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Une tornade a traversé ma tête.

Lorsque nous avons pénétré dans l'Unité Protégée de l'EHPAD, une grappe d'hommes et de femmes a rivé ses yeux sur nous. Des regards en demande, en attente.

Au bout de la table, une femme était assise. Je ne la reconnaissais pas et guettais les autres visages. Je cherchais ma grande sœur dans le reste de la salle. Je ne voulais pas la reconnaître dans cet être raide sur sa chaise, cet être qui dardait obstinément sa tête vers le fond de la pièce, cet être contrit de rester là où on l'avait installée. Cet être qui ne nous accordait aucun intérêt, pour qui notre présence ne suscitait aucune joie. Ses mains blanches étaient abandonnées sur la table. Ses cheveux bien coiffés entouraient ses joues pales.

Son regard, lorsqu'elle consentait à ouvrir les paupières, jetait une telle détresse. Cette détresse, je la voyais depuis notre enfance. Mais ce jour-là, cet air tragique se trouvait amplifié par trop d'épreuves de la vie. Je me tournais vers elle, la cherchais dans ces traits durs et fermés. Je ne savais que lui dire. Une bouffée de peine enserrait ma gorge et menaçait de créer un flot de larmes que je devais contenir.

Son visage transformé ne me renvoyait pas à la jeune fille, la jeune femme qui m'a tant donné.

Alors, je m'approchais, lui disais simplement bonjour et appuyais mes lèvres sur une de ses joues puis sur l'autre. Je lui dis mon bonheur de la voir, lui rappelai pourquoi nous étions là : c'était son anniversaire. Les dames avaient prévu un gâteau avec des bougies. Nous avions apporté des cadeaux. Cela semblait la contrarier plus que tout autre chose.

Nous attendions. Sans doute une personne extérieure. Le temps s'étirait lourdement, péniblement. Malgré les musiques de fête qui tentaient d'apporter un semblant de gaîté dans la pièce. Elle s'impatientait. Comment la distraire ? De quoi lui parler alors que tout ce qui se passait à l'extérieur ne la concernait plus ? Alors que les souvenirs n'étaient que déchirure ? Je n'ai jamais su parler pour meubler le silence. Sa douleur, une souffrance si profonde finit par jeter sa colère et sa révolte en quelques mots prononcés enfin de façon intelligible. Elle ne voulait pas être mise en avant. Elle voulait juste être tranquille. Et nous lui infligions un simulacre de fête qui n'avait aucun sens.

J'ai soufflé les bougies, nous avons mangé le gâteau et, en clopinant, nous avons regagné sa chambre.

Dans cet espace impersonnel, nous avons détaché la carte qui accompagnait le bouquet de fleurs. Des mots d'Amour. Les plus beaux, les plus forts. Les mots d'Amour de sa fille. Elle ferma les yeux. Submergée par les sentiments reçus, déchirée par l'absence.

Mon seul geste fut de la bercer. Avec tendresse, me sentant inutile.


La porte refermée, en mode robot, j'ai rejoint la voiture. Dans un autre monde.

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