Le lendemain matin, Loënia se leva à sept heures. Elle ne déjeuna pas. Elle évitait toute sorte d'empoisonnement possible. Même si l’idée de faire un test ADN et de trouver un lien entre elle et Adrien de Val la réjouissait énormément, elle ne pouvait oublier le fait qu’aucun autre de ses souvenirs n’était revenu. Peut-être qu’elle ne pouvait pas recouvrer la mémoire en un jour, ou peut-être qu’elle avait été, une nouvelle fois, empoisonnée.

Vêtue d’une robe crème et d’une veste en cuir, elle grimpa dans la voiture d’Adrien de Val. Elle lui avait demandé de ne pas se garer devant chez elle, car elle avait dit à ses sœurs qu’elle sortait voir son cousin. Loënia était décidé à tout raconter à Raison, une fois que l’affaire serait démêlée. Elle aurait aimé relater ses aventures à Liséa également, mais elle était, aux yeux de Loënia, trop jeune et trop proche d’Ambatine.

-En quoi consiste le test ADN ?

-On dit bonjour, quand on est poli, répondit aussitôt Adrien dans un sourire.

-On ne kidnappe pas des êtres vivants quand on est bien élevé.

-Donc des morts, je peux ?

Ils rirent.

Adrien était venu chercher Loënia à la gare routière où elle était descendue du car. Sa démarche était rapide et légère, telle la fée qu’elle était. Si sa robe était à bretelle, sa veste couvrait son tatouage féerique. Elle avait opté pour une tenue pratique comme elle avait des examens à réaliser.

Le laboratoire se trouvait à quelques minutes en voiture. Sur le chemin, Loënia eut le temps de raconter son nouveau souvenir au vampire qui sembla surpris de l’apprendre. Il aurait aimé, autant que Loënia, que d’autres morceaux de sa mémoire lui reviennent.

Une fois garé sur un parking quasiment vide en ce dimanche matin, tous deux sortirent de la voiture. La fée observa les branches feuillues des arbres du trottoir. A l’autre bout du parking, des adolescents faisaient du skate board. Des flonflons parvinrent à Loënia et Adrien - lui devait clairement entendre les paroles des chansons.

Le laboratoire avait été construit dans les années soixante-dix. Si le matériel à l’intérieur était récent, comme le constatèrent les deux patients, l’esthétique du bâtiment reflétait une période architecturale abolie depuis une décennie ou deux.

A peine eurent-ils fait trois pas qu’un vampire aux iris noires les accueillit. Sa voix chaleureuse résonna dans le bâtiment vide. Adrien semblait bien le connaître. Peut-être était-il dans le même clan.

-J’espère que vous avez facilement trouvé le labo !

-Oui, fit Adrien en lui serrant la main, j’étais déjà venu dans ce quartier. Sean, je te présente Loënia.

Aussitôt, le scientifique se tourna vers la fée qui lui sourit. Ils se serrèrent également la main. Il devait avoir une trentaine d’années quand il avait été transformé en vampire. Ses sourcils étaient épais et ses cheveux blonds bouclaient légèrement. Si Loënia repérait tous les détails qu’elle pouvait, c’était pour tromper son propre esprit. Elle était tendue d’anxiété.

-Je suis le directeur de ce labo, content de te rencontrer. .

-Moi aussi, dit la fée qui se sentait de plus en plus stressée.

Sean les guida jusqu’à une salle qui ne semblait pas être accessible au grand public. Une sorcière aux cheveux bleus et aux yeux orangés travaillait sur un ordinateur portable. Elle se leva de la chaise où elle était assise dès que le trio entra dans la salle.

Sean présenta la jeune femme du bras :

-Voici Auromy, elle est laborantine ici.

La pièce était remplie de bureaux, d’ustensiles médicaux comme des stéthoscopes, de seringues sur des plateaux, d’ordinateurs hors de prix, de microscopes plus ou moins grands et d’un tas d’autres outils inconnus aux yeux de Loënia. Tout faisait penser à l'hôpital, ce qui fascina la fée.

-Le test ADN, reprit la sorcière, consiste à faire un prélèvement buccal puis une prise de sang, rien de bien compliqué.

Loënia hocha la tête, puis échangea un regard avec Adrien. Si la fée était anxieuse, le vampire à ses côtés semblait aussi détendu que s’il allait lire un bon livre sur sa terrasse.

-Suis-moi, lui indiqua Auromy, on va aller s’installer là-bas.

Quelque part au fond de Loënia, une petite voix fut rassurée à l’idée que ce ne soit pas le vampire qui lui fasse sa prise de sang. Elle suivit Auromy au fond de la salle, derrière un paravent. Elle s’asseya sur un fauteuil et se laissa faire. De temps en temps, elle entendait quelques échos de discussions et reconnaissait la voix d’Adrien.

