Demande ultime
Il entend des pas dans le long couloir devant lui. Les battement de son coeur augmentent sans qu'il ne puisse rien y faire, il pense que ce n'est sans doute qu'un rêve. Ou un cauchemar. Le couloir est parfaitement éclairé, sauf au fond. C'est simplement noir, comme un mur peint mais il sait très bien qu'il n'y a pas de mur. Seulement l'obscurité. Les pas se rapprochent, augmentent en intensité. Sa respiration se bloque puis reprend follement. Son estomac se contracte. Il sent son dernier repas remonter. Rien ne sort.
Elle marche aussi rapidement qu'elle le peut, pour arriver à son futur client au plus vite. Elle est presque en retard. Elle prend pourtant le temps de vérifier l'heure. Minuit moins dix. Ses pas résonnent dans le long couloir donnant l'impression qu'il y a des millions de personnes. Sauf qu'elle est seule pour son travail. Seule avec lui. Le long couloir semble infini, mais après une autre dizaine de pas pressés, elle l'aperçoit enfin. Il l'attend.
Son coeur rate un battement puis deux. Elle est là, enfin. Il ressent une sorte de mélange de soulagement et de terreur. Il sait ce qui l'attend, ce qu'elle va lui faire subir. C'est avant tout pour cela qu'il est là à patienter. C'est son choix mais une partie de lui regrette. Son coeur s'emballe une fois de plus. Comme la première fois que l'on rencontre son âme soeur. Comme la première fois que l'on se sent vivre. Ou comme la dernière. Ses mains tremblent, il ne se rend pas compte que tout son corps aussi.
Plus que quelques mètres et elle pourra commencer. Enfin! Ses yeux verts se plantent dans ceux de l'homme tant attendu qui sont d'un bleu si pur.
-Enchantée, je suis celle que vous avez appelée il y a quelques temps, je suis contente de vous voir.
-Bonjour. Oui...c'est bien moi. Avant de...comment dire...commencer, pouvez-vous m'expliquer un peu le déroulement de...de la chose?
Elle sent l'hésitation dans sa voix. Bien souvent, à son regret, ses clients se sont découragés au moment où ils ont hésité.
-Ecoutez, si vous voulez retourner en arrière, tout arrêter, vous pouvez. Après tout, c'est la plus grande décision de votre vie.
-Non, non, c'est bon. Je le mérite, après tout ce que j'ai fait, il n'y a que ça comme option.
Sa voix tremble un peu mais il a quand même l'air de vouloir rester sur son choix. Elle lui propose donc de le suivre dans une simple pièce assez bien éclairée.
La peur le remplit tout entier, il sent ses mains s'engourdir mais ne fait rien pour empêcher ça. Il calque ses pas sur ceux de la femme, évitant trop de bruit. Il la voit ouvrir une porte et elle l'invite à entrer dans la pièce. Une chaise en bois au milieu, une commode à sa gauche et au plafond une simple ampoule. Les murs sont d'une couleur blanche sale, quelques taches encore visibles malgré le ménage qui a été fait. Des taches sombres, et il sait que lui aussi va faire des taches sombres sur les murs et sur le vieux parquet.
-Pourquoi y a-t-il du parquet au sol?
-Simple élément décoratif, j'aime bien le parquet même si ce n'est pas le plus facile à nettoyer.
-Ah...je comprend.
Elle lui demande gentiment de s'installer sur la chaise. Il lui obéit sans aucune résistance. De toutes les manières, son destin est scellé. Et c'est lui-même qui l'a scellé. Il veut payer pour tout ce qu'il avait fait mais elle-même ne sait pas quels crimes il avait commis pour vouloir ça et ça ne la concerne aucunement. Elle attache délicatement ses poignets, son cou et ses chevilles à la chaise. Ayant terminé ça, elle le fixe quelques instants. Elle se dit que c'est l'un de ses plus beaux clients, bien musclé, un visage bien dessiné et des yeux si doux.
Il a le regard planté dans celui de sa future tortionnaire, il se dit qu'elle est belle et que finalement dans les pires choses, il y a du bon. Mais elle recule et va vers la commode.
-Ca va commencer?
Elle se retourne et lui sourit. Il pense que finalement, elle n'est pas si belle que ça, un grand nez qui ressort quand elle sourit. Et un sourire de psychopathe.
-Oui. On va commencer...mais avant toute chose...
Elle brandit un objet mais il ne comprend pas ce qu'il fait là, dans cette petite main manucurée. Une agrafeuse. La peur le quitte d'un seul coup d'une manière inexpliquée. Il s'abandonne à une sensation douce qui lui donne des frissons. Elle s'approche lentement. Il ne sent pas la première agrafe, mais la deuxième lui laisse échapper un cri, ce qui augmente sa douleur. Elle est en train de lui fermer la bouche avec des crochets métaliques. Il ne peut même pas se débattre car s'il bouge la tête, la lanière autour de son cou l'étranglera. Il peut seulement souffrir. Une troisième agrafe lui perce la bouche au milieu.
Elle voit au travers des yeux de son client toute la douleur qu'il ressent, sachant qu'il va souffrir encore plus à chaque minute. Elle force pour enfoncer la quatrième agrafe et doit recommencer deux fois pour lui planter la cinquième. Elle l'observe pendant une minute, vérifiant que les petits crochets tiennent puis elle se retourne vers le meuble où est rangé tout son matériel de torture. Elle ne pense rien, froide comme le marbre, prennant soin de faire son travail méticuleusement. Elle saisit délicatement un couteau effilé, repensant aux autres personnes qu'elle a tailladé avec.
