Un soir de service
Dans un brouahaha constant, parfois ponctué d'un fort éclat de rire, Efhira se frayait un chemin dans la taverne bondée. Un grand plateau sur lequel trônait des perdrix juteuses rôties aux fruits des bois, tenait par on ne sait quel miracle au bout de son petit bras. Une bouteille de champagne occupait son autre main.
- Pardon, pardon, pardon... répétait-elle à chaque fois qu'client lui faisait obstacle.
Son objectif ? Atteindre la table 298, au fond de la salle, soit à l'opposé de la cuisine. Une table située sur la mezzanine inférieure, adaptée aux groupes interespèces.
Le plateau tremblait à mesure qu'elle esquivait une foule de plus en plus dense et indisciplinée. Soudain, une queue de dragon balaya le sol et Efhira sauta. Les perdrix bondissèrent mais la serveuse garda le plateau en dessous et elles retrouvèrent leur place, non sans avoir perdu de la sauce. Elle n'eut pas le temps de constater les tâches sur son tablier qu'un rire gras vint signaler le retour de la balayette. L'humaine s'élança pour se mettre hors de sa portée et manqua in-extremis de glisser sur une flaque de bière. Elle avait développer d'incroyables réflexes pendant ces dix ans de service à "La Perdrix dorée" !
La stabilité retrouvée, Efhira se retourna vers l'individu qui lui avait posé tant de problèmes. C'était un dragon de taille modeste, plutôt rond, aux écailles brunes. Il n'était pas si imposant et pourtant, il prenait beaucoup de place ! La règle était pourtant claire pour permettre à tout le monde de profiter des joies de l'hydromel : les ailes sont gardées près du corps et la queue sous la table. Ce reptile n'en avait rien à faire.
La serveuse ne fit pas de commentaires. Le plat allait refroidir et elle ne voulait pas faire de mécontents. Conscience professionnelle. Après quelques virevoltes et acrobaties, elle atteignit enfin le pied de la 298. Mais la plateforme d'élévation était occupée.
- Monsieur, pouvez-vous pousser votre pied s'il-vous-plait ? dit-elle exaspérée.
- Oh excusez-moi...
Le dragon, bien plus imposant que le précédent, libéra la plateforme. Efhira se positionna dessus et tira le levier. Elle s'éleva jusqu'aux convives dans un bruit mécanique.
- Je suis désolée pour la présentation des perdrix, j'ai eu quelques inconvenances en chemin... s'excusa-t'elle en déposant le plat sur la table.
- Ne vous inquiétez pas, c'est déjà impressionant que vous soyez arrivée jusqu'ici avec notre commande, répondit le reptile géant avec bienveillance.
- Vous fêtez quelque chose ? demanda la serveuse en ouvrant le champagne.
- Ma fille a été acceptée à l'Académie des Hauts-Perchés !
La jeune femme leva les yeux vers ses clients. Le dragon était accompagné d'une jeune fille. Brune, menue, des yeux noisettes, quelques tâches de rousseur sur le nez et un teint blanchâtre. Elle paraissait si fragile, rien à voir avec son "père". S'il n'était pas interdit à un dragon d'adopter un humain, et vive versa, ce n'était pas courant. Efhira était donc surprise par ce duo. Cela ne passa pas inaperçu.
- Un problème ? grogna la fille.
Efhira retira sa pensée sur sa fragilité. Elle pouvait sentir toute la force d'un dragon en elle !
- Oh euh, non, bien sûr que non, begaya-t-elle, Toutes mes félicitation ! L'Académie des Hauts-Perchés est tellement prestigieuse ! Vous avez une idée de ce que vous voulez faire après ?
- Ca vous intéresse vraiment ? lui répondit-elle sèchement.
Si elle pouvait cracher du feu, elle le ferait sûrement. La serveuse déglutit.
- Adrianne, mais enfin ! C'est quoi ce ton ? Je ne t'ai pas élevée comme ça !
- J'ai faim, je ne veux pas qu'on me pose des questions.
Sur ces mots, elle saisit une perdrix et commença à la dévorer.
- Je m'excuse pour son comportement... Merci beaucoup d'avoir apporté notre plat.
Le dragon paraissait bien gêné par sa fille impolie. La jeune femme sourit, attendrie. Les soucis de la parentalité sont les mêmes qu'on soit humain ou dragon, enfant de la même espèce ou pas. Elle pensait à son petit garçon bien turbulent qui lui laissait peu de répit. Il n'avait que dix ans et elle espérait qu'il s'assagisse avec le temps. Elle avait l'impression qu'elle pourrait attendre encore longtemps...
Efhira prit congé et redescendit sur la terre ferme. Elle inspira une grande bouffée d'air pour se redonner du courage et s'enfonça dans la foule. Une autre commande l'attendait. La soirée était loin d'être terminée !
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