Un train siffle dans la nuit

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Un train siffle dans la nuit. La lune est ronde et brille tel un projecteur naturel sur ce triste paysage montagneux. A travers ces montagnes une rivière fait son chemin. Sur son reflet, je distingue à peine la silhouette rapide du train. Les bruissements de la forêt sont inaudibles face au grincement des roues sur les rails, à cette musique mécanique qui s'enchaîne dans un rythme régulier et sans fin. Un train, dix wagons, le premier: un wagon-restaurant rempli de Schutzstaffel; les neufs autres: des wagons à bestiaux. Seul le premier est éclairé.

Mon wagon à moi est obscur. C'est le dernier.

Je ne respire plus depuis que nous sommes partis. Les ombres petites, maigres, grosses, grandes, allongées, assises ou debout s'entassent et s'écrasent les unes sur les autres. Maman est l'une d'elles, je ne la trouve plus, j'ai arrêté de la chercher. Je ne veux pas les regarder, ces ombres me font peur. Alors je regarde devant moi, la face comprimée sur les barreaux froids et rouillés de la seule fenêtre du wagon qui laisse passer le peu d'air qui nous maintient en vie et la douce lumière de l'astre de la nuit. Mais cet air je le laisse aux autres. Je ne respire pas, pas par le nez. Mon corps respire seul, chaque pores de ma peau s'ouvrent et gobent un peu d'oxygène puis se referment. Moi je garde juste la lumière; pas pour reconnaître les visages derrière les ombres. Non, dehors c'est mieux. Je dois toujours choisir le mieux parce que le pire j'y suis déjà. Donc je regarde dehors.

Dehors j'oublie l'odeur de la pisse, de la sueur, j'oublie la sensation d'avoir collé sur ma peau la peau d'un autre et de ne former qu'un avec toute cette masse de chairs autour de moi. Dehors, je cours à l'aveugle à travers herbes, arbres, branches, courant et terre. Dehors, j'en suis sûr, je saurai voler.

Le ciel est dégagé. Pas de nuages pour venir troubler la tranquillité de mon vol. La pleine lune éclaire si fort que je peux voir le vide espace qu'est le ciel. Je vois le vide. Je referme mon hublot, relève ma tablette et resserre ma ceinture bouclée depuis le début du vol. La voix du commandant de bord se fait entendre, on atterri dans dix minutes. Je déteste prendre l'avion mais je n'ai pas le choix. Hôtesses et stewards s'empressent de venir faire le tour des rangées, vérifier que tout le monde respecte les consignes de sécurité. Comme le bon élève que j'ai toujours essayé d'être je montre fièrement ma ceinture,ma tablette et mon hublot. La jolie dame me sourit, je lui plaît c'est certain. L'avion entame la descente et mes mains s'accrochent fermement aux accoudoirs de mon siège. Les roues brûlent le bitume sur une bonne vingtaine de mètres avant de complètement s'arrêter. J'ouvre les yeux et l'avion est presque vide. « Monsieur, tout va bien ? ». Oui, jolie dame, je vais bien. Je m'en vais saisir mon bagage-cabine, mince mes doigts. J'ai tellement serré les poings que je ne peux plus déplier les doigts.

Bagage dans un bras, valise à un autre je m'apprête à passer les portes de sortie de l'aéroport. Chacun de mes pas sont lent, la terre ferme est agréable à fouler. Et puis dehors c'est pas beau. Il est dehors, le destin, il m'attend.

Les portes s'ouvrent, la lumière m’éblouis. « Il fait jour ? ». Non, vielle dame, il fait encore nuit. Ce sont juste les projecteurs de l'entrée du camps qui sont braquées sur nous. Les carcasses qui me collaient auparavant, disparaissent en une vague humaine hors du train. Je m'en rend compte maintenant, il fait froid. J'entends que l'on crie, pas les cris des gosses ou des mères qui sont dehors, non un cri proche. Un corps est debout près de moi. Je veux le voir mais ma tête ne bouge pas. Mince ! Mes pieds ne touchent pas le sol et ma tête coincée entre les barreaux me maintient au-dessus du sol. Je ne m'en étais pas aperçu peut-être grâce à la masse cadavérique qui d'une certaine façon alléger le poids de mon corps sur les muscles de mon cou.

