Chapitre 14 : Le tableau
-Loënia, attends !
La fée tourna la tête vers l’inconnu qui venait de l’appeler. Elle connaissait cette voix douce et froide à la fois. Elle resta sur place, indécise mais pas assez idiote pour ne pas se préparer à lancer un sort.
L’homme la rejoint vite, trop vite, presque comme un vampire. Loënia reconnut alors à qui elle avait affaire.
-Adrien.
La fée n’était pas plus rassurée d’être en face du commanditaire des meurtres qui se déroulaient actuellement dans le Finistère. Il était à presque deux mètres l’un de l’autre. Elle gardait à l’esprit qu’il était un vampire et qu'elle était blessée. Elle se rassurait en se disant qu’il ne lui sauterait pas dessus. En revanche, elle était convaincue qu’il avait dû sentir le sang sur elle. Sa blessure au front était visible, elle l’avait vu dans le reflet de son téléphone portable et son bras était brûlé.
Il portait un costume bleu marine et des chaussures noires. Il avait l’air d’avoir vingt-cinq ans. Si elle l’avait croisé dans la rue, elle n’aurait jamais pensé qu’il menait un clan de vampire qui ne cessait pas son expansion.
-Tu es blessée.
-Belle déduction, fit-elle en ne sachant pas sur quel pied danser. Vous marchiez ?
Elle se rappelait les paroles de Noé sur un certain Adrien de Val qui avait déposé des annonces pour rechercher sa famille. Elle n’était pas sûre de vouloir parler de ça avec le vampire maintenant.
-En fait, je te surveillais.
Le cœur de la fée s’accéléra brutalement. Adrien ne lâchait pas son regard.
-Pourquoi ?
-Je crois que tu t’en doutes déjà.
Elle ne répondit rien. Elle était déjà épuisée et peut encline à engager la conversation. Elle regarda derrière elle, le groupe de garçons ne l’avait pas suivi. Elle se disait que peut-être, sur un malentendu, elle pourrait faire demi-tour et faire semblant de rentrer chez elle.
-Qui t’a fait ça ? Et inutile de me dire que tu es tombée.
Loënia mordilla sa langue. Les yeux marron du vampire l’observait de haut en bas. Elle n’osait pas détourner le regard, de peur qu’il ne l’agresse. Certes, elle n’était pas la plus rapide des deux, mais elle avait ses pouvoirs magiques de son côté.
-Eh bien les chutes de vélo peuvent être graves, vous savez… Bon, je vais y aller, hein.
Loënia fit volte face. Adrien se trouvait devant elle avant qu’elle n’ait fait demi-tour. Elle le fixa durement mais le regard profond comme une crypte que lui renvoyait le vampire lui donnait la chair de poule.
-Il faut que nous parlions sérieusement. Par ailleurs, j’aimerais bien avoir la suite de la raison de ton appel, en novembre dernier.
-Je vous ai appelé en novembre ? S’étouffa la fée.
-Évidemment, répondit Adrien, peu content qu’on se moque de lui.
-Je.. Je n’en savais rien.
Adrien s’était érigé devant elle, un air à la fois hautain et furieux peint sur le visage.
-Je suis tombée, enfin, j’ai perdu tous mes souvenirs d’octobre et de novembre dernier, alors, je n’en savais rien.
Loënia détestait bredouiller ainsi. Elle avait l’impression d’avoir treize ans et de passer un oral.
Adrien plissa les sourcils.
-Dis-moi que tu plaisantes. Tu m’avais laissé un message, me disant très poliment que tu avais des questions à me poser par rapport aux membres de ma famille que j’ai perdu il y a de cela 18 ans. Après avoir tenté de te rappeler, je n’ai eu aucune réponse.
Si la voix du vampire était posée, une certaine agressivité était présente à l'arrière-plan.
-J’ai dû changer de portable, l’ancien était brisé.
