Chapitre 30 : Divergences
-Bon. Ca ne s'est pas déroulé de la pire des façons que j'avais imaginé mais ça ne s'est pas non plus passé aussi bien que ce que j’avais pensé.
Rubis sourit en coin à son amie. A présent, elles marchaient toutes les deux dans Cryset, sans vraiment savoir où aller.
-Je suis désolée, tu avais dû imaginer autre chose quand tu as eu l’idée de voir Matze aujourd’hui.
-Oh, ne t’en fais pas, nous aurons d’autres occasions pour nous voir.
Elle sautilla un instant avant de se retourner vers Loënia. Le soleil couchant teintait ses cheveux d’une couleur de flammes.
-Nous allons participer à une révolution ! Tout va s’améliorer, c’est sûr. Peut-être que les loups vont pouvoir revenir au Finistère et que les vampires vont se calmer ! Ça serait vraiment l’idéal.
Loënia hocha la tête, soudainement ensevelie sous une vague de doute. Est-ce qu’elle même imaginait vraiment la quantité de travail qui allait les attendre ? Non, sans le moindre doute. Les mentalités ne changeraient pas aussitôt et les habitudes étaient installées.
Loënia aida Rubis à ranger quelques affaires dans son appartement étudiant. En fin de compte, il n’y avait pas grand chose à réorganiser car la louve vivait dans un studio. Cette dernière avait cependant profité de ses bourses pour s’acheter un tas de bouteilles de thé glacé qu’elle avait empilées dans un coin sans jamais les jeter. Submergée par l’ampleur de sa collection, elle et Loënia firent trois aller-retour aux poubelles de tris au pied de son immeuble. Rubis allait rentrer chez ses parents, dans l’Est de la Bretagne, la semaine prochaine.
-Qu’est-ce qui rampe au pied de l’escalier ?
Loënia releva la tête vers Adrien de Val. Elle était à quatre pattes en train de scruter chaque pièce et de regarder sous tous les meubles, en quête de son écharpe.
-Tu l’as retrouvée ? Oh, c’est formidable !
Elle se leva d’un bond et épousseta sa robe.
Adrien la lorgna d’un regard amusé.
-Tu effraies les vampires.
-J’en suis très fière. En fait, j’ai lu une sage, La passe-miroir. Le personnage principal, Ophélie, possède une écharpe qui réagit un peu comme un chat. Je me disais donc que je pourrais tenter le même enchantement sur mon écharpe mais…
En vérité, dès que Loënia avait prononcé la formule, qu’elle avait trouvée sur un forum de fées, son écharpe de laine s’était tordue dans tous les sens et avait glissé sous la porte de sa chambre pour fuir le plus loin possible d'elle.
Adrien croisa les bras sur sa poitrine tout en continuant à l’observer de ses grands yeux marron.
-Il me semble qu’adopter un chaton aurait été plus sage.
Loënia haussa les épaules avant de quitter la pièce.
-Je vais rattraper mon erreur ! Ça ne devrait pas être si compliqué.
Loënia trotta dans les couloirs jusqu’à l’escalier principal où Malo se tenait, les bras raides. Il tenait le plus loin possible de lui l’écharpe en question.
-On dirait un hamster, commenta la fée.
-Je te jure que ton “hamster” a essayé de me mordre.
-Oh, elle n’est pas si méchante…
Mais dès que Loënia tenta de s’en approcher, elle fut giflée par les tiges de laines du vêtement.
Piquée au vif, la fée tenta, avec l’aide de Malo, de rouler l’écharpe en boule pendant près d’un quart d’heure. Quelques vampires qui passaient par là rièrent d’eux, après avoir obtenu une explication exhaustive. Loënia était contente d’amuser quelques vampires, au risque de perdre un ou deux doigts avec son écharpe diabolique.
-Tu devrais peut-être lui donner un prénom.
Loënia partit dans un grand éclat de rire.
-Tu es sûre que ça changera quelque chose ?
-Un prénom bien choisi est très important.