La fée eut donc un coton tige dans la bouche puis une aiguille dans le bras. Rien n’avait été douloureux, ce dont elle était heureuse. Mais après tout, elle avait eu le dos couvert d’hématomes et la tempe ensanglantée, une prise de sang ne pouvait pas être si terrible. Auromy avait été adorable et n’avait cessé de lui parler. Elle devait maintenant avoir une idée du CV de Loënia - aime les animaux, fée, en licence de lettres modernes, amnésique et surtout adoptée.

Loënia fut plus déconfite en apprenant qu’il fallait au moins une semaine pour obtenir les résultats. Elle se rasséréna en se disant qu’avec la période de partiels qui arrivait, elle serait bien occupée.

La jeune femme respira bien mieux une fois en dehors du laboratoire. Elle observa le bitume, puis les minces parcelles de ciel bleu qu’elle entrevoyait entre les nuages. Une fois devant la voiture d’Adrien, celui-ci consulta sa montre.

-Il est onze heures trente. Est-ce que ça te dirait de manger au restaurant ?

Loënia, surprise, sourit.

-Pourquoi pas !

-Parfait, s’exclama Adrien en posant sa main sur le capot de sa voiture, tu as une préférence ? (Loënia secoua négativement la tête.) Alors ce sera donc une surprise.

Ils entrèrent dans la voiture et reprirent la route. D’un côté du ciel, la pluie menaçait les Finistériens tandis que de l’autre, le ciel invitait à la baignade.

La fée était surprise que ce vampire souhaite déjeuner avec elle alors qu’ils n’avaient pas encore les résultats de l’analyse ADN.

-Donc nous aurons les résultats dans une semaine, conclut Loënia pour rompre le silence qui s’était installé.

-Effectivement.

Adrien semblait jeune. Tellement jeune qu’il n’avait pas l’air d’un meneur mais plutôt d’un étudiant en fin de parcours. Lui et Loënia avaient la même teinte de cheveux, brun et lisse. Il portait quasiment systématiquement un costume, de couleur sombre sans être forcément noir, et des chaussures lustrées, le tout le vieillissait de quelques années.

-Tu sais… reprit le meneur des vampires du Finistère. Même si les résultats sont négatifs, rien ne nous empêche de rester en contact.

Ce fut le premier regard hésitant qu’Adrien adressa à Loënia.

-Bien sûr !

La jeune femme, vêtue comme à son habitude d’une robe, lui souriait. Peut-être était-ce le fait d’avoir fondé beaucoup d’espoirs sur Adrien, mais elle le considérait un peu déjà comme un oncle ou un cousin. Elle ne savait pas trop où le placer, car, même s’il s’avérait être son arrière-arrière-grand-père, il avait l’air d’avoir 26 ou 27 ans.

-C’est formidable, balbutia Loënia.

La jeune femme était au téléphone, le haut-parleur déclenché pour que Rubis Lebret puisse également entendre l’appel du laboratoire. Devant le sourire qu’arborait la fée, Rubis ne pouvait qu’être heureuse pour son amie. Les deux femmes venaient de terminer leur journée de cours. Elles étaient encore dans l’enceinte de la faculté, devant un escalier couvert de terre sèche et de quelques morceaux de papier. Cet appel ne pouvait pas mieux tomber.

Sean, le directeur d’un des laboratoires de Brest, avait appelé Loënia la première. Sous le choc de l’annonce, elle se sentait beaucoup moins mal à l’aise de parler à cet homme. Rubis observait la petite fée avec ses grands yeux bleus.

-Merci beaucoup de me prévenir. Est-ce que vous avez appelé Adrien ?

Loënia observait la cicatrice en forme de bâton sur la joue de Rubis. Celle-ci s’était blessée il y a une bonne dizaine d’années en tombant sur un trottoir.

-Non, je compte le prévenir tout de suite. Je vous souhaite une excellente journée.

-A vous aussi, bégaya Loënia avant de raccrocher.

Elle releva le regard vers Rubis et se mirent à sauter et à hurler dans un même éclat d’émotions. Elles se prirent dans les bras de l’autre, surexcitées de bonheur.

-Je suis tellement contente pour toi ! Commença Rubis. Adrien va être rassuré de t’avoir enfin retrouvée !

Loënia, tremblante, plaça ses cheveux derrière ses oreilles.

-C’est génial, je suis vraiment heureuse d’avoir trouvé quelqu’un de ma famille !

La fée ne voulait pas penser au fait que ses parents biologiques étaient donc bel et bien morts, assassinés par un inconnu. Elle avait bien l’intention, la prochaine fois qu’elle verrait Adrien, de lui poser des questions sur eux, ce qu’elle n’avait pas osé faire auparavant.