Adrien sembla réfléchir. Il passa sa main sur sa joue. Loënia souffla un nuage de buée dans l’air froid du soir. Elle finit par croiser ses bras pour avoir un peu plus chaud. Les étoiles n’étaient pas visibles à cause de la pollution lumineuse. Adrien la poussa doucement d’une main sur son bras sain. Ils durent aller sur le trottoir car une petite voiture arrivait dans leur rue. Loënia appréciait le silence qu’il lui offrait. Elle était tout simplement épuisée.
-Qui t’a blessé ?
-Personne, répondit Loënia. Ça n'a aucune importance.
Adrien saisit le bras de la fée qui grimaça et gémit.
-Ce n’est rien, ironisa le vampire, en effet. Tu essayes de protéger la personne qui t’a fait cela. Arrête de lever les yeux au ciel, c’est très irritant.
-Pourquoi me suivez-vous et depuis combien de temps ? Rétorqua-t-elle. Et lâchez mon bras !
Adrien haussa les sourcils. Il desserra ses doigts et Loënia serra son bras blessé contre sa poitrine.
-Je répondrai à ta question quand tu auras répondu à la mienne.
Loënia, bien consciente d’avoir potentiellement quelqu’un de sa famille biologique, devant elle, fit un effort pour ne pas rouspéter.
-Un ami de fac.
-Vraiment ?
Il eut un long silence.
-Tu es une piètre menteuse.
-Je sais, soupira la fée sans rien ajouter.
Ses genoux tremblaient. Elle frissonna.
-Viens chez moi, fit soudainement Adrien. Je te soignerai.
-Je ne peux pas, s’écria-t-elle en écarquillant les yeux.
Elle commença un mouvement de recul du pied et aussitôt la douleur dans son dos reprit et la fit s’arc-bouter. Adrien ne chercha pas à l’approcher pour l’aider, ce qu’elle apprécia.
-Je suis convaincu que si tu es sorti ce soir, c’est dans un but précis. Tu cherches quelque chose et il n’est de toute évidence pas chez toi. Tu n’as aucune raison d’y retourner ce soir et tu n’y seras pas en sécurité. Alors je te pose la question : Comptes-tu vraiment rentrer chez toi ?
Loënia se redressa un peu.
-Hé, vous aviez dit que vous répondriez à ma question si je répondais à la vôtre. Non, j’avais dans l’idée de me promener et ça n’allait pas plus loin. Je ne fais pas vraiment de plan sur le long terme.
-Grave erreur.
Loënia leva les yeux au ciel une fois de plus. Elle remarqua alors à quel point elle avait froid. Ses mains étaient marbrées de veines violettes.
-J’ai une voiture, je peux t’amener chez moi. Tu y seras en sécurité.
-Pourquoi me suiviez-vous ?
Adrien, dans son beau costume, fit quelques pas sur le trottoir. Il passa une nouvelle fois sa main sur sa joue.
-Je te suis depuis plusieurs jours car il semblerait que tu sois mon arrière-arrière-petite-fille. Il y a 21 ans, mon fils Lysandre et son épouse Lune ont eu une fille nommée Loëne. Ils ont été assassinés chez eux. Le corps de l’enfant n’a jamais été découvert et, un beau jour, alors que je demandais à deux vampires de mon clan d’aller me chercher Rashnoé Corasone, un sorcier reconnu et apprécié dans l’intention de l’assassiner, je me retrouve avec une jeune femme qui s’appelle Loënia, qui a l’âge qu’aurait dû avoir mon arrière-arrière-petite-fille et surtout, qui a la même odeur que mon fils. Je ne pense pas utile de préciser que tu leur ressembles. Alors voilà, pourquoi je m’évertue à te surveiller alors que tu fugues de chez toi en pleine nuit et blessée.
Loënia ne savait que répondre. Le silence de la nuit, comblée de crissements d’insectes et de croassements lointains, ne faisait qu’approfondir la fraîcheur de minuit et le blanc entre eux. Aucun n’osait fonder d’espoir sur ce hasard parfait.