Malo, sans l’ombre d’un sourire enjôleur, affirma ses propos avec une oeillade des plus sérieuses. Loënia fit la moue.
-Et tu aimes bien ton prénom, toi ?
-Bien sûr que je l’aime bien, c’est moi qui l’ai choisi !
La jeune femme hésita un instant avant de comprendre.
-Oh, d’accord. Je ne savais pas !
Le lendemain matin, Loënia emprunta la voiture d’Adrien pour se rendre directement à l’appartement de son petit-ami. Les rayons du soleil sur le bitume humide l'aveuglaient. L’écharpe bien calfeutrée dans une boîte en bois dans le coffre, Loënia put conduire l’esprit tranquille. Dans la nuit, le châle avait réussi à s’échapper une nouvelle fois de la chambre de la jeune femme et avait détruit un vase en porcelaine.
Rashnoé, plus amusé qu’autre chose, désanima l’écharpe d’un simple sortilège. Il n’avait jamais dû affronter une écharpe aussi remuante. Il était ravi que les bougies ensorcelées qu’il vendait dans sa boutique se comportasse d’une meilleure façon. Il avait relaté à Loënia ses exploits lors de son dernier cours de théâtre. Sa professeur l’avait félicité car elle trouvait qu’il progressait admirablement vite. Les cours durant l’été ne prenait place qu’une semaine sur deux et en fonction des disponibilités des enseignants mais Rashnoé s’en accommodait très bien. Il faisait appelle à Matze s’il avait besoin d’être remplacé à Lent-Sorceler et travaillait dur sur son temps libre. Il confia même à sa petite-amie qu’il aurait aimé commencer plus tôt cette activité. Il y avait pensé au collège, mais sans jamais concrétiser son idée.
L’après-midi, Adrien avait proposé à Loënia de sortir en ville de Brest. Une nouvelle exposition avait été installée aux Ateliers des Capucins. Ce quartier, ancienne congrégation religieuse, abritait aujourd’hui un restaurant, des logements, une bibliothèque ou encore plusieurs hangars qui se transformaient régulièrement. Cette fois-ci, une exposition sur les “créatures de la nuit” avait été créée. Loënia déjeunait lorsque Adrien lui avait suggéré cette idée de sortie. Il savait qu’elle peinait à trouver des activités pour s’occuper durant l’été. N’ayant pas de travail, sa principale occupation était de lire des livres - loin de lui déplaire - Adrien s’inquiétait tout de même de son manque de sortie à l’extérieur.
Parée d’une robe et de son sac à main, la jeune femme attendit son arrière-arrière-grand-père devant sa voiture. Loënia souriait. Le soleil couvrait sa peau de chaleur et embellissait le jardin de l’immense demeure. Rien n’indiquait qu’une couvée de vampire résidait là à l’année, prête à vous déchiqueter au moindre faux pas.
Subitement, elle se rappela la première fois qu’elle avait été amenée ici. Elle était effrayée. Elle ne voyait que Rashnoé et cette atroce demeure couverte des nuages d’un froid soir d’hiver. Les murs lui avaient semblé encore plus hauts et menaçants. Les buissons avaient paru être constitués de ronces et d’orties. Adrien semblait alors être la chose la plus terrifiante qu’elle n’avait jamais connu.
Adrien de Val descendit les quelques marches du perron. Il portait encore une fois un costume. Seulement, remarqua Loënia avec étonnement, celui-ci était d’une couleur inhabituelle, au moins pour Adrien.
-Joli costume ! Je ne t’avais jamais vu porter de violet avant ou quelque autre couleur !
Adrien lui sourit, l’air content. Dès qu’il approcha de l’automobile, celle-ci s’ouvrit automatiquement.
-C’est normal, car c’est du bleu. Du bleu lavande.
-Oh, fit Loënia en grimpant dans la voiture, magnifique costume couleur bleu lavande, dans ce cas.
