Conversation avec "Le Rêve"
DING DONG
Mais qui pouvait bien donc sonner à ma porte ? Je n'attendais pourtant personne, car moi, personne ne vient jamais me voir. Voilà qui est curieux. Intrigué, et même légèrement inquiet (parce que pour me rendre visite, il faut bien qu'il y ait un drame à m'annoncer, un déces, une épidémie, une convocation au tribunal, ou au moins une guerre nucléaire) j'ouvris la porte d'entrée.
Il se tenait là, derrière, je ne l'ai pas tout de suite reconnu, car la dernière fois il avait une forme différente. Aujourd'hui, il n'était plus cette silouhette féminine et ce visage que j'avais tant désiré, mais il avait pris l'apparence d'une espèce de gros nuage transparent, sans consistance et pourtant visible grâce au flou qui se dessinait dérrière lui. Le regarder, c'était comme ouvrir les yeux dans une piscine, ou comme observer son pare-brise un jour de pluie. J'étais cependant ravie de le revoir et m'approcha de lui pour le prendre dans mes bras, mais je ne fit que le traverser.
-Toujours aussi insaisissable à ce que je vois.
-C'est le propre d'un rêve répondit-il. Je vois que tu as fini par oublier Jade ? Je ne prends pas sa forme aujourd'hui.
-L'oublier, comment pourrais-je ne jamais l'oublier ? Je me suis résigné c'est tout. Mais si elle me rappelait demain, crois-moi que je partirai la rejoindre en courant.
Le "nuage" qu'il formait sembla se matérialiser un quart de seconde en Jade, elle qui avait si longtemps hanté mes pensées. Mais finalement il reprit sa forme invisible, inconstante et ondulatoire. J'étais vraiment résigné, c'en était désormais la preuve. Je ne savais pas si j'étais plutôt content ou triste de cette confirmation.
-Que puis-je pour toi ? Oh pardon, je t'en prie, entre.
Je m'écartais de l'ouverture pour le laisser entrer dans mon appartement.
-Tu veux boire quelque chose ? J'ai du thé, de l'eau, de la citronnade...
-Tu n'aurais pas plutôt un soda bien sucré ?
-Non désolé, le médecin me l'interdit... le diabète...
-Ah, je comprends mieux pourquoi je voulais une boisson de ce genre là alors, tu as toujours voulu avoir ce que tu ne pouvais pas avoir.
-Ne sommes nous pas tous ainsi ? Eternellement insatisfaits ?
-Je ne suis pas là pour me préoccuper des autres, c'est toi qui m'inquiète, répondit-il.
Je l'invitais à s'asseoir sur le canapé, mais il préféra s'allonger sur mon lit (il est vrai qiue j'étais fatigué et que je voulais dormir, mais ce n'était pas possible car j'étais supposé être en télétravail aujourd'hui) et je le suvais donc dans ma chambre.
-Je t'inquiète ?
-Oui, regarde-moi ! Vois la forme que j'ai aujourd'hui ! Tu n'as donc plus de rêve ?
-Il faut croire que non, répondit-je.
-Et bien ce n'est pas bien ! répliqua t-il, ça ne va pas du tout ! Il y a bien quelque chose dans cette vie qui te fait rêver ?
-Il y en a eu, tu le sais mieux que quiconque.
-C'est vrai, il y a eu cette femme, Jade, et avant elle il y en a eu une autre, comment s'appelait-elle déjà...
-Solène ?
-Oui c'est ça ! Solène ! Qu'estelle devenue ? Elle ne te fais plus rêver non plus ?
-Je l'ai épousé, répondit-je méfiant.
-Oh ? C'est fou, je ne le savais pas... et vous avez divorcé ?
-Non.
-Elle est... morte ?
-Non, elle va bien, elle rentre tout à l'heure.
Bien que je ne distinguais pas ses traits, je savais pertinemment qu'il était en train de profondément réfléchir à ces nouvelles. Le problème avec lui, c'est qu'il faut souvent tout lui expliquer...et que c'est douloureux, car il ne voit que les belles choses, il faut donc lui montrer les épreuves, les problèmes, les doutes...
-Mais, reprit-il, arrête-moi si je me trompe, tu as bien réussi à coucher avec Jade non ? Tu as donc été séparé de ta femme, puis tu t'es remis avec elle et entre temps tu as connu cette autre femme, c'est bien ça ?
