[Partie I - La Providence] Chapitre 17 : Ceci n'est pas un exercice!

7 minutes de lecture

Chapitre 17 : Ceci n'est pas un exercice!

Il ne fallut que quelques secondes avant que les faibles lumières de secours ne se mettent en marche à leur tour, plongeant le bâtiment dans une pénombre lugubre. Un message vocal automatique et déshumanisé tenta de s’imposer, en boucle, au-dessus du bruit assourdissant des alarmes :

« ATTENTION. CECI N’EST PAS UN EXERCICE. QUITTEZ IMMEDIATEMENT L’ENDROIT DANS LEQUEL VOUS ETES POUR VOUS RENDRE DANS LA COUR D’HONNEUR DANS LE CALME. »

Les élèves avaient l’habitude des exercices d’évacuation mais ce qu’il se passait semblait différent, notamment en raison de la nature du message inquiétant communiqué et du bruit inédit des alarmes.

Sulina se précipita dans le couloir et aperçut, avec difficulté en l’absence de lumière vive, une silhouette se hâter au fond du couloir. Sans réfléchir, elle obéît aux ordres transmis et se rendit d’un pas hâtif vers le lieu de rendez-vous. Alors qu’elle arpentait les couloirs et croisait plusieurs de ses camarades certains visiblement affolés, une pensée foudroyante traversa l’esprit de la jeune fille, comme si tous les événements qui étaient survenus depuis la veille lui éclataient en pleine figure. Et si le moment était venu ? Et s’il était temps de se laisser guider par son système nerveux sympathique, comme lui avait suggéré Vera Finshton, et de profiter du chaos ambiant dans ce murmure strident ?

Sans réfléchir, Sulina pressa soudainement le pas et bifurqua alors vers un autre couloir afin de se rendre dans la direction opposée à la Cour d’Honneur, vers la sortie la plus proche. Alors qu’elle courait à vive allure pour quitter le bâtiment, elle croisa plusieurs de ses camarades qui essayèrent de l’avertir de son erreur supposée d’orientation. Sulina les ignorait. Elle n’entendait pas, elle n’entendait plus que le bruit de son cœur qui palpitait et résonnait dans sa poitrine. Une fois à l’extérieur du bâtiment, la jeune fille se dirigea vers la station météorologique, à l’endroit qu’elle pensait avoir identifié dans l’ouvrage qu’elle avait lu quelques heures auparavant.

Elle traversa un premier champ qui entourait La Providence puis une forêt d’épineux à peine éclairée par la pleine lune. Sulina courait. Sa raison n’opérait plus. Alors qu’elle s’éloignait, le son infernal des alarmes s’estompait progressivement alors que sa smartch continuait à vomir un vacarme assourdissant. D’un geste violent et irréfléchi, elle arracha l’objet de son poignet et le jeta à terre. Sulina courait toujours sans ressentir ni fatigue ni pression, seulement un sentiment de liberté mêlé à la douce acidité du danger auquel elle goutait.

Le temps avait littéralement cessé de s’écouler mais la jeune fille continuait sa route. La forêt devenait de plus en plus dense, obligeant Sulina à réduire sa vitesse. Elle s’engouffra dans l’opacité oppressante des branches qui fouettaient, par moment, son visage. Alors qu’elle crut apercevoir au loin une lueur qui annoncerait sa sortie de la forêt, elle accéléra brusquement son pas. Au bout de quelques mètres, son pied droit se prit dans une racine qu’elle n’avait pu repérer dans la pénombre. Son corps s’envola littéralement dans une chute spectaculaire amplifiée par la vitesse non négligeable à laquelle elle se hâtait, avant de s’écraser de tout son long sur la terre humide. L’accident, aussi douloureux que traumatisant, conduisit la jeune fille dans un semi-KO. Elle resta immobile pendant un moment, peut-être 1 minute, peut-être 5, avant de bouger sa main, puis sa jambe. Son Smartcom avait littéralement explosé au contact du sol et certaines parties de son corps semblaient avoir suivi le même chemin, tant la douleur était intense. Abattue, Sulina parvint à reprendre ses esprits et, dans une rage de guerrière d’une force quasi titanesque, se releva doucement dans le seul but de continuer sa route. Le pas était beaucoup plus hésitant et la démarche aléatoire mais l’instinct avait fini par prendre le dessus. Le son très lointain des sirènes de La Providence semblait désormais appartenir à une autre dimension. La jeune femme se dirigea vers cette lueur au fond de la forêt et se retrouva de nouveau dans un champ ou plus exactement une friche. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle cavalait, ni dans quelle direction elle devait se rendre. Perdue, désorientée et rudement contusionnée, Sulina s’arrêta un instant pour reprendre le souffle qu’elle avait perdu au moment de sa chute, mit ses mains sur ses genoux et baissa la tête alors qu’elle respirait avec difficulté. Quelques gouttes de pluie acide commençaient à s’écraser sur son corps alors qu’une partie du ciel commençait parallèlement à se dégager. En se redressant, elle aperçut, en face d’elle, ce qui semblait être une antenne dépasser de la forêt qui s’ouvrait au fond du champ. Dans un sursaut d’énergie, elle se précipita tant bien que mal vers cette découverte, traversa les herbes hautes qui avaient poussé de manière anarchique et s’engouffra dans le bois la démarche chancelante. Au bout de quelques pas, son intuition fut récompensée à la vue d’un bâtiment délabré, aux vitres cassées et aux murs sévèrement fissurés. Il devait s’agir de la station. Il ne pouvait s’agir que de cette station. Sulina traina alors son corps meurtri pour faire le tour de l’édifice de taille modeste et se heurta à l’évidence que son instinct avait jusque-là ignorée : que devait-elle chercher ?

