Chapitre 34 : Mordu

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Loënia avait abandonné ses affaires de sport et son épée dans sa chambre. Elle avait d’abord posé l'arme sur son lit, puis sur la commode. Elle s’était demandée si elle devait la rendre invisible mais elle s’était résolue à ne pas le faire. Elle faisait confiance aux vampires.

Revêtue d’un short et d’un t-shirt qu’elle avait repassé grâce à la magie, elle alla jusqu’à la cuisine. Elle mourait de faim. Elle trouva du saumon fumé et du beurre dans le réfrigérateur ainsi que du pain sur le plan de travail. Cela lui suffisait pour se préparer un sandwich. Elle le mangea en vitesse et but beaucoup d’eau. Elle lança un enchantement à la vaisselle pour qu’elle se lave elle-même puis fila à la recherche de Thaïs.

Le manoir était animé. Plus longtemps Loënia restait ici, plus elle appréciait la vie dans cette fabuleuse demeure. Chaque jour ou presque, elle faisait une nouvelle connaissance. Chaque jour ou presque, malgré les embûches semées sur son chemin, elle découvrait une nouvelle pièce, de nouveaux livres, des peintures ou des statues anciennes et d’innombrables vampires qui étaient nés à différentes époques.

Le salon était une grande pièce rectangulaire pourvue de plusieurs canapés, d’une large cheminée en pierre de taille et de nombreux luminaires. Le rendu hétéroclyte plaisait à Loënia. Jamais elle n’aurait songé à accorder des lampes modernes et des tableaux anciens. Elle se demanda à quel moment Adrien avait commencé à les collectionner. Ils étaient toujours en froid et la jeune femme n’avait fait aucun effort pour faire un pas vers lui.

Une fois de plus, elle trouva Thaïs dans le salon. Il lisait un livre de science-fiction à côté d’un autre vampire dont elle ne connaissait que son goût pour la nourriture épicée. Un jour, il lui avait proposé de partager du curry. Loënia, en le mangeant, avait cru perdre son palais tant le plat était assaisonné.

– Il faut que je te fasse part de quelque chose d’incroyable ! Tu vas adorer.

Thaïs releva la tête, les traits éclairés de curiosité.

– Dis-moi tout.

Le jeune vampire posa son livre de poche sur le repose-bras du canapé et se retourna vers la fée. Il se pencha et posa ses coudes sur ses genoux.

– Mon cousin, Braken a eu l’idée de créer un groupe constitué de loups, de fées, de sorciers et, bientôt, de vampires. On espère faire changer les mentalités et réduire les tensions entre les différentes espèces de créatures magiques en Bretagne.

Loënia se rendit compte qu’un froid s’était abattu dans la pièce.

– Et vous comptez sur moi pour vous rejoindre ? Le questionna Thaïs, l’air plus craintif.

Loënia hocha la tête, l’air moins confiant. Elle percevait l’indécision de son ami. Elle sentait également les regards posés sur elle et, bien qu’elle n’avait pas l’ouïe d’un vampire, elle avait clairement entendu le volume sonore baissé. On les écoutait.

– On, c’est-à-dire mon cousin et des amis, aimerait beaucoup que tu viennes. En fait, nous allons organiser une rencontre entre les espèces dans un parc. Il y aura des activités et nous allons essayer de créer de vrais échanges sur différents thèmes.

Thaïs regarda quelqu’un derrière lui et se releva. Loënia tourna la tête. Andréas, le vampire albinos, se tenait juste derrière elle, la face lugubre.

– Tu en as, de bonnes idées, princesse.

Loënia grinça des dents à l’entente de ce titre qui sonnait comme un sobriquet dans sa bouche. Tous les vampires présents dans la pièce les observaient.

– En effet, affirma-t-elle. Mais vous vouliez peut-être ajouter quelque chose ?

– Pas vraiment. Je ne crois pas en ton projet. Pour moi, c’est de l’idéalisme pur et dur, de simples conneries.

La fée eut envie de lui lancer un enchantement au visage. Peut-être pouvait-elle l’aveugler momentanément ?

Andréas avança vers elle. Loënia força ses pieds à s’enraciner dans le sol. Elle n’allait certainement pas reculer devant lui. La veille, il avait bu intentionnellement sa potion de chance, elle ne le laisserait pas lui marcher dessus une nouvelle fois.

-C’est votre opinion. Je la respecte.

Le menton haut, elle espérait que les battements de son cœur ne la trahissaient pas. Andréas avança encore. Loënia, déséquilibrée, n’eut pas d’autre choix que de reculer vers le mur.

– Tu n’as pas ta place ici. C’est un refuge de vampires et non de fée en cavale.

– Vous direz cela à Adrien, c’est lui qui m’a proposé de venir.

Andréas rit.

– Tu ne crois pas qu’il lui arrive de regretter son choix ?