Il suffit d'un coup au SS pour me tirer de là. A peine sur pieds que je m'effondre. L'homme me soulève au-dessus de son épaule et me porte jusqu'au troupeau de prisonniers rabattus devant le portail. Je suis sorti du wagon, pourtant aucune joie ne me transporte.

« 1 photographe, 2 photographes, 3 photographes, 4 photographes, 5 photographes, 6 photographes, 7 photographes, 8 photographes, 9 photographes et 10 photographes ? ». Même dans mes cauchemars cela te prend 10 secondes pour te montrer. Petite sœur tu es la lumière qui illumine chaque moment de ma vie. Depuis le jour où tu es née, jusqu'au jour où tu m'as volé l'amour des parents, des grand-parents, jusqu'au jour où mes amis ont commencé à t'apprécier plus que moi et jusqu'à aujourd'hui où tu restes depuis toujours le trou noir qui bouffe tout autour de moi. Pas de bises, cette fois ce n'est pas contre toi. Tu le sais que je déteste le contact. Pas de paroles échangées, tu ne l'as pas oublié : je déteste te parler. J'ai beau ne pas t'aimer je dois reconnaître que j'apprécie quand tu sais te souvenir. La voiture.

Toujours ce vieux pot de yaourt vert pomme. Débarrasses-en toi ! « Mamie y tenait beaucoup. ». Je sais me souvenir aussi, c'est ce que tu réponds à chaque fois.


« Eh bien marche maintenant ! ». L'homme me pose à terre. Un coup de botte au train et je suis la foule qui avance. Maman es-tu encore en vie ? Je t'avais oublié, pardonne moi. Je ne vois pas devant moi mais je sais qu'au bout du chemin la mort nous attend. Elle est si bête, quelles âmes voudrait-elle prendre. Tout le monde ici a perdu la sienne. Nous sur la route, des petits morceaux d'âmes éparpillées le long du chemin de fers. Les SS : perdues ou cachées au fond de leurs bottes, pour ça qu'elles font si mal. Le silence et pourtant tu l'entends comme moi la chanson :

Clic ! Clic ! Clic !

Tu entends ? Les chaînes à leurs pieds.

Ploc ! Ploc ! Ploc !

Que c'est beaux, Les cochons qui pleurent.


Je ne l'ai jamais entendu pourtant à cet instant je la connais par cœur. « Il pleut ? » Oh non, ce sont mes yeux. Ils gouttent. Non ne pleure pas. Pourquoi maintenant, pourquoi pas pendant le trajet ? pourquoi pas quand papa est entré dans un autre train ? pourquoi pas quand la police a frappé à notre porte la vielle ? C'est un signe peut-être. Maman tu réponds toujours à toute mes questions.

Avec toi je comprends tout. Où es-tu ?

Un boum. Un silence !

Tout défile, lentement. Les souvenirs. Rien à changer, tout est plus vieux sauf les montagnes.

« Tiens ! Un chemin de fer ? Était-il toujours là ?

-Jonas, tu sais bien que plus aucun trains ne roulaient ici avant même notre naissance. D'ailleurs maman nous a quand même toujours interdit d'y jouer.

-Je ne m'en souvenais plus. Pourquoi ?

-Pourquoi quoi ?

-Pourquoi nous l'avoir interdit ?

-Je me suis posée la question de nombreuses fois et j'ai finis par oublier.

-Ah...

-Mais je m'en suis souvenue il y a peu et j'ai demandé à maman pourquoi.

-Et ?

-C'était des wagons à bestiaux. »

Maman je sais maintenant. C'est ça avoir très mal. Ne souffre pas trop maman, j'arrive. Je te rejoins. J'ai froid, mon sang me réchauffe. Oh tiens ! Le train siffle.

WIWANE Azaëlle,06/09/2022

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