sans rien chercher de précis...dit-il au bout d’une longue réflexion muette.
Je ne répondis rien pendant un bon moment. J’avais déjà beaucoup réfléchi aux absences de Soltan. Considéré son amour pour moi, et la confiance entre nous. Même si je le savais sorti des histoires sombres de son passé, j’imaginais toujours le danger revenir lui coller aux basques au détour d’une ruelle. Ce qu’il savait sans doute.
- Pas de petit minet en douce lors de tes cavalcades nocturnes alors? biaisai-je pour détourner les images qui m’étaient revenues plus tôt dans la nuit.
- Pourquoi faire? demanda-t-il étonné.
- Au cas où tu t'ennuies, je suppose… dis-je en pensant au mal que ça me ferait si jamais c’était le cas.
Il attrapa mon visage d’une main douce mais ferme. Son nez frôla le mien, et ses lèvres légères trouvèrent les miennes, l'espace d’un instant.
La voix rauque que j’aimais tant articula:
- J’ai déjà suffisamment à faire avec toi…
Sa bouche se reposa sur la mienne, et lentement, doucement, la chaleur entre nous se répandit au fil de nos caresses. Nos corps s’étreignaient, insatiables de retenue, pour ne pas briser le bonheur de nos retrouvailles. Mon corps souple passa sur le sien, et ses mains parcoururent chaque millimètre de ma peau. Nos lèvres toujours soudées laissaient échapper les souffles de plaisir que nos procuraient nos câlins. Ainsi que la montagne de sensations qui nous écrasait la poitrine.
Les lueurs continuaient à danser sur le plafond, à miroiter sur le mur du fond de notre chambre. Et nos draps de bruisser au rythme de nos corps qui se serraient.
Le coeur battant, mes mains caressant sa nuque, je n’arrivais pas à m’arrêter de le vouloir.
Alors, dans une moiteur sombre, ne discernant qu’à peine les traits de son sublime visage, je le laissai me faire l’amour. Ses gestes tendres et précis envahirent mon corps. Ses lèvres à mon oreille me murmuraient à quel point il tenait à moi.
- Ed...
Et combien il m’aurait bien enfoui en lui pour ne devenir plus qu’un seul être.
Non pas qu’il l’ait jamais formulé ainsi. Mais je sentais son cœur battre, puissant et sourd sous sa poitrine lorsqu’il m’attirait contre lui hors d’haleine. Ses doigts se refermaient sur moi, conscient que je n’aurais jamais pu m’échapper si j’en avais eu envie. Comme pour se rassurer que je resterai là, au creux de lui pour toujours, à deux sous ces draps, avec la nuit comme témoin éternel de notre histoire. À tout jamais deux. À tout jamais l’un à l’autre.
Son souffle s’apaisa petit à petit. Sa tempe humide trouva mon cou et s’y enfouit. Ses bras autour de moi se firent plus lourds. Je le laissai sombrer contre moi dans une nuit sans brume et murmurai à son oreille:
- Bonne nuit Soltan...
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