Loënia eut un instant d’hésitation qu’Andréas perçut. Il en profita aussitôt : il la poussa vers le mur. Il la bloqua en posant son bras sur sa poitrine et planta ses crocs dans son cou. Elle lâcha un cri de surprise et de peur. Son cerveau moulinait dans le vide. Quel enchantement pourrait lui servir ? Et si elle lui brisait la nuque ? Et pourquoi avait-elle laissé son épée dans sa chambre ? Et…

Adrien s’érigeait entre Loënia et Andréas. Elle ne voyait que son dos, mais elle comprit que la soirée n’était pas terminée.

Loënia reprenait son souffle. Elle posa ses doigts sur sa blessure, elle saignait. L’hémoglobine glissait dans son cou et sous ses vêtements. Thaïs, sans oser l’approcher, la fixait.

Ça va, lui souffla-t-elle du bout des lèvres.

Les vampires présents observaient le trio.

Adrien grogna avant d’articuler d’une voix d’outre-tombe :

– Tu as mordu Loënia. Tu as mordu un membre de ma famille. Tu as mordu un membre de ton clan et pour cela je te renie. Tu es chassé de la région. Si l’un de nous te repérons encore sur nos terres, nous n’aurons pas d’autres choix que de t’assassiner.

Les paroles froides du meneur firent reculer Andréas qui porta sa main à son cœur. Il observa en silence les vampires autour de lui. Après quelques secondes, quand il comprit ce qu’il lui était arrivé, il battit en retraite.

Il se dirigeait vers la sortie quand Adrien le plaqua au sol. Ainsi en situation de domination, il le mordit à la carotide. Andrés hurla de douleur. Loënia détourna le regard, effrayée par le contexte, par les cris et par le sang qui se répandait sur le tapis. Loënia posa son regard sur Thaïs. Ce dernier semblait pétrifié de stupeur. De toute évidence, lui non plus n’avait jamais vu Adrien agir ainsi.

Le meneur se releva aussi agilement qu’un puma. Le regard vide de toute émotion, il observa Andréas se relever en tremblant puis quitter le manoir. Adrien déposa ses prunelles marron sur chacun des vampires.

Le silence régnait sur la pièce. Personne n’osait bouger. Personne, sauf Adrien qui se tourna si soudainement vers Loënia qu’elle recula instinctivement. Sans s’en inquiéter, il la saisit par le bras et la força à la suivre.

Loënia devait avancer à pas rapide. Elle était si choquée par ce qu’elle venait de voir et de vivre qu’elle n’osait pas protester. Soudainement, elle se sentit bête de n’avoir pas réussi à faire lâcher prise à Andréas d’elle-même. Elle aurait dû se débrouiller sans l’aide d’Adrien.

Elle étudiait du coin de l'œil Adrien. Ses traits étaient tirés. Le concernant, être de mauvaise humeur était un euphémisme. Il aurait pu massacrer des gens s’ils en avaient croisés. Il n’avait pas une seule goutte de sang sur le visage. Loënia savait déjà que l’événement allait se répandre parmi les vampires comme la potion de chance chez les lycéens.

Elle n'aimait pas ne pas avoir agi.

Ils entrèrent dans une chambre qu’elle ne connaissait pas. La pièce était grandiose. Des statues décoraient chaque recoin. Des tapisseries habillaient les murs. Une tête de cerf était accrochée au-dessus de la porte. Plus loin, le lit à baldaquin semblait presque négligeable malgré sa puissante structure en bois clair.

Loënia voulut se tourner vers Adrien mais il lui indiqua d’un geste de la main de s’asseoir sur le lit.

– Je…

– Assis.

– Mais, je…

Au regard que lui lança le meneur, Loënia leva les yeux au ciel. Elle se laissa tomber sur le bord du lit.

Elle vit Adrien se mordre l’index grâce au bout de sa canine. Il se pencha sur elle pour étaler son sang sur les traces de morsures. Loënia eut un mouvement de recul mais Adrien le para en plaçant sa main libre sur l’épaule de la fée.

– Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort.

Elle dévisagea le vampire. Faisait-il de l’humour après ce qui venait de se produire ?

– J’aurais dû me débrouiller seule avec Andréas, maugréa-t-elle.

– Les fées ont beaucoup de qualités mais la vitesse n’en fait pas partie. De surcroît, comme l’a bien compris ton cousin, tu ne sais pas te défendre. Tu n’aurais pas pu faire grand chose contre lui.

Loënia comprit que lui ou l’un des vampires avait dû voir Loënia s'entraîner au maniement de l’épée dans l’après-midi. Elle ne savait pas se défendre en combat à mains nues mais avec ses pouvoirs, c’était une toute autre affaire. Adrien jugea que son travail était satisfaisant et se recula.

– Merci d’être intervenu.

– C’est normal, finit-il par dire d’une voix qu’il voulait douce.

Il s’assit à côté de la fée.

– J’ai conscience que je ne suis pas facile à vivre. Je sais également que je devrais t’écouter davantage, au moins pour te laisser t’exprimer. J’ai pour habitude de tout contrôler seul.

Il hésita.

– J’ai la ferme impression que le groupe que vous avez fondé va vous amener des soucis.

