XV

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  L’appel du matin a réactivé ma charge mentale. Il faut que je m’occupe. Hélène a besoin de bénévoles pour distribuer les flyers et les affiches informant du colloque du 8 mars et j’ai proposé mon aide. Elle m’affecte au duo : Marianne, Anne-Sophie.

  Les deux compères sont attablés dans la cuisine, étudiant une carte du centre-ville. Elles s’attèlent à optimiser les arrêts du Fœtus (le célèbre bus hydrogène de Pau) pour rendre la distribution efficace. Je mets fin à leur calvaire, on prend ma voiture. Il a fallu tout de même user de persuasion.

  C’est parti pour une journée marathon sous la pluie. Ça commence bien, les filles ne sont pas d’accord sur l’itinéraire. On est affecté au secteur du centre-ville et je comprends mieux la raison pour laquelle elles envisageaient le bus plutôt que la voiture. Circuler au centre de Pau s’avère une vraie galère. On met donc en place une stratégie : elles descendent pour la distribution et moi, j’attends dans la clio, les warnings allumés.

  Notre organisation fonctionne bien, si ce n’est que je m’ennuie.

  • J’ai pris plaisir à la revoir, dit Manie en s’installant sur le siège passager.
  • Elle a l’air adorable, précise Anne-Sophie. Vous vous êtes connues à Paris ?
  • Oui, mais elle est paloise. Elle était adhérente du mouvement de libération des femmes à la même époque que ma sœur.

  Je profite de l’occasion.

  • Comment vous êtes-vous retrouvées avec Viviane au bout de vos onze ans de séparation ?
  • Eh bien, Viviane était bannie de la maison et donc n’existait pas. Sauf dans mon cœur bien sûr. Et dans nos lettres !
  • Vos lettres ? Vous aviez le droit de vous écrire ?
  • Le droit ? Non, Noëlie. Tu te souviens du voisin dont ma sœur était amoureuse ? Et bien, il a joué l’intermédiaire.
  • Ce garçon devait être fou de Viviane, m’amusé-je.
  • Et ce, toute sa vie ! Quarante-et-un ans de relation. Ma sœur n’a été la femme que d’un seul homme, et lui l’homme que d’une seule femme. Ce qui ne les a pas empêchés d’être de tous nos combats.

  Viviane était dactylographe dans un cabinet médical et menait sa vie en toute indépendance. Malheureusement, elle s’est vite heurtée à une autorité encore plus dangereuse que celle de son père : la Société. C’est ainsi qu’elle a débuté son engagement dans la lutte féministe.

  • Dans ses lettres, elle me décrivait les discriminations qu’elle subissait et les actions qu’elle menait. J’étais subjuguée par son aplomb, sa force. Je m’identifiais à elle, je voulais être comme elle.
  • Et tu l’es devenue, s’amuse Anne-Sophie.
  • Je n’ai pas attendu que mon père me choisisse un potentiel époux, c’est vrai. Le jour de mes vingt-et-un ans, j’ai pris mon baluchon et je suis montée rejoindre Viviane à Paris. C’était en 1964.
  • Arrête- toi, Noëlie. C’est ici !

  Je freine juste à temps devant un complexe commercial.

  Je fredonne « quand on arrive en ville ». Coïncidence. Balavoine était palois, il me semble ? Le téléphone sonne. Enfin, un téléphone sonne parce que ce n’est pas le mien. La mélodie vient de l’arrière. Je me contorsionne pour l’attraper. Anne-Sophie a du le faire tomber dans ses allers-retours. Sur l’écran, je lis : Mon cœur. Tiens donc, notre jeune retraitée a un amoureux, la petite cachotière. Je brule de répondre. Une occasion pour la taquiner. Non, ça ne se fait pas ! Oups, mon doigt à malencontreusement glissé…

  • Allo ?
  • Euh…Maman ?
  • Rémi ? reconnais-je surprise.

  Logique ! Mon cœur, c’est son fils. J’aurais pu le deviner avant. Acte manqué en conclurait Mme Grandin…

  Son avion a atterri il y a six jours et il est à Toulouse. Il descend dans le Béarn dans deux semaines. J’aurais bien continué notre conversation, mais les filles sont revenues et Anne-Sophie m’a presque arraché l’oreille pour récupérer son téléphone.

  La journée fût longue, mais productive. Si les huit autres équipes ont atteint le même score, Hélène sera aux anges, et nous, soulagés de ne pas supporter ses réflexions désagréables d’éternelle insatisfaite.

  Toutefois, de retour au Domaine, je surprends la belle avocate rigide et autoritaire, minauder avec un homme séduisant en uniforme. Sur sa veste est inscrit Pierre, aide-soignant et il n’est pas indifférent au gringue que lui fait cette dernière.

  Manie, Viviane et Hélène sont satisfaites du nouvel aide à domicile et ce, pour des raisons différentes, selon les attentes de ces dames…Seule Sarah ne cesse de le regarder de travers. La jeune fille l’a prévenu : elle le surveille. Je ne cautionne pas ses méthodes mais Pierre a eu des propos compréhensifs et adaptés. Il est informé de la mise à pied de sa collègue et approuve la décision de ses employeurs. Tendre et robuste à la fois, tout ce qu’il faut pour Hélène. POUR VIVIANE, je veux dire…

  Affaire à suivre.

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