Chapitre 6 : le blizzard
Le réveil de mon téléphone sonne. Je me lève plus tôt aujourd’hui, j’ai rendez-vous chez le dentiste. Dehors, il a neigé et le monde est blanc. Le chantier est à l’arrêt. Mais il est encore tôt, ils n’ont peut-être juste pas commencé. Je prends deux œufs et je vais à la cuisine. Tout le monde dort dans la colocation. Ou ils sont rentrés chez eux pour les fêtes. La terrasse est blanche aussi, les fauteuils et mon vélo sont recouverts de neige. Je fais des œufs brouillés. Sans rien d’autre, je n’ai toujours pas fait de courses. Quand je reviens dans ma chambre, Mattttthieu Noël a commencé sa chronique. Les humoristes n’ont pas de vacances. Ou c’est une rediffusion. Je m’habille chaudement et me lave méticuleusement les dents. Je descends. Au rez-de-chaussée, dans les parties communes, un groupe déjeune. Ils rigolent.
Dehors, je me rends compte qu’il n’a pas juste neigé. Il y a bien vingt centimètres. Les routes sont blanches aussi. Je vois des voitures avec des chaînes. Et un accident un peu plus loin. Une voiture dans le fossé. Je vais à l’arrêt de bus, avant de me rendre compte qu’il ne passerait pas. Alors je descends au village à pied.
Pas un chat. Juste la neige, et le bruit étouffé de mes pas. Le monde est calme, comme apaisé. Dans la descente, je glisse et me retrouve sur les fesses. Il y a une grosse épaisseur de neige, alors je me laisse glisser comme ça. Mes fesses sont gelées, mes pieds et mes mains aussi. Arrivé en bas, je me rends à la gare. Apparemment, les trains passent quand même. Beaucoup de gens attendent aussi.
Le train arrive, les gens se bousculent, je réussis tant bien que mal à me faire une place dans le wagon. Une heure à passer comme ça, collé aux autres qui puent. J’ai oublié mes écouteurs chez moi. Alors j’écoute les gens. Quelques étudiants, des personnes âgées, des gens en retard pour le travail. Beaucoup de familles qui vont à Paris pour les fêtes.
Je sors du train. La ville est devenue piétonne. Les vains efforts des services publiques pour déneiger se sont arrêtés. Le sel n’a plus d’effet. Ici c’est pire, il y a peut-être trente centimètres par endroits. Je marche vers le cabinet. Les gens sont heureux, les enfants font des bonhommes de neige à même la route. Une ou deux voitures essayent de passer avec des chaînes, mais ne font jamais que quelques mètres. Personne n’était prêt à cela.
Arrivé à l’immeuble du dentiste, je rentre. Je sonne en arrivant au cabinet. À l’intérieur, pas un patient. Je vais à l’accueil. La secrétaire me dit qu’avec la neige, aucun dentiste n’a pu venir. J’aurais dû appeler avant.
Je ressors. Il se remet à neiger. Il y a moins de monde dehors. Le vent commence à se lever. Un monsieur armé d’une pelle essaye de dégager devant chez lui. Une vieille dame ouvre sa porte, voit qu’il neige, et rebrousse chemin aussitôt. Je rentre doucement vers la gare.
Il neige de plus en plus fort. Avec le vent qui souffle, la visibilité est bouchée. Dans la rue, plus de passants. Quelques visages aux fenêtres de ceux qui n’ont pas encore fermé leurs volets. Je frotte mes mains dans mes poches. Il fait froid, et je ne suis pas assez habillé. Mes jambes sont trempées dans mon pantalon pas étanche.
La route descend. À ma droite, les poubelles d’un immeuble. Nous sommes jeudi, c’est le jour des poubelles jaunes. J’arrache le couvercle de la poubelle. Je prends un peu d’élan, et je m’assoie dessus. Cela fait comme une luge. Je glisse, de plus en plus vite, vers la gare.
À la gare, plus aucun train ne passe. Les voies sont couvertes d’un épais manteau de neige. Dehors, c’est le blizzard. Des gens se réchauffent à l’intérieur, en attendant du mieux. Ils ont été surpris par la rapidité du phénomène.
Je retourne dehors. Je marche un peu. Et comme je marche, la neige continue de tomber. Bientôt, elle m’arrive aux genoux. J’avance laborieusement. Je ne sens plus mes pieds. Le monde est recouvert d’une mer de blanc. On ne voit plus que les immeubles dépasser de chaque côté de la route. Au bout des lignes d’immeubles, tout à coup, c’est le vide. Un grand espace, recouvert de blanc. Je ne vois pas assez loin pour savoir où il s’arrête.
Je suis là, au milieu de ce qui était la ville, seul. Je forme des briques de neige avec mes mains. J’entreprends de construire un igloo. Quand je finis, il commence déjà à faire nuit. Je suis gelé, je ne sens plus mes doigts ni mes pieds. Mais à l’intérieur, il ne fait pas froid. Il fait même plutôt chaud. Dehors, il neige toujours. J’ai fait un petit trou qui me sert de fenêtre. Tout ce que je vois, c’est un tourbillon de blanc dans une nuit jaune. Les lampadaires, s’ils existent encore, ne se sont jamais allumés. La lune, grosse et ronde, éclaire le monde.
Moi, dans mon igloo, mon portable à court de batterie, je m’endors.
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