Chapitre 28 : Bal estival
Loënia ouvrit les bras pour accueillir Rashnoé.
Jamais elle n’aurait pensé qu’Adrien lui aurait prêté sa voiture. Sa voiture. La fée, heureuse de cette preuve de confiance, n’avait rien fait d’autre que de chanter pendant tout le trajet entre le manoir où elle résidait temporairement et la maison des parents de son petit-ami.
Ces derniers étaient sur le seuil de la porte, ravis de voir leur fils et Loënia sourirent. Ils se rapprochèrent pour discuter, curieux. Ce serait la première fois où leur enfant allait se rendre à un bal organisé de un, par des fées et de deux, par la famille royale des fées de Bretagne. Tout le gratin serait présent, bien sûr.
-Tu ne m’as pas vue conduire depuis une éternité, fit Loënia en attachant sa ceinture.
Rashnoé fit un signe de croix avant de regarder vers le ciel, les mains jointes. La fée lui donna un coup de coude dans le bras.
-Ah, ah. Tu es vraiment drôle. Tu verras quand je te déposerai sur le bas-côté dans un endroit que tu ne connais pas.
-Mais madame, je connais la Bretagne entière !
Loënia fit la moue, incapable de le croire. Elle démarra la voiture et apprécia le bruit du moteur. Forcément, Adrien ne pouvait pas conduire une voiture électrique. Il préférait de loin les modèles puissants et bruyants. Tous les deux portaient de splendides tenues. Rashnoé s’était acheté, spécialement pour l’occasion, un costume trois pièces qui lui allait parfaitement. Sur ce point seulement, Rashnoé entrait parfaitement dans le cadre que la mode française avait choisi. Ses vêtements lui allaient toujours bien. Loënia avait opté, par défaut, par la seule robe habillée qu’elle avait emportée chez Adrien. Elle était persuadée de l’avoir déjà portée pour un bal, il y a un ou deux ans. Peu importe.
-Tu vas voir, on va rencontrer plein de personnes censée être de ma famille dont je n’ai aucun souvenir. J’espère que ça se passera bien. Tu sais comment sont les fées… Elles se nourrissent de ragots jusqu’à ce que la peau de leur ventre soit bien tendue.
Rashnoé s'esclaffa. S’il craignait peu de se faire juger pour son statut de sorcier, il s’inquiétait surtout pour sa petite-amie. Loënia était différente. Elle n’était plus considérée comme une fée par beaucoup de membre de son espèce. Par ailleurs, l’aura magique qui l’entourait s’était modifiée. Elle l’avait dit elle-même, sa magie avait été transformée. Il ne lui restait plus qu’à l’appréhender de nouveau et aux autres d’accepter qu’elle n’était plus la même.
Même sans le changement opéré par son tatouage féerique, qu’elle n’avait pas cherché à dissimuler par sa robe, Loënia avait évolué. Elle avait découvert que sa mère adoptive était une meurtrière, elle s’était fait effacer la mémoire et poignarder. Rien n’était plus pareil.
Ils se garèrent près d’une voiture des années quatre-vingt toute cabossée. Loënia crut se souvenir de l’avoir déjà vu sur le parking deux ou trois fois.
Elle fourra son téléphone portable et ses clés dans son réticule et gémit en signe de protestation.
-Je n’ai aucune envie d’y aller.
-Je sais, Loëne. Cependant, dit-il en lui prenant les mains, tu dois te montrer. Tout le monde doit savoir que tu as fait un sortilège. Ils doivent mourir d’envie de te revoir et je pense que le mieux est de leur donner satisfaction. Garde ton dos droit, sourit, peint ton visage d’un air confiant et ça va le faire.
Et c’est ce qu’elle fit. Main dans la main avec un sorcier, elle fut annoncée. Elle pénétra dans la salle de bal au rythme de ses escarpins à talons.
Les lustres magiques étincelaient de mille feux. Les peintures aux murs remuaient et réagissaient au son de la musique classique répandue par l’orchestre.
Aussitôt, elle fut repérée par Horod qui, dans un coup calculé, s’avança vers eux.
-Bonjour Loënia, je suis content de te revoir.
Puis, il se retourna et serra la main du sorcier.
-Je suis sincèrement honoré de vous rencontrer, jeune homme. Raison m’a soufflé votre nom. Il me semble que vous tenez Lent-Sorceler rue des Sabotiers ?
Rashnoé, content de l’accueil, acquiesça.