Désemparée et prise d’une angoisse inconsolable, elle tourna frénétiquement autour de la bâtisse sans objectif réel avant de s’attarder sur ce qu’il restait de la porte d’entrée en métal, à moitié défoncée notamment par les plantes qui avaient envahi l’espace. La lumière des satellites naturels qui s’échappait entre les nuages permettait sinon d’éclairer l’endroit au moins d’en distinguer les traits. Sulina parvint à se frayer un chemin en se contorsionnant douloureusement, laissant échapper un cri de souffrance, alors que la pluie localisée se faisait de plus en plus lourde. L’intérieur du bâtiment était à l’image de ce qu’elle avait vu à l’extérieur : colonisé par la nature qui avait repris le pouvoir. Des plantes, des herbes, des fleurs, des racines, des nids d’insecte, aucune trace de vie humaine, aucun indice qui sautait à ses yeux, juste un tas de ruines. La jeune femme s’empressa néanmoins à tâtons d’explorer plus minutieusement les lieux et notamment les quelques tiroirs et armoires, hélas, désespérément vides, avant de se diriger vers ce qui semblait être un vestige de mezzanine. Très délicatement, elle monta une à une les petites marches grisâtres de cette échelle améliorée bien que décrépite. L’usure de cette dernière ne pouvait lui permettre de soutenir, à l’évidence, le poids de la jeune femme qui finit par s’écrouler soudainement sur le sol de la station. De nouveau à terre, Sulina quelque peu hagarde redressa sa tête pour observer de nouveau les lieux et plus particulièrement cette mezzanine à laquelle elle mourrait d’envie d’accéder. Dans un élan d’énergie motivée par la rage, la jeune femme se précipita vers un reste d’échafaudage accroché au mur et sauta pour en agripper l’une des barres en métal. Non sans peine, elle se hissa en haut de la mezzanine pour n’en découvrir que gravas et racines. Dépitée et blessée, inquiète et perdue, elle se traina de nouveau vers le rez-de –chaussée et ressortit de l’endroit abandonné. Emportée par la fureur causée par la frustration, Sulina donna des coups frénétiques dans les amas de détritus qui s’étaient accumulés dans un coin à l’extérieur du bâtiment. La pluie avait cessé de tomber. Alors qu’elle s’éloignait de quelques pas afin de prendre un peu de distance dans l’espoir d’y découvrir quelque chose, quoique ce soit, n’importe quoi, son attention fut attirée par un bruit de feuilles provenant des bois, suivi d’un murmure sans équivoque qui lui était adressé :

– Pssst ! Par ici !

Spontanément, Sulina prit peur et se mit en position de défense en face de cette voix masculine qui émanait de l’obscurité. Le bruit des feuilles s’intensifiait lorsque soudain une silhouette sombre sortit délicatement des fourrées, tel un être démoniaque s’extirpant doucement du ventre de sa mère sainte. L’individu, grand à l’évidence, était entièrement vêtu de noir, la tête enveloppée dans ce qui semblait être une cagoule ne laissant entrevoir qu’un regard clair. Son accoutrement amplifiait le caractère fantasmagorique de cette scène. Sulina, pensant être prête à en découdre avec cet être l’apostropha fébrilement :

– Qui êtes-vous ? Que me voulez-vous ?

– Soyez sans crainte, je suis ici pour vous aider Sulina, lui murmura l’homme. Vous devez me suivre et vous enfuir de cet endroit. Nous vous intégrerons parmi nous et vous expliquerons ce que vous devez savoir. Je vous le promets. Je vous demande simplement de me faire confiance…

– Vous faire confiance ? MAIS QUI ETES-VOUS BON SANG ? Sulina s’énerva en prenant conscience que les réponses ne lui seraient toujours pas apportées.

– Nous n’avons pas le temps. Vous êtes en danger et nous avons besoin de vous.

– Pourquoi ?...

La discussion entre les deux individus fut alors interrompue par le bruit imposant d’un groupe d’individus qui s’approchait par le bois. L’interlocuteur mystérieux, pris de panique, lança en s’éloignant de Sulina, ses derniers mots :

– Ils vous ont retrouvée. Je reviendrai, nous reviendrons vous chercher. Gardez le silence, soyez patiente, soyez docile. Nous reviendrons, nous reviendrons vous chercher, un jour…vous avez ma parole.

La silhouette disparut définitivement dans la forêt. La jeune fille n’eut pas le temps de réagir, un groupe d’agents superviseurs de La Providence ayant pris possession des lieux alors qu’un autre s’était lancé à la poursuite du fantôme. Les agents, vindicatifs, avaient entouré la jeune fille et l’exhortèrent à s’allonger au sol en pointant leurs armes dans sa direction :

– Sulina Kalika. Vous avez tenté de vous enfuir et avez enfreint les règles auxquelles vous étiez soumises. En vertu des articles 95-B et 108-C du Code, nous vous demandons de vous rendre sans objection et de nous suivre. Posez doucement un premier genou à terre puis le second avant de vous allonger sur le ventre.

Sulina, désorientée, n’opposa aucune résistance et se plia sans sourciller aux ordonnances qui venaient de lui être dictées. Les agents superviseurs se rapprochèrent d’elle, lui passèrent des menottes en uliridium, alliage de l’iridium, autour des poignets et la remirent sur pied pour la ramener à La Providence. Sulina appréhendait-elle les conséquences de ses actes ? Bien entendu. Etait-elle fière de ce qu’elle venait d’accomplir ? Peut-être. En ressortait-elle renforcée dans ses convictions les plus profondes ? Qui peut le dire...

Annotations

Vous aimez lire Gilheck ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0