Un reflet l'éblouit un quart de seconde, mais c'est assez pour qu'il devine que c'est une lame. Il ferme les yeux, il ne veut plus voir ce qui l'attend, il n'en a pas le courage.
-Un homme faible n'est pas un homme. Il faut regarder mon grand...à moins que tu ne sois qu'un petit garçon froussard? Allons, ouvre-moi ces beaux yeux que tu as là. Ou sinon c'est moi qui vais te les ouvrir.
Il y a dans sa voix quelque chose de moqueur. Elle le ridiculise pour qu'il souffre encore plus. Il sent alors une petite piqûre en haut de sa paupière, il comprend qu'elle la lui entaille. Son supplice s'amplifie, devenant insupportable pour lui. Il essaie de crier mais les déchirures autour de sa bouche lui tire des larmes de douleur. Il a conscience du sang qui coule de ses lèvres en feu. La main de la femme glisse, lui enfonçant profondément la lame dans l'oeil. Du sang gicle, tachant le tailleur de sa tortionnaire. Il essaie de se dégager mais la lanière autour de sa gorge se sère, il ne peut pas déglutir. L'air lui manque. Il prie pour que tout s'arrête, demandant de trouver la mort au plus vite.
Elle considère son tailleur taché, puis son regard revient à son client. Des cris étouffés sortent de sa bouche ensanglantée où des morceaux de métal pendent lamentablement, des larmes coulent de ses yeux. Du droit des larmes de douleur, du gauche des larmes de sang à cause du couteau qui y est planté presque entièrement. Elle voit aussi son cou serré par la courroie, il étouffe. Son visage se teinte de violet. Elle s'avance pour réajuster la sangle. Elle lui enlève aussi le couteau de son oeil. Lentement. Très lentement. Le chuintement du métal contre la chair sonne comme une plainte à ses oreilles. Mais elle aime son métier et c'est ce qui fait la qualité d'un artisan. Même si là, le travail a été quelque peu grossièrement exécuté.
La douleur est insoutenable, il se sent partir loin de cette chaise, de cette pièce et de cette vie. Une voix distante le rammène à la réalité.
-Hé, mon garçon? Il ne faut pas que tu partes maintenant, je n'ai pas terminé. Si tu m'entends, bouge ta main doite.
Il se concentre entièrement sur son poing serré sur l'accoudoir, essayant de bouger ses muscles. Son majeur se lève avec peine. Il entend vaguement un rire qui semble doux, il pense que ça ne peut pas être sa tortionnaire. Son petit rire est presque mignon alors que son sourire donne des frissons.
-Tu es assez vulgaire. Même lorsque tu t'apprêtes à mourir. Enfin, tu m'as donné une réponse et je suppose que je devrais m'en contenter. Nous pouvons donc continuer et tâche de ne pas pleurer s'il te plait.
Il sent la lame passer progressivement sur ses joues, le sang coulant de plus en plus.
Elle regarde des roses et de coquelicots éclore sur le t-shirt blanc de son client, elle y trouve une certaine beauté. Elle continue son ouvrage, insistant sur le haut de ses pommmetes, y dessinant de formes diverses, creusant certains endroits, passant sous la peau à d'autres. Puis d'un seul coup elle lui taille son oreille gauche qui tombe sur le parquet avec un bruit sourd. Elle ignore les cris de son patient et coupe l'autre oreille. Au milieu de la coulée de sang, elle apperçoit le conduit auditif et hésite à y donner un coup de couteau. Mais elle préfère lui donner une grande claque. Elle s'éloigne de la chaise pour aller chercher un tenaille.
-Mon grand, donne moi ta main. Ah oui, c'est vrai, tu m'entends plus. Ca ne fait rien.
Il sent sa douce petite main caresser la sienne, il pousse un grognement qui se transforme en hurlement terrible quand elle lui arrache l'ongle de l'index. Sans attendre, elle lui saisit le majeur et lui arrache l'ongle aussi. Elle continue arachant tous les ongles un par un. La douleur qui l'emprisonne est maintenant si forte qu'il n'arrive plus à penser.
Un flot de sang coule maintenant des mains de son plus beau client. Elle l'observe. Il a perdu toute sa beauté, il ne ressemble plus qu'à une ébauche d'être humain. Elle s'éloigne de nouveau pour changer d'instrument de torture. Elle pose l'outil ensanglanté sur la comode, ouvre le premier tiroir et en sort un pot rempli de sel. Elle dévisse le couvercle et le pose à côté de la tenaille. Elle se rapproche de son homme.
-Certaines femmes sont douées pour la cuisine, d'autres avec les hommes, encore d'autres les deux et moi je suis forte pour la cuisine des hommes.
Et elle répand le quart du bocal de sel sur les blessures de son client qui pousse un cri stridant, résonnant dans toute la pièce.
La douleur est encore plus vive, plus présente. Elle emplit son corps entier. Il a l'impression de brûler vivant. Il se débat, resserrant l'étreinte de la couroie son cou. Une fois de plus son souffle se perd mais sa tortionnaire dessère la sangle et le libère des autres, il ne comprend pas pourquoi. Il sent qu'elle s'éloigne encore une fois vers l'unique autre meuble. Puis vers la sortie. De son unique oeil, il la voit ouvrir la porte et partir en la refermant derrière elle. Ca y est, c'est la fin, elle va le laissser mourir ici, seul. Mais bientôt il entend une grille s'ouvrir dans le mur du fond.
Elle observe à l'aide de la minuscule lucarne les rats affamés se jetter sur son client. Elle l'entend hurler à travers la paroie. Elle regarde encore une fois l'heure. Minuit sept.
-Bien, dans deux heures, je reviendrai le chercher.
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