-Effectivement. C’est la boutique de mon père. C’est lui qui m’emploie. Je ne vends pas uniquement des artefacts pour sorciers, loups ou vampires, les fées sont également les bienvenues.
Loënia, fière de son compagnon, lui lança un regard emplit d’amour. Il était vrai que les fées se rendaient peu dans sa boutique, Loënia n’en avait jamais rencontré d’autre.
-Je n’hésiterai pas à y passer, dans ce cas.
-Vous y serez bien accueilli, affirma le jeune homme.
Suite à cela, beaucoup de grands-oncles et de grandes-tantes extrêmement éloignés vinrent saluer Loënia et faire la connaissance de Rashnoé. L’une d’elle vint même pincer la fesse de Rashnoé qui rougit de surprise et de désapprobation. « Belle pêche » avait-elle alors commenté à l’oreille de Loënia.
Après ces interludes, Raison et Amare réussirent à s’approcher suffisamment des curiosités de la soirée. Rashnoé et Loënia eurent droit, en signe de salutation, à la main droite de Raison en premier plan.
-Devinez quoi ?
-Je suppose que tu es fiancé, renchérit Rashnoé. Mes félicitations à vous deux !
-Oui, félicitations !
Loënia fit un câlin à Raison ainsi qu’à son beau-frère.
-Même quand vous n’étiez pas fiancés, tu faisais déjà partie de la famille.
Amare la remercia sincèrement d’un regard. Raison posa sa main sur l’épaule de Rashnoé qui lui sourit en guise de réponse.
-Il en est de même pour toi.
-Où est Liséa ? Demanda Loënia.
-Partie avec d’autres filles de son âge.
Loënia sursauta en entendant la voix de baryton de Braken résonner dans ses oreilles.
-Bonjour à tout le monde, articula-t-il rapidement. Et congratulation à vous deux. C’est vraiment formidable.
Il accorda un regard à chacun. Loënia devina qu’il voulait dire quelque chose, ce qui ne rata pas.
-J’ai une idée formidable pour résoudre les conflits inter espèces au sein de la Bretagne, or, je ne peux pas la réaliser tout seul.
-On t’écoute, confirma Loënia devant le silence circonspect de chacun.
-Je veux fonder un conventicule d’espèces. Un conventicule avec des fées, des sorciers, des vampires, des loups et pourquoi pas des humains. Mais, je suis d’avis que comme les humains ne sont pas au courant de l’existence de notre gêne spécifique, cela ne sert à rien de leur donner cette information donc je pars du principe qu’ils n’ont rien à faire dans ce conventicule.
-Suis-je le seul à me demander ce qu’est un conventicule ? Intervint Rashnoé.
-C’est une petite assemblée secrète souvent illégale, lui chuchota Loënia.
Braken acquiesça avant de reprendre.
-Réfléchissez. Un conventicule pourrait tout résoudre. Je dis bien tout et je ne suis pas quelqu’un de fondamentalement optimiste. Nous pourrions fonder un groupe. Tout d’abord petit, entre nous, puis il s’agrandira. Nous créerons des alliances, des accords, des réunions, des assemblées, des activités ensemble. Nous agirons pour le bien commun.
Loënia songea que son cousin était né pour faire de la politique. Amare et Rashnoé croisèrent simultanément leurs bras sur leur poitrail.
-Qu’en dites-vous ?
-C’est fort ambitieux, commenta Raison. J’y crois.
-Moi aussi, fit Loënia. Si nous même ne nous acceptons pas alors nous sommes foutus.
Amare et Rashnoé échangèrent un regard de connivence.
-Je veux bien me lancer dedans, mais que cela n'empiète pas sur nos études, commenta le premier.
-Bien sûr, lui répondit Braken. Rashnoé ?
Les deux jeunes hommes se jaugèrent du regard.
-Etant donné qu’il y a encore quelques mois tu me harcelais et que tu venais briser mes affaires et saccager ma boutique parce que je suis un sorcier, je trouve cela bien hypocrite de ta part. Cependant, il est hors de question que je laisse Loënia s’enfoncer dans ce bourbier sans moi. Je suis des vôtres.
La fée en question lui sourit dans un remerciement silencieux.
Ils furent interrompus par un tintement de cloches mélodieux. Horod allait réciter son discours. Il se tenait droit sur le parquet de chêne. La foule de magiciens l’entourait, tantôt bienveillante et curieuse, tantôt soupçonneuse et blasée.