La pluie avait cessé et avait décoré les routes de flaques d’eau aux reflets argentés et aveuglants. Ce n’était pas la lune qui se reflétait dedans mais la lumière des lampadaires. Le froid faisait trembler la fée qui avait encore plus mal à ses blessures.
-Viens, lui intima Adrien, il va se remettre à pleuvoir.
Il retira sa veste et la posa sur les épaules de Loënia. La jeune femme le remercia d’un signe de tête. Elle tenait les pans de la veste dans ses mains. Elle était surprise de l’attitude humaine du vampire.
-Je n’ai pas oublié que octobre et novembre, parvint à dire la fée sans savoir pourquoi elle exprimait ses pensées à haute voix, mais aussi Rashnoé qui est mon meilleur ami depuis mon enfance. Mon cousin m’a également certifié que j’avais été ensorcelé.
Loënia, dont la voix tremblait, suivait Adrien dans la nuit, sans savoir où elle allait mais avec la seule certitude qu’il ne lui arriverait rien de plus aujourd’hui.
Adrien sortit une clef de voiture et appuya dessus. Aussitôt, les phares de celle-ci clignotèrent et aveuglèrent momentanément la fée. Adrien ouvrit la porte côté passager et Loënia monta dans la voiture. L’automobile était bien plus spacieuse que celle de sa mère.
Le vampire s’installa derrière le volant. Avec la faible lumière de l’habitacle, ses cheveux semblaient noirs, comme ses yeux marron. Il avait l’air contrarié, mais quand il remarqua que Loënia l’observait, il lui offrit un sourire encourageant.
-On va où ?
-Au QG mais cette fois-ci tu ne seras pas prisonnière.
Loënia avait un autre point de vue sur la situation. Elle n’aurait aucun pouvoir magique donc aucune chance de s’en sortir si jamais elle s’était trompée sur le compte d’Adrien. Après tout, son jugement pouvait être altéré par la fatigue de ses blessures et des cours.
Loënia, tout en regardant par la fenêtre les ruelles qui défilaient, se réjouissait qu’il soit vendredi. Elle ne raterait aucun cours demain puisque c’était le week-end. Il régnait une agréable odeur de cuir dans l’habitacle. Adrien avait dû mettre le chauffage pour Loënia car elle se sentit presque tout de suite plus à l’aise.
Elle essaya de mémoriser le chemin pour se rendre au QG mais elle perdit rapidement le fil car elle ne connaissait pas les routes qu’Adrien empruntait.
Ils arrivèrent après un quart d’heure et se détachèrent. Loënia sortit lentement de la voiture, son bras et son dos l’élançaient. Adrien l’attendit, ils avancèrent ensemble jusqu’au manoir. Si Loënia n’avait pas spécialement peur des vampires, elle craignait tout de même de se retrouver dans le repère d’un clan.
Adrien poussa la porte. Le grand salon, l’autre fois vide, était maintenant plein. Tous les vampires se tournèrent vers le meneur et la fée qui venaient d’entrer. Certains jouaient à la console, d’autres se battaient, d’autres encore lisaient ou discutaient, parfois les deux en même temps, dans ce brouhaha. Elle avait l’impression d’être entrée dans une joyeuse ruche. Loënia se sentait comme une rondelle de carotte parmi des petits pois. Mangeable, mais pas du tout à sa place.
Quand Loënia tourna la tête vers Adrien, elle se rendit compte qu’il ne paraissait pas dérangé. En tant que meneur, il devait être habitué à ce genre de regards.
La fée évitait stratégiquement chaque œil en regardant les murs ou le chef du clan. Il lui fit signe du menton de la suivre, sans donner plus d’explications à son équipe. Ils prirent le même dédale de couloir et entrèrent dans la même chambre. Finalement, Loënia se demanda si c’était bien celle d’Adrien. La pièce était énorme et semblait trop impersonnelle pour être celle de quelqu’un.
-J’aurais peut-être dû te soigner avant, les discussions vont bon train maintenant… fit Adrien en regardant vers le mur. Peu importe. Montre-moi ton bras.
