Chapitre 5
Le soleil était à son paroxysme et inondait de sa lumière les rues bondées de Manhattan. Du haut de son immeuble, Cassidy admirait ce ciel bleu parsemé de formes cotonneuses. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, elle s’était réveillée d’un sommeil sans rêves ni cauchemars. Une nuit paisible dont la jeune femme avait tant rêvé ces derniers temps. La soirée de la veille lui revint en mémoire, jamais elle ne s’était sentie aussi fière de ce qu’elle avait entrepris depuis l’ouverture de son atelier. La réussite d’un premier vernissage était un exploit grandiose dans la vie d’un artiste. Plusieurs tableaux avaient été vendus et tous les invités l’avaient félicité pour son travail. Les belles rencontres s’étaient multipliées tout au long de la soirée. Toutefois, l’une d'entre elles l’avait ravi tout autant qu’elle l’avait intriguée. Le retour de Spencer à Manhattan était vraiment surprenant. Le jeune homme était parti vivre sa propre vie à Washington sept ans auparavant. Durant toutes ces années, Cassidy eut de ses nouvelles uniquement par le biais de Noah. Au vernissage, leur conversation fut très brève. Cassidy avait été sollicitée par un invité pour l’achat d’un tableau et Spencer avait reçu un appel l’obligeant à partir précipitamment. Néanmoins, il s’était excusé auprès de la jeune femme et lui avait demandé son numéro de téléphone pour pouvoir l’inviter à prendre un café dès qu’il le pourrait.
Les vacances scolaires étaient arrivées en même temps que le vernissage. La jeune avait désