Évidence
Jacinthe
Jane Eyre, ce roman qui a enchanté des milliers de gens est enfin entré dans ma vie. Je ne connais que très peu de détails sur cette histoire, mis à part que Jane est orpheline et qu’il y a un certain Mr. Rochester qui a séduit plus d’une lectrice. J’avais très envie de le lire, me délectant de la lecture de certains classiques. Les mots sont de simples accompagnateurs présents auprès de nous chaque jour, et pourtant, je m’émerveille encore et toujours du nombre incalculable d’émotions qu’ils peuvent procurer lorsqu’ils sont couchés sur du papier.
Anton me tire de mes pensées :
- Et si on lui trouvait une place, à Jane Eyre ?
Je me lève, lui prends la main et l’attire vers la chambre. Une fois dedans, je contemple la bibliothèque, remplie à craquer.
- Je pensais faire une étagère spéciale, où je rangerais tous les livres que tu m’as offerts.
- Elle me plaît bien cette idée. Et moi, je pourrais avoir une étagère spéciale, aussi ?
J’interroge Anton du regard.
- Je mettrais une pancarte sur laquelle serait écrit en gros : «Conseillé par Jacinthe», tu en penses quoi ?
Son clin d’œil me fait pouffer. Il n’y a qu’avec moi et de rares copains qu’il se permet l’humour franc. Il apparaît en général plutôt comme quelqu’un de sérieux aux yeux des inconnus. Et de certains proches.
- Un peu tape-à-l’œil, mais après tout, si tu en as envie…
Nous rions ensemble et j’ai presque l’impression que ce séjour à l’hôpital n’était qu’un cauchemar.
- À vrai dire, j’avais moi aussi eu une idée…
- Laquelle ?
- Je me suis dit que ce serait pas mal d’avoir une bibliothèque, une pièce qui ne servirait qu’à lire, par exemple. Un cocon, tu vois. Plein de fauteuils, de coussins, de couvertures et des livres partout. Absolument partout.
- C’est une idée géniale, Anton, mais à moins que l’on n’ait plus besoin de salle de bain ou de cuisine, je ne vois pas bien comment faire…
Mon trait d’humour ne fonctionne pas. Il semble hésiter à prendre la parole. Il ouvre et referme la bouche plusieurs fois, comme s’il n’osait pas me dire ce qu’il a en tête.
- Anton ?
- Je… Je m’étais dit que… qu’on pouvait utiliser la seconde chambre… Celle du bébé.
Le sol s’écroule sous mes pieds, me faisant tomber dans une mer déchaînée. Je me noie, je ne peux plus respirer, je coule et la surface de l’eau s’éloigne. Je n’entends plus rien. Je ferme les yeux et ne réussit qu’à chuchoter deux mots avant de fondre en larmes.
- Le bébé…
Anton
Évidemment. J’aurais dû me douter qu’elle n’était pas prête à parler du bébé. Il y a déjà six mois que nous l’avons perdu, mais la blessure semble impossible à refermer. Pour Jacinthe, comme pour moi. Je ne sais pas comment panser cette plaie interne. Je me souviens de sa panique en voyant le sang s’écouler. De l’hôpital, du médecin annonçant la fausse couche. De la détresse dans les yeux de Jacinthe. De la promesse que je me suis faite à ce moment-là. Celle de toujours la protéger, de l’épauler et de la rendre heureuse. Encore plus qu’avant. Je n’ai pas réussi. La perte du bébé l’a anéantie. Et aujourd’hui, je fais la gaffe de trop.
- Excuse-moi, Jacinthe. Je n’ai réfléchi à ce que je disais. C’était une mauvaise idée.
- Non…, sanglote-t-elle, mais je ne peux pas… parler de ça. C’est trop tôt.
- Tu ne t’en sens pas prête ?
Elle secoue la tête. C’est trop d’émotions en une seule journée. Je l’aide à se relever et la porte jusque dans le lit. Je m’assieds à côté d’elle pour lui déposer un baiser sur le front.
- Repose-toi un peu. Je vais préparer à manger. Je reviendrai tout à l’heure.
Tandis que je me lève, sa main agrippe mon bras.
- Merci, Anton.
- De quoi ?
- D’être là pour moi. De m’écouter, de me comprendre et de m’accepter.
- Je t’aime. Si je n’étais pas là, si je ne t’acceptais pas, ce ne serait pas de l’amour.
- Beaucoup de couples ne se comprennent pas. Beaucoup d’hommes n’écoutent pas leur femme, beaucoup de femmes n’écoutent pas vraiment leur mari. On dit aux jeunes filles que si elles n’ont pas confiance en elles, les garçons ne voudront pas d’elles. Il faudrait être parfait.
Pendant qu’elle parle, je retiens mon souffle. Je l’écoute poursuivre :
- J’ai voulu mourir et ça, il n’y a que toi qui tentes de le comprendre. N’importe qui d’autre aurait dit que j’étais folle, que j’étais trop compliquée. N’importe quel autre homme m’aurait quittée depuis longtemps ou n’aurait même pas pris la peine de s'intéresser à moi. Mais pas toi. Toi, tu es toujours là, tu as toujours été là.
- Et je serai toujours là.
C’est une évidence.
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