XI
Février : J – 2 mois
Jeff est en forme. Le coach sportif, au physique athlétique de l’emploi, est pourvu d’une élocution particulière, vestige de son ancienne carrière militaire. A chaque fois qu’il ouvre la bouche, j’entends, en bruit de fond, les tambours et les clairons nous annoncer l’imminence du prochain combat. Notre petit groupe est composé de cinq personnes et en ce début de séance, Jeff rappelle nos objectifs.
- Déchargement des tensions internes, hurle-t-il, et surtout, dépassement de soi !
Oui, colonel !
C’est parti pour vingt minutes de footing. Il ne m’en faut pas plus de cinq pour cracher mes poumons. Sauf qu’au bout de la quatrième séance, je ne m’arrête plus. Trop fière !
Jeff, lui, fait des allers-retours incessants, sans qu’aucune goutte de sueur coule sur son front, et crie : « Allez ! Allez ! On tient le coup ! Alleeeeez ! », pour motiver ses troupes.
Le soulagement de la fin des vingt premières minutes est de courte durée. Il ne nous ménage pas et enchaine les mouvements. Je clopine de gauche à droite, de bas en haut, concentrée sur ses indications. J’ai mal partout, ma poitrine va exploser. Une pompe, on se relève, deux flexions, et on recommence.
Depuis quand ai-je arrêté le sport ? Un an, il me semble. Avant, j’étais à un rythme hebdomadaire de deux séances de cross fit. Un défouloir efficace après le travail. Encore autre chose que j’ai mis de côté.
Jeff sonne le glas de fin et le groupe s’effondre sur la pelouse fraiche et humide. Il m’a tué. Au prochain cours, nous sommes prévenus, c’est double cardio intensif. Notre professeur nous conseille de nous y préparer mentalement. Ce type est un sadique !
Mais, les endorphines font leurs effets : je suis stone !
***
La Villa est vide en cette fin de matinée. En attendant ma consultation téléphonique avec Morel le Psy, je parcours les étagères de la bibliothèque du salon : Ainsi-soit-il de Benoîte Groult, Le deuxième sexe de Simone Beauvavoir, La servante écarlate de Margareth Atwood, Une chambre à soi de Virginia Woohf, Mes bien chères sœurs de Chloé Delaume…
Si j’adhère totalement à la cause féministe, je n’ai jamais réellement eu l’occasion de militer. Dans d’autres circonstances, j’aurais peut-être été activiste chez les Amazones.
Le téléphone sonne et ce n’est pas le mien. La mélodie se répand dans toute la villa. Elles ont installé des haut-parleurs ou quoi ? Je trouve un appareil fixe dans le hall. Après trois sonneries d’hésitation, je décroche.
- Allo ?
- Bonjour, je suis Rémi, le fils d’Anne-Sophie. Ma mère est là, s’il vous plait ?
- Non, désolée. Essayez sur son portable, elle attend vos appels avec impatience.
- J’ai tenté, mais elle est sur répondeur. Pouvez-vous l’informer de mon appel ?
- Oui bien sûr, je n’y manquerai pas.
- Merci. Au revoir.
- Euh… Dites-moi ? Juste par curiosité… Vous êtes rentré ? Enfin si je peux me permettre…
- Pas de soucis, ça me fera passer le temps. Oui, je suis à Toulouse.
- Vous allez bien ? Anne-Sophie nous a parlé de votre situation.
Le fils d’Anne-Sophie s’avère très sympathique, drôle et extrêmement bavard. Il me raconte ses dernières semaines en Afrique. Basé en Guinée, l’épicentre de l’épidémie, il s’est enfermé sept semaines dans son logement sous recommandation de son employeur. D’un tempérament sociable, il a failli péter un boulon. L’angoisse de sa mère a été décisive dans le choix de son rapatriement.
S’il n’était pas à plaindre durant sa quarantaine, contrairement à la population locale, il était impatient de partir et reprendre une vie normale. En attendant, il a écumé la totalité des séries Netflix et battu le record du nombre d’heures passées devant les jeux vidéo. Tout ceci lorsque le réseau internet ne buggait pas.
- Je suis soulagé. J’ai été testé négatif au virus.
De fil en aiguille, Rémi évoque les raisons de son expatriation dans le continent africain. Il est ingénieur. A l’université, il avait choisi le mandarin pour pallier à son niveau médiocre dans les langues étrangères. L’option de la nouveauté lui permettait de reprendre à la base. Son diplôme en poche, les opportunités d’emploi tapèrent à sa porte, toutes l’expatriaient en Afrique. Incompréhensible !
- Mon départ a été dur pour ma mère. Depuis la mort de mon père, on est plus que tous les deux. Quand elle m’a annoncé son installation au Domaine, j’ai été rassuré. Enfin, bref ! Je parle beaucoup de moi. En plus à une inconnue dont je ne connais même pas le prénom ?
- Noëlie, je suis…
- Ah, oui ! La petite nouvelle.
- Oui, c’est ça ! ris-je.
- Maman m’a parlé de toi. Tu viens de Bordeaux ?
A mon tour de parler de moi et l’exercice s’avère plus difficile que ceux proposés par Jeff. Je suis dans la retenue, pourtant, il m’est facile d’échanger avec Rémi. Certainement l’avantage du téléphone. J’évoque la Gironde, mes parents, mon projet professionnel indépendant et mes épisodes de stress.
- Je te remercie de m’avoir accordé un peu de temps, Noëlie. C’est plaisant de converser sur d’autres sujets que l’Afrique et l’Ebola.
Lorsque je raccroche, j’ai la surprise de constater que nous sommes restés plus d’une heure et demi à blablater.
Merde ! J’ai raté mon rendez-vous avec le psy.
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