Loënia qui se tenait au beau milieu de la pièce, posa la veste de costume d’Adrien sur le lit. Elle remarqua avec regret qu’elle était froissée. Elle retira son bras de la manche de son pull et constata que la brûlure, si elle n’était plus aussi rouge, s’était agrandie. Elle purulait et la brûlait atrocement. Adrien l’observa pendant moins de cinq secondes puis scruta la tempe blessée de la fée.
-Je reviens.
Loënia, à moitié vêtue de son pull, entreprit de le remettre quand elle sentit une main froide dans son dos. Elle sursauta.
-Tu es couverte d’hématomes, fit la voix dure comme un roc derrière elle.
Elle se retourna et fit face à Adrien. Elle avait certes accepté de le suivre alors que tout son bon sens lui criait l’inverse, elle n’avait pas accepté qu’on la tripote.
-Ca va disparaître, assura-t-elle en enfilant son pull. Ce n’est rien. Si, ce n’est rien, continua-t-elle devant l’air furax qui se dessinait sur le visage d’Adrien.
-Tu es dans un nid de vampires, couverte de sang et de blessure et tu penses vraiment que ceci n’est rien ? Je m’interroge sérieusement sur ta santé mentale.
Loënia, peu curieuse de savoir si Adrien pensait vraiment ce qu’il disait, haussa les épaules. Elle vint s’asseoir au bord du lit pour se reposer. Le vampire disparut.
Elle sortit son téléphone portable. Seul Noé lui avait envoyé une vidéo sur Mistigri il y a une heure, qu’elle se promit d’aller regarder plus tard. Elle hésita à lui envoyer un message, elle ne voulait pas l’inquiéter. Elle espérait que personne, pas même ses sœurs, ne s’était rendu compte de sa disparition.
Loënia scruta la pièce. Le tableau de la dame à la robe bleue était toujours là. Une grande armoire trônait contre un mur. Elle lui fit penser à celle de Narnia, ce qui lui donna envie de lire de nouveau les livres. Une large fenêtre devait donner sur le bois mais, à minuit passé, elle ne renvoyait que le reflet d’une fée courbée, épuisée et blessée.
Loënia, sans grands espoirs, tourna la paume de sa main vers le plafond et essaya de créer quelques flammes. Rien ne vint. Elle ne soupira pas.
Elle entendit quelques pas et vit revenir Adrien avec une tasse fumante. Il ferma la porte derrière lui.
-Lait, chocolat et quelques gouttes de mon sang. Cela devrait suffire pour toutes tes blessures.
Loënia, très polie, prit la tasse malgré le fait qu’elle contienne de l’hémoglobine. Elle sourit rapidement au vampire avant de sentir la chaleur du mug lui réchauffer les mains. Elle se résolut à porter la tasse à ses lèvres et en but quelques gorgées. A sa grande surprise, elle ne retrouva pas le goût du sang et son bras ne l’élança plus.
-Merci beaucoup.
-C’est normal. Un de mes vampires s’est proposé pour te faire un dîner, je lui ai dit que c’était une bonne idée.
-C’est très gentil.
Adrien avait entendu le ventre de Loënia gargouiller dans la voiture. Cette dernière, ragaillardie par la boisson, se leva pour faire quelques pas dans la pièce.
-Vous m’aviez reconnu quand j’ai été amené ici, du coup ?
-En fait, j’ai reconnu l’odeur de mon arrière-petit-fils. J’avais des doutes alors, je vous ai laissé la vie sauve, à toi et Rashnoé.
Pour la première fois, ils rirent ensemble. Adrien lissa l’une de ses manches. Il avait l’air chic d’un siècle passé. Il se tenait droit en toute circonstance, semblait immuable et imperméable face à la fatigue. Loënia se rembrunit en songeant qu’elle aurait aimé ne pas se montrer couverte de blessures.
Hey !
Comment allez-vous ?
Que pensez-vous de l'attitude d'Adrien face à Loënia ? Et vice-versa ?
Votre opinion sur ce chapitre ?
Bonne journée !
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