[Partie II - D'un royaume à l'autre] Chapitre 5 : Et la porte s’ouvrit
Chapitre 5 : Et la porte s'ouvrit
La prison baignait dans une atmosphère enivrante portée par les sons intermittents des alarmes diverses, ouvertures et fermetures des portes, cris ponctuels de prisonniers bridés par les pas militaires des gardiens qui rôdaient dans les couloirs.
Drake savait que son devenir ne dépendait plus de lui, risquant au mieux un enfermement long rendu fort probable par le conflit entre les deux nations, au pire la condamnation à mort. Seul dans sa cellule, il ruminait les suites de manière vaine, sans perspective réelle alors que les grilles se mirent à cracher le son de la voix à laquelle il n’était pas encore parvenu à s’habituer :
– Le repas sera servi dans le réfectoire alpha 10.
Les portes de sa cellule s’ouvrirent dans un bruit métallique, enjoignant l’intéressé à se présenter au lieu cité. Les couloirs étaient tapissés de stators qui veillaient à orienter, suivre et surveiller les prisonniers le long de leur trajet. Drake remarquait des femmes et des hommes comme dégouliner de leurs cellules respectives, se dirigeant machinalement vers le réfectoire. Les prisonniers étaient d’âge et d’allure variés, tous curieusement habillés en civil. Il comprît assez instinctivement que le district dans lequel il se trouvait concentrait les personnes nouvellement arrêtées dont l’affaire était en cours d’instruction. Il ne parvint toutefois pas à repérer ses compères dans la masse de prisonniers. Son regard se posa inconsciemment vers un homme d’âge mur relativement grand qui semblait chercher du regard un ou une partenaire. Les regards croisés, l’homme s’adressa à Drake, tout bas :
– Salut mon gars ! Moi c’est Jordon. Alors, tu es là pour quoi ?
Les deux hommes marchaient côte à côte veillant à rester relativement discret :
– Drake. Je suis prisonnier de guerre. Et toi ?
– Ouhaou, un prisonnier de guerre, la classe ! Moi j’ai participé au cambriolage d’une banque qui a foiré complètement. La loose totale.
– Que va-t-il se passer pour toi ?
– Je passerai en jugement sans doute demain ou après-demain puis j’aurai droit à une condamnation à 3 ou 4 ans si tout va bien. J’ai plaidé coupable, je connais le truc. Ce n’est pas ma première ici. Je suis un vieux de la vieille !
L’homme totalement détaché laissa échapper un rire gras spontané comme pour témoigner inconsciemment qu’il était en terrain connu et marquer son territoire. Les stators intervinrent alors pour mettre un terme à cet échange. Cela ne semblait pas impressionner le vieil homme qui poursuivit :
– C’est ma troisième fois ici. La première fois, ça fait flipper et ensuite on s’habitue. Tu sais, j’ai conscience que je ne changerai jamais de vie. Pas besoin de bilan de compétences pour ça. Je suis né pour ça et mourrai en délinquant !
Alors que les 2 hommes échangeaient, ils arrivèrent à une porte rouge ornée de décorations rappelant le faste des repas copieux.
Le réfectoire était composé de bancs et de tablées en métal sur lesquelles étaient disposés des plateaux repas qui semblaient particulièrement savoureux. Comme le petit nouveau qui arrive dans une nouvelle classe, Drake suivait Jordon avec lequel il avait commencé à entretenir un ersatz de relation avant de s’installer en face de lui. Ce dernier entama de nouveau la conversation :
– Prisonnier de guerre, tu risques gros toi ! Tu seras surement transféré dans le district des cadors. Tu vas en baver là-bas mon pauvre !
Jordon semblait ignorer le ton inquiétant qu’il avait adopté auprès de son interlocuteur déjà particulièrement soucieux. Ce dernier lui rétorqua à voix basse :
– Tu sembles bien connaître le fonctionnement de Wenbruch. Je dois trouver un moyen de partir d’ici. Je n’ai rien à faire là !
L’homme s’esclaffa honteusement laissant échapper des postillons énormes qui se déposèrent lourdement en partie dans sa propre assiette :
– On ne s’échappe pas de Wrendbuch mon grand. Ça se saurait. Ou alors les pieds devant ! Pense à ta petite femme, elle ne voudrait pas retrouver son mari dans un linceul !
Tu me diras, comme tu risques la peine de mort, autant tenter le tout pour le tout, c’est vrai. En tout cas, je ne peux rien faire pour toi, mon grand, je n’ai pas le plan de Wrendbuch tatouer sur mon cul !
Il présenta un rictus mêlant à la fois sadisme et compassion sincère, laissant son interlocuteur dubitatif et troublé. Drake ne cherchait pas à approfondir cet échange qu’il savait désormais à la fois empli de vacuité et vide d’intérêt.
Sur le chemin du retour vers sa cellule, alors que Jordon avait continué à échanger avec un autre codétenu, l’attention de Drake fut attirée par des rires enfantins qui se dégageaient des couloirs froids. La prison de Wrendbuch abritait-elle également des enfants ? Soudainement, maître Cabesos apparut en face de Drake, toujours affairé :
– Drake ! Je vous cherchais. Ça semble mal joué pour vous, j’en suis désolé. J’ai rédigé les comptes-rendus et les rapports en vue de votre procès. En revanche, je ne connais pas encore la date. Tenez, voici le dossier. Prenez-en connaissance, c’est important. Quoi qu’il en soit on se revoit demain, et cette fois, plus de mensonges. Bon courage pour cette nuit.
Drake se saisit alors des papiers que son avocat lui présentait avant que ce dernier ne s’évanouisse dans les couloirs, se faufilant entre les détenus. De retour dans sa cellule, le jeune homme amorça l’étude des documents afin de vérifier la nature des informations retranscrites alors que son attention fut attirée par une carte magnétique sur laquelle apparaissait les nom, prénom et visage de maître Cabesos. Perplexe et empli d’interrogations, Drake lisait les notes afin d’en repérer sinon des mensonges au moins des omissions, avant de conster la stricte retranscription des faits et informations.
Il continuait de feuilleter les pages nombreuses du dossier afin de repérer d’autres documents éventuels qui n’auraient aucune raison d’apparaître dans ce dossier. Rien d’autres que les rapports et cette carte, cette étrange carte que l’homme manipulait avec précaution tout en réfléchissant. L’avait-il oubliée, ce qui ne serait pas étonnant au vu de son manque d’organisation ? L’avait-il abandonnée volontairement ?
Instinctivement Drake se précipita vers la porte de la cellule pour tenter d’activer le verrou à l’aide de la carte. Le cœur palpitant et partagé entre le fait de ne pas y croire et l’envie irrésistible de l’envisager, et après une fraction de seconde qui semblait interminable, il découvrit l’inenvisageable, le mécanisme s’actionna et la porte s’ouvrit…
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