– Probablement au début, mais je crois que nous pouvons arriver à quelque chose de bien. Je sais que j’aurais dû te parler du groupe auparavant mais tu ne semblais pas enclin à m’écouter.

Adrien lissa les manches de son costume. Ses boutons de manchettes reflétaient la lumière du lustre.

– Je ne crois pas en une paix durable entre les créatures magiques. Une vie en parfaite harmonie a autant de chance de voir le jour que moi de redevenir une fée.

– Tu ne laisses aucune place à l’espoir, lui reprocha gentiment Loënia. Je crois totalement que c’est possible, peut-être parce que je n’ai que vingt-et-un ans et peut-être que je suis une idéaliste mais si… Si nous n’avons plus d’espoir, alors nous n’avons plus rien.

Adrien regarda par la baie vitrée de sa chambre.

– Tu n’as pas perdu tes parents comme moi j’ai perdu mon arrière-petit-fils et mon arrière-belle-fille. Je les considérais comme mes enfants. Ils se sont faits assassiner par une fanatique. Elle voulait du pouvoir et elle était une fée. Comment pardonner cela ?

Loënia baissa la tête sur ses doigts tachés de sang.

– Je ne sais pas.

Adrien se releva.

– Je suis contre cette idée car j’ai peur de te perdre comme je les ai tous perdus. Ce groupe est exactement comme Lysandre et Lune étaient. Ils se rassemblaient avec d’autres créatures et cela leur a amené d’énormes problèmes. Tu as été adoptée par la famille royale des fées et tu en fais partie. Toutes les créatures te considèrent comme une princesse et te connaissent. Tu es déjà en danger par ces faits-là.

– C’est pour ça que je dois agir !

– Attends, lui intima-t-il d’un geste de la main. Je sais que ce groupe est important pour toi. Si je te le demandais, tu abandonnerais ce projet ?

Loënia le regarda, l’air désolé. Elle était extrêmement touchée par ses propos mais elle se sentait incapable de renoncer maintenant. Peut-être qu’au départ, elle avait eu envie d’abandonner mais maintenant qu’elle avait pris conscience de la situation, elle ne pouvait plus renoncer. Elle avait envie de continuer, envie d’apprendre à connaître de nouvelles personnes, à créer des liens, à apprendre à se battre avec ses pouvoirs ou avec une épée, envie de relever ce nouveau défi.

– Adrien, murmura Loënia. Tu comptes énormément pour moi, d’accord ? Tu es ma famille. Bien sûr que je ne me mettrai pas de moi-même en danger. Seulement, la situation est trop grave pour ne pas agir. Des gens meurent. Des personnes meurent, Adrien, des personnes qui ont autant le droit de vivre que toi et moi.

Elle eut envie de pleurer. Elle ne chercha pas à comprendre si c’était à cause de l’agression d’Andréas, à cause de l’assassinat de ses parents ou de dizaines d’autres êtres vivants en quelques mois.

– Je ne peux pas m’empêcher de craindre pour la vie de mes proches qui ne sont pas des vampires. La situation doit s’améliorer.

– Je ne veux pas te perdre.

– Ce ne sera pas le cas, lui assura-t-elle. Je te le promets…

– Ne dis pas ça. Tu pourrais te faire tuer avant de comprendre que tu es en danger.

Loënia acquiesça. Elle se leva du lit.

– Je n’abandonnerai pas cette cause, Adrien. Je ne suis pas seule, nous sommes une équipe.

– Ton cousin Braken est le futur roi des fées du Finistère. Tu ne penses pas qu’il mène cette guerre dans un but politique ?

Loënia offrit un regard dépité à Adrien.

– Ce n’est pas une guerre ! Même si j’avoue l’avoir pensé au début. Je crois que Braken a évolué. Il a compris quelque chose. Il se donne beaucoup de mal pour mener à bien cette paix et je crois qu’il fait ça par altruisme.

Adrien ricana.

– Les Terralin sont altruistes, maintenant ? Décidément, j'ai tout vu sur cette planète.

– Ce que je voulais dire c’est que Braken ou Horod ne cherchent pas à voler ton pouvoir. Ton clan est ton clan et c’est tout. Tout ce qu’on veut est un accord. Les vampires ne peuvent pas tuer impunément.

Adrien balaya son argumentation d’un geste de la main.

– Il est trop tard pour en discuter maintenant et tu as besoin de repos. Tu as été blessée.

Loënia soupira.

– Tu recommences !

Adrien posa ses mains sur les épaules de la fée.

– Bonne nuit.

– Bonne nuit, grommela Loënia avant de faire volte-face.

Sur le pas de la porte, Adrien lui lança cet avertissement :

– Ne te blesse pas avec ton épée !

Heyyyyyyyy !

Que pensez-vous de ce chapitre ? Personnellement, je crois que j'aurais pu ajouter plus de descriptions et décrire davantage Adrien. Je vais reprendre cela.

Buvez de l'eau,

Jane Anne

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