Loënia eut une idée.

-Je pense aller à Lent sorceler pour rejoindre Noé. Je veux retrouver mes souvenirs, quitte à ce que mon tatouage féerique devienne noir.

Rubis passa sa main sur les épaules de son amie.

-Alors je viens avec toi ! Je sais qu’on a des révisions à faire mais là, je serais incapable de me concentrer sur quoi que ce soit. Comment y va-t-on ?

-Si tu te sens d'aplomb pour marcher vingt minutes, on peut, élucida Loënia. Sinon il y a un car qui peut nous déposer près de la boutique.

-Va pour la marche, comme ça nous pourrons discuter.

Les filles se dirigèrent vers la grande porte vitrée qui servait de sortie à leur faculté. Elles esquivèrent quelques étudiants et prirent un chemin piéton sur leur droite.

-Tu es bien sûre que la boutique est ouverte ?

-Absolument, assura la fée. Noé travaille à temps-plein là-bas. Il ne ferme que le dimanche. Je vais lui envoyer un message pour le prévenir.

A peine l’étudiante eut-elle pris son Smartphone dans sa main que l’objet se mit à vibrer. Elle décrocha aussitôt.

-Adrien ?

Dès qu’elle entendit la voix du vampire, le déjeuner qu’elle avait partagé avec lui lui revint en tête. Adrien l’avait invité dans un restaurant chic de Brest qui était “créature friendly” comme l’avait dit le serveur à Loënia. En effet, L’imaginé servait du sang à la carte et ne demandait pas aux sorciers de porter des lentilles. Il était exclusivement réservé aux créatures magiques et aux humains qui étaient au courant de leur existence. Loënia fut heureuse d’entrer dans ce restaurant. Elle en avait entendu parler quelquefois mais elle n’était jamais allée dîner là-bas. Bien qu’elle avait très envie d’y inviter Rubis, elle avait tiqué en voyant l’addition. Ou du moins, en l'apercevant car Adrien avait refusé de partager la note en deux.

Les filles louvoyaient sur le large trottoir. Il faisait étonnamment beau pour un mois de mai breton.

-Tu as reçu l’appel du labo ? lui demanda Adrien de Val.

-Oui, fit-elle joyeusement.

Rubis leva les bras pour toucher les feuilles d’un arbre.

-C’est vraiment formidable qu’on soit de la même famille ! Je vais à Lent sorceler pour essayer de chercher un sortilège pour retrouver mes souvenirs. Je ne pense pas qu’on aura des résultats ce soir, mais je te tiens au courant, d’accord ?

-Bien sûr.

Loënia pouvait sentir le sourire dans la voix de son arrière-arrière-grand-père.

Les deux femmes continuèrent leur chemin jusqu’à la boutique. La devanture était si misérable que Rubis proposa son aide pour la nettoyer. Loënia lui répondit que la boutique était enchantée et qu’avoir une plus belle vitrine ne changerait rien à l'afflux conséquent de clients qui fréquentaient déjà l'échoppe.

-Salut, salut ! s’exclama Loënia en entrant dans le magasin.

La boutique était vide mais la fée remarqua bien vite le chat noir aux yeux jaune posté sur le comptoire.

-Coucou Matze !

-Bonjour, s’enquit Rashnoé en sortant des réserves, deux cartons empilés dans les bras.

Le chat, en sautant du comptoir, devint un grand jeune homme aux épaules aussi larges que son jean. Rubis poussa une exclamation et rit devant le phénomène.

-Eh bien, j’adore cette boutique !

-J’étais persuadée que tu t’y plairais, lui sourit Loënia. Rubis, je te présente Matze et Rashnoé. Les garçons, voici Rubis, ma camarade dans cette catastrophe que représentent nos études.

Matze, dégingandé mais plus souriant que jamais, s’approcha de Rubis. Ils commencèrent à discuter comme s’ils se connaissaient depuis des années. Pendant ce temps-là, la seule fée de la pièce approcha son meilleur ami et le serra fort dans ses bras.

Rashnoé déposa un baiser sur son front.

-Qu’y a-t-il ?

Toujours collé l’un contre l’autre dans un mélange de parfums et de plantes, ils se regardaient dans les yeux. Loënia souriait.

-Le test ADN est positif, Adrien est bien mon arrière-arrière-grand-père. Arrière-arrière-grand-père qui n’a même pas l’air d’avoir trente ans et qui est responsable de meurtres dans toute la région. Bref, je ne veux pas penser à ça maintenant. J’aurais un service à te demander.

Hey !

J'aime bien ce chapitre mais durant ma réécriture (qui ne devrait plus tarder maintenant), je rallongerai ces scènes. Je trouce que ça va un peu vite. Qu'en pensez-vous ?

Bonne journée !