[Partie I - La Providence ] Chapitre 4 : Déambulations

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Chapitre 4 : Déambulations

Sulina traversa les couloirs de l’orphelinat pour rejoindre le bureau de la Directrice gouvernante de manière nonchalante comme pour montrer aux agents superviseurs, ou agents de sécurité, postés derrière leurs écrans, qu’elle n’avait aucunement peur de cette dernière. Il s’agissait pour elle d’un acte de bravoure que l’âge ingrat pouvait facilement expliquer. Ces couloirs éclairés par une lumière artificielle respiraient un certain obscurantisme. Plus l’adolescente s’enfonçait à l’intérieur de ceux-ci, plus sa frustration grandissait, cette frustration de n’avoir pas les réponses à ses questions nombreuses. Elle réalisait qu’elle ne les trouverait qu’à l’extérieur de ces enceintes protectrices et oppressantes. Arrivée au bout de l’aile gamma 8, Sulina appuya sur le bouton d’appel de l’ascenseur dont les portes s’ouvrirent quasi instantanément avant de s’y engouffrer furtivement. L’accès au bureau de Mme De Boréal était lourdement protégé et ne pouvait se faire qu’après avoir monté un dernier escalier accessible depuis « la plateforme de l’entre-deux ». Le nom de cette dernière provenait de sa position stratégique, située, en effet, au cœur du Z que formaient les bâtiments, ce centre névralgique qui séparait le dernier étage, symbole du pouvoir, et le reste des locaux destinés à accueillir et à éduquer les enfants.

Lorsque les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur cette plateforme, Sulina eut un mouvement de recul instinctif en apercevant, avec surprise, un homme grand et frêle le nez presque collé sur la porte. Ce dernier lui retourna un sourire franc et malsain qui mit l’adolescente mal à l’aise. Il s’avança alors dans l’habitacle, son épaule frôlant celle de la jeune fille qui sortit rapidement afin de poursuivre son chemin. La plateforme de l’entre-deux était très vaste et beaucoup plus chaleureuse que les autres parties de l’édifice. La manière dont avait été décoré cet espace n’y était pas étranger puisque l’on y trouvait des broderies aux couleurs ocre et rouge, une moquette gris anthracite immaculée, des colonnes aux moulures dorées qui témoignaient de la proximité du dernier étage, de la proximité du pouvoir. Il ne s’agissait pas uniquement d’une zone de transit puisqu’elle était, par ailleurs, utilisée dans le cadre des diverses cérémonies qui étaient organisées.

Plusieurs portes donnaient sur des salles de réunion, des bureaux, des espaces de conférences mais aussi d’orientation stratégique. Des agents superviseurs veillaient à ce que le calme des lieux ne soit pas perturbé ni qu’aucune intrusion ne puisse se déclarer. Ces soldats étaient reconnaissables par leur uniforme noir cintré assorti d’une manche gauche de couleur rouge, symbole de la lutte sanglante à laquelle le peuple du royaume des Yachmahaï avait été contraint afin de se libérer de son oppresseur, il y a près d’un siècle. Cette libération avait été le point d’orgue d’une révolution ayant duré presque douze ans.

Les agents superviseurs étaient ainsi des soldats du Royaume affectés à la Providence afin de garantir la sécurité des enfants qui deviendront, plus tard, des agents de combat à leur tour. Les deux bandes bleues inscrites sur l’épaule droite de leur uniforme étaient le signe distinctif de ce lieu d’affectation. Aussi, les agents superviseurs affectés directement au Royaume auprès de la famille royale portaient la prestigieuse double bande dorée qui avait fait rêver des générations d’individus.

Sulina salua de la tête les agents qu’elle croisait, ces derniers ayant été informés de sa venue dès l’envoi du message de Kaïus Lemon, et se dirigea vers le sas d’accès au dernier étage. L’opérateur de surveillance installé à la porte du sas lui demanda de confirmer son identité avant d’informer son autorité de tutelle de l’arrivée de la jeune fille. Cette dernière, agacée par tant de précautions prises, lança, amusée et moqueuse, à son interlocuteur impassible :

– il y a souvent des attaques terroristes contre Reine Mme De Boréal ?

Des échos sourds se firent alors entendre dans l’oreillette du soldat posté qui répondit par un « OK » laconique avant d’appuyer sur le bouton donnant accès à la porte du sas. Cette dernière s’ouvrit doucement et laissa s’échapper un halo de lumière rouge qui baignait la pièce. Sulina s’avança dans la zone qu’elle connaissait pour y être passée assez régulièrement depuis son arrivée à la Providence. La porte se referma derrière elle, laissant la jeune fille dans une pièce rouge sombre relativement sordide dont on ne pouvait s’empêcher de penser qu’elle avait pour objectif d’impressionner celles et ceux qui la traversait. La lumière ambiante tourna alors au vert après quelques secondes avant que la porte latérale ne s’ouvre à son tour. Cette dernière donnait accès à ce fameux escalier tant redouté, tant convoité, tant fantasmé. Sulina grimpa alors les marches deux par deux, comme pour montrer qu’elle s’amusait de cette situation dont elle avait, il faut l’avouer, relativement l’habitude.

Les portraits des Grands ayant participé à la construction du Royaume se dressaient sur les murs de l’enceinte aux circonvolutions hypnotiques. Ces personnages qui provenaient d’horizons très variés avaient tous occupé une place importante dans l’avènement du Royaume afin de lui permettre de devenir ce qu’il était. Sans toutefois l’assumer, Sulina éprouvait une certaine fascination pour ces femmes et ces hommes dont les noms étaient gravés dans l’histoire et l’inconscient collectif. Malgré son mouvement de hâte, elle ne pouvait s’empêcher d’observer ces portraits alors qu’elle enjambait les marches de manière vives et sportives. La rapidité avec laquelle elle montait, les yeux rivés sur ces visages illustres, lui donnait l’impression de parcourir plusieurs centaines d’années d’histoire de manière accélérée et de voyager dans le temps.

Arrivée en haut de l’escalier, elle effleura le bouton donnant accès au dernier étage. Lorsque la porte s’ouvrit, l’adolescente était légèrement essoufflée et perdue dans ses pensées. L’opérateur d’accueil l’invita à s’avancer et à s’assoir dans un fauteuil couleur crème, moelleux et très confortable, positionné autour d’une table basse en verre à écran tactile sur lequel défilaient des images de la Providence.

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