-Bienvenue, bienvenue à tous ! Chère famille, chers amis, je suis heureux de vous avoir ici réunis. Je voudrais remercier ceux qui viennent de loin, ceux qui partagent la soirée avec nous pour la première fois, ceux qui nous ont manqué ainsi que tous ceux qui se sont donnés du mal pour organiser ce bal.
Il analysa la foule et sourit à quelques visages. Braken se rapprocha de Loënia.
-Le bal de l’été est une tradition à Cryset et cela depuis bien longtemps. Vous n’êtes pas sans savoir que des tensions s’élèvent en Bretagne.
-C’est vrai que tu vis chez le psychopathe ?
Loënia fit les gros yeux à son cousin.
-Adrien n’est pas un psychopathe, chuchota-t-elle. Et c’était l’idée de Raison de m’envoyer là-bas. Liséa ne me supporte plus.
Le prince la fixa si longtemps qu’elle crut qu’il pouvait percer son esprit pour lire à l’intérieur. Elle se reconcentra sur le discours du roi.
-Je cherche actuellement à prendre contact avec tous nos alliés pour pallier les divergences qui entravent la paix. Comme vous le savez déjà, j’ai fait signer un traité de paix aux sorciers ainsi qu'aux loups. Les effets s’en font ressentir maintenant.
Tout le monde tourna la tête vers Rashnoé qui se mit à rougir et Amare qui garda un air digne.
Braken se pencha près de la tempe de Loënia.
-Adrien pourrait être l’un de nos alliés s’il acceptait de calmer ses troupes. Les meurtres doivent cesser définitivement.
-Ils ont cessé, renchérit Loënia.
Braken posa sa main sur le poignet de sa cousine.
-Ah oui ? Ce n’est pas parce que les médias n’en parlent pas que cela n’existe pas.
Parfois, Loënia le haïssait.
-Je vais parler à Adrien mais je ne peux rien te promettre.
Horod déblatérait toujours. Les doigts de Braken se resserrèrent autour du poignet de Loënia comme un serpent autour de sa proie.
-Oh que si, Loënia. Bien sûr que tu dois promettre. Ce sont des fées, ce sont des sorciers, ce sont des loups et des humains qui meurent toutes les semaines. Prends ton courage à deux mains et va dire à ton vieux de reprendre les rênes de sa meute ou les fées le feront à sa place.
Braken réussit à garder un faible volume de voix malgré son raisonnement. Cette fois-ci, la jeune femme resta silencieuse assez longtemps pour que Braken détourne le regard et lâche son poignet à présent douloureux.
-Tout ce que tu souhaites est d’obtenir l’approbation de ton père. Tu veux faire de grandes choses juste pour la gloire que tu pourrais en retirer. Rash a raison, tu es un hypocrite, Braken.
-Tu es bien dure avec moi.
Il souriait à sa cousine. Cela rappela à Loënia la façon dont il aimait faire des discours et jouer au roi quand ils étaient enfants. Loënia avait toujours eu le rôle de sujet.
-Tu as changé, Loënia, entre le moment où tu as perdu la mémoire et maintenant. Moi aussi, je peux avoir changé, tu ne crois pas ? Je veux peut-être obtenir l’approbation de mon père, mais cela ne veut pas dire que je ne fais pas ce que je fais pour de bonnes raisons. Des personnes meurent et crois-le ou non, cela me touche, même pour quelqu’un comme moi.
De nombreuses rumeurs traînaient sur le prince de Bretagne. Des on-dit murmuraient qu’il avait déjà assassiné plusieurs fées.
Rashnoé toussa et poussa légèrement Loënia pour se faire une place entre elle et Braken.
-Désolé de vous interrompre mais j’ai une question, est-ce normal que des adolescents s’amusent à faire exploser des pétards qu’ils ont eux-mêmes créer derrière la vitre ?
Le sorcier désigna une grande baie vitrée qui laissait percevoir des corps plus ou moins longilignes et tordus de rire. Braken et Loënia échangèrent un regard paniqué avant de sortir en courant de la salle de bal.
Hey !
Nous nous retrouvons avec un chapitre un peu plus court (je coupe une scène au bon endroit, au moins). Sinon cela aurait fait au moins 13 minutes de lecture D:
Enfin,
Buvez de l'eau,
Portez-vous bien (c'est le plus important),
Bises,
Jane Anne
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