-Solène et moi ne nous sommes jamais séparés, lui expliquais-je, je l'ai simplement... trompée.
-h je vois, dit-il comme si je venais de lui expliquer une banale recette de cuisine. Et donc si aujourd'hui tu ne rêves plus de Jade, c'est parce que tu t'es rendu compte qu'elle était celle qu'il te fallait ?
-Non, répondit-je, Jade était incroyable, parfaite, géniale, drôle, belle, intelligente... mais elle était mariée, comme moi. Et elle est tombée enceinte, de lui, et elle n'a plus voulu mettre en péril sa situation. Sans cela, il est probable que nous serions encore amants elle et moi.
Il avait beau être gentil, il était exaspérant de tout lui avouer. Il avait le don de vous faire comprendre, malgré-lui, que vous étiez la pire des raclures.
-Mais la situation est toute simple ! s'exclama t-il. Il te faut simplement une autre maîtresse et notre problème serait résolu.
-Hors de question, dis-je aussitôt.
-Pourquoi ? Tu n'as pas aimé
-J'ai adoré....
-Alors pourquoi ?
-Parce que j'ai trop souffert quand tout cela s'est arrêté, voilà pourquoi ! Elle m'a terriblement manqué, je n'ai jamais réussi à l'oublier... elle hantait la moindre de mes pensées, j'étais perpétuellement triste, j'en ai perdu l'appétit, et je suis devenu un enfoiré avec Solène pour compenser ma frustration alors qu'elle n'a rien fait pour mériter tout cela !
-D'accord, d'accord, pas de nouvelle maîtresse, j'ai compris, répondit-il d'une voix calme.
Il se leva de mon lit et se mit à faire les cent pas dans ma chambre. Je le "voyais" regarder partout autour de lui, en recherche d'une idée.
-Comment ça se passe le boulot ?
-Je me fais chier.
-Parfait, rêvons d'un autre travail alors !
La proposition était intéressante, mais je la savait également vaine. Toute ma vie j'avais cherché ma vocation, sans la trouver, sans y parvenir. A chaque fois que j'avais cru trouver une piste intéressante, la réalité me rattrapait.
-Ecoute, dis-je. En ce moment ça ne va pas fort, travail, amour, argent, etc... ma vie part en vrille. La vérité est que je mérite tout ce qui m'arrive. J'ai trompé ma femme, je suis sortie avec une collègue de bureau dont je suis devenu fou amoureux, obsédé, ce qui fait que je ne peux plus y retourner... quant à tout le reste, cela demande beaucoup de travail, et il s'avère que je suis incroyablement paresseux et que la moindre tâche me semble insurmontable, je n'ai plus envie de rêver, ça ne sert à rien, sinon à se rendre triste et se faire du mal.
Il cessa de marcher et m'observa silencieusement pendant de longues secondes (ou peut-être même des minutes). Je ressentais une profonde tristesse à travers son silence.
-Ecoute, dit-il, tu n'es pas parfait, mais aucune personne ne "mérite" de finir malheureux. La preuve : il y a tout un tas de connards et de connasses là-dehors, qui sont parfaitement heureux ! Tu sais que tu as fait des erreurs et tu les regrettes, oh peut-être pas pour les meilleurs raisons, peut-être simplement par égoïsme, mais tu les regrettes. Ce qui veut dire que tu es meilleurs que tous ces gens-là.
-Dis-moi, pourquoi fais-tu aussi mal ? Pourquoi ne me montres-tu que des bonheurs innacessibles ? Pourquoi lorsque le rêve devient réalité, alors ces rêves prennent une saveur amère, aigre, désagréable car l'on se rend compte que tout n'est pas aussi bien que l'on ne l'avait imaginé ? Pourquoi la plupart des formes que tu ais pu prendre au cours de ma vie ne se sont jamais réalisées ? Pourquoi ?
-Parce qu'alors, répondit-il d'une voix grave, je ne serais plus "le rêve" mais "la peur". Plus on possède de chose qui nous rendent heureux, plus nous avons peur de les perdre. Cela dit, il n'appartient qu'à toi de te lever et de travailler pour en obtenir certains, les autres te resteront inaccessibles, mais tu seras heureux de ce que tu as déjà... au moins pour un temps.
Puis doucement il s'approcha de moi et posa ce qui devait être un genre de main sur mon épaule.
-Crois en moi et tes rêves se réaliseront peut-être. Crois en toi et tes rêves se réaliseront sûrement. Bats toi !
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