Adrien semblait avoir vingt-cinq ans. Sans paraître tout juste entré à l'université, il possédait quelques traits qui le faisaient paraître plus âgés. Ses manières n’étaient clairement pas celles d’un étudiant né dans les années deux mille. Son langage évoquait davantage un haut fonctionnaire. Toutefois, ses yeux si vieux semblaient trahir, dans leur éclat, sa façon d’appréhender le monde, de l’aimer et de le détester à la fois. Rien ne lui échappait.
Adrien et Loënia eurent le déplaisir de tomber sur des travaux puis sur tous les feux rouges de Brest mais, par un incroyable hasard, la bonne humeur d’Adrien ne changea pas d’un pouce. Loënia, autant pour trouver une place de parking que pour se divertir, regardait les magasins qui défilaient devant ses yeux. Une boutique de jouets pour enfants la fit sourire. Elle et ses sœurs avaient été très gâtées avec Ambatine. Mais, quand même, qu’elle aurait aimé avoir un tipi dans sa chambre avec pleins de peluches légumes !
Après dix minutes à la recherche d’une place de parking et quelques conseils avisés de Loënia, Adrien se gara près d’un arbre. Si près que Loënia dût rentrer le ventre pour sortir de la voiture.
Ils marchèrent lentement sur le sol bitumé. Les immeubles entièrement neufs et le téléphérique épatèrent Loënia comme si c’était la première fois qu’elle venait en ces lieux.
-Tu me disais que tu connaissais l’organisateur ? Comment s’appelle-t-il, déjà ? Je ne crois pas t’avoir demandé son prénom.
Adrien accéléra soudainement, le visage encore davantage réjoui.
-Il se nomme Arthur Gérard.
Loënia passa sa main dans ses cheveux pour les retenir. Le vent de Brest ne la réjouissait guère.
Ils franchirent les immenses portes de l’ancien réfectoire. Tous deux furent surpris de la pénombre des lieux. De longues planches pendaient d’un plafond aux poutres de fer. Une lumière dansait aux pieds des visiteurs venus en nombre. Des rubans, des tissus, des panneaux avec des inscriptions et un chemin tracé guidaient les curieux.
-L’exposition a été faite pour les yeux des humains mais également pour celle des vampires, lui souffla Adrien.
-Je vois que tu t’es déjà renseigné, de Val.
Loënia se retourna vers le drôle d’individu devant ses yeux. L’homme était un peu plus grand qu’Adrien mais sa tête semblait plus petite. Peut-être était-ce dû aux énormes lunettes en bois qu’il portait ? Sa moustache brune et sa longue chemise rouge détonnaient de mille feux. Personne ne pouvait en douter : il avait pratiquement écrit sur son front qu’il était l'artisan de cette exposition.
Loënia, en se rapprochant du duo, vit mieux les traits de cet inconnu. Il était plus jeune qu’elle ne le pensait, mais il avait tout de même l’air d’avoir une bonne trentaine d’années.
-Arthur, je te présente Loënia de Val.
Si Loënia fut surprise d’entendre qu’elle avait changé de nom de famille, bien qu’elle en avait précédemment discuté avec lui, elle n’en montra rien. Elle sourit à Arthur et lui serra la main. Elle était douce, il mettait de la crème, Loënia apprécia.
-Vous avez le même front, conclut aussitôt l’artiste.
Loënia échangea un regard amusé avec Adrien.
-Je vous crois. L’exposition est très belle, pour ce que je viens d’en voir.
-C’est très gentil à vous de me le dire.
Loënia, après un regard à Adrien, décida de s'éclipser. Elle erra gaiement et se promit d’inviter Rashnoé ici. Elle était rassurée de l’avoir vu aujourd’hui, il semblait beaucoup moins contrarié de rencontrer Braken vendredi prochain.
La jeune femme fut frapper de voir un vampire devant elle, ou du moins, une énorme bouche et des canines qui apparaissaient en transparence dans le tissus. Si les vampires avaient des canines plus longues que la moyenne, ils ne les mettaient pas en avant - à part pour effrayer.
Plus loin, un véritable chaudron répandait une agréable odeur de camomille. Loënia resta un moment à l’analyser, juste pour s’assurer que rien d’étrange ou de paranormal n’allait sortir pour intoxiquer les visiteurs. Non, ce chaudron n’était là que pour rajouter un grain théâtral à l’atmosphère déjà glauque.
-Toi aussi tu te demandais ce qu’il avait préparé là-dedans.
Loënia tourna la tête en direction de la personne qui venait de s’exprimer. Non, elle n’avait pas rêvé, Lelio se tenait devant elle.
L’homme d’une cinquantaine d’années n’avait pas changé depuis qu’elle l’avait rencontré à Lent-Sorceler. Il semblait toujours aussi à l’aise, partout où il se trouvait, et avait revêtu le même costume et les mêmes mocassins que la dernière fois qu’elle l’avait vu.
-Eh bien, se justifia Loënia, je n’ai pas encore compris si l’artiste était une fée ou un sorcier alors oui, je me méfie. Il y a des humains ici.
Après un sourire en coin, et un regard pour la foule, Lelio se rapprocha de la jeune femme, comme si parler à voix basse était devenu une nécessité.
-Tu as bien raison, il ne faudrait pas qu’ils meurent empoisonnés. Mais ils sont si nombreux…
Loënia trouva sa remarque déplacée et le laissa affronter son silence.
-Qui a-t-il ? Finit-il par lui demander, ses prunelles bleues plantées dans celles de Loënia.
-Je me demandais comment vous aviez su que les problèmes allaient bel et bien me tomber dessus. Ce jour-là, dans la boutique, vous avez balancé ça juste pour le plaisir ou avez- vous réellement des dons de divination ?
Lelio sourit un instant.
-Il est sorcier.
Loënia le dévisagea.
-Arthur, l’artiste, c’est un sorcier.
-Oui, génial, rétorqua la fée, mais ce n’est pas ce que je demandais.
Si Arthur était un sorcier, soit il portait des lentilles, soit il avait été une fée car ses yeux étaient tout sauf fluorescents.
Lelio trempa ses doigts dans le chaudron de camomille et dessina un cercle dans l’eau. Ses mains étaient abimées, comme s’il avait passé sa vie à faire la vaisselle.
-Si tu savais ce que je peux voir à chaque instant…
Il continua à observer les soubresauts de l’eau avant de, finalement, relever les yeux sur Loënia.
-Je suis devin depuis ma naissance. Bien sûr, j’ai appris à développer ce don et, heureusement pour moi, je ne percevais pas autant de choses durant mon enfance qu’aujourd’hui.
Il s’arrêta là.
-Comment est-ce que cela fonctionne ? Vous avez des visions constamment ?
Loënia s’écarta pour laisser passer une mère et sa fille qui auraient largement pu faire deux pas de plus pour ne pas la déranger.
-Il y a bien un an, j'ai eu une vision. Je t’ai aperçu en train de ranger des pierres. Ensuite, je t’ai vu avec Adrien de Val dans la même voiture. Vous sembliez bien vous entendre. Puis j’ai vu Ambatine disparaître au loin. Sachant que c’est ta mère adoptive, j’ai tout de suite déduit ce que j’ai déduit. Plus tard, un soir alors que je lisais des recettes de cuisine, je t’ai vu. Tu étais encore avec Adrien, mais cette fois-ci dans une pièce sombre. Vous vous disputiez.
Loënia songea aussitôt au bureau de son aïeul. C’était une pièce qui aurait pu être lumineuse, si Adrien avait daigné ouvrir les volets. Elle ne s’était jamais fortement disputée avec lui, bien qu’elle savait que cela arriverait vite, si elle souhaitait avancer sur la question des meurtres.
-Loënia.
La voix claqua dans son dos comme un fouet sur le flanc d’un cheval. Adrien et Arthur se tenaient derrière elle.
Heyyy !
J'espère que vous vous portez bien
Laissez-moi vous dire qu'Adrien n'était pas prévu du tout dans ce passage. Il a débarqué comme ça, dans une scène que je n'avais même pas pré-imaginé !
Bonne journée à vous,
Jane Anne
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