La danseuse divisible

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Encore un pas, puis un autre, j’ouvre les yeux et là je découvre cette immense scène qui baigne dans une lumière rougeoyante, plongeant le reste de la salle du cabaret dans le noir le plus opaque. Cette image me fait toujours un peu frissonner. Elle est presque surréelle.

Impossible de dire combien de spectateurs sont venus à cette étrange représentation. Impossible de dire à quoi ils ressemblent, impossible de différencier les hommes des machines. Ça fait des années qu’on a perdu le compte des humains travaillant pour les robots. Ici, 95% des clients ont des circuits intégrés à défaut d’avoir des artères, 4.5% sont à moitié alimentés en électricité. Les rares êtres humains à se laisser tenter par ce genre d’endroits sont souvent les têtes brûlées, les antisociaux qui ne cherchent qu’à créer des ennuis. Le reste, c’est moi.

Les humains sont mal vus ici, s’ils ne servent pas à boire. Or j’ai besoin de ce travail, si je veux continuer à vivre dans l’espèce d’immonde taudis qui me sert d’appartement. Il est construit pour un robot, j’ai l’impression d’être un handicapé dans une habitation inadaptée. Mais franchement, je saurai m’y faire. De nos jours, vaut mieux avoir un toit sur la tête. Avec les sales bêtes mutantes qui traînent dans les bas-fonds, vaut mieux pas dormir sous les ponts, au risque de ne jamais se réveiller.


Elle ne tardera pas à se montrer sous leurs regards effarés. La fille du Soleil, qu’on l’appelle. Pas de bruit, pas de musique, le spectacle est sur le point de commencer, nul n’ose bouger, ils sont tous dans l’attente. Malgré le degré effroyable d’huile qu’ils ont ingéré, les êtres chargés de rouages en cuivre restent sages et impassibles, tournés vers le centre de la pièce. Combien de temps le silence est-il maître des lieux ? Aucune idée.

Je profite de n’avoir personne à servir pour regarder l’entrée en piste de la danseuse. Et comme d’habitude, elle coupe le souffle même à ceux qui n’en ont pas. Sa silhouette brillante descend lentement, diffusant son éclat à travers toute la salle, illuminant l’espace d’un instant les spectateurs qui la suivent du regard. Aussitôt, une vague d’applaudissements l’accueille, tandis que mon collègue droïde se met à jouer une musique douce au piano pour l’accompagner. Les mains cessent de taper, les souffles se coupent pour éviter de bousculer la fragile créature qui se met à tournoyer au centre de la scène, telle une danseuse étoile, ou plutôt une étoile dansante. Et sous le regard admiratif des êtres de métal, ivres de leur huile de vidange qui leur tourne les circuits, la demoiselle enchaine ses pas et ses courbettes, avant de s’éparpiller en dizaines de fragments de lumière. Chacun exerce la suite de sa danse vivante, au rythme impeccable des notes de piano qui se succèdent les unes aux autres.

On m’appelle, je reprends mon travail parmi les clients qui en oublient ma nature humaine tant ils sont absorbés par l’extraordinaire spectacle qui se déroule sous leurs yeux. Quel dommage, je ne la verrai pas disparaître avec douceur comme elle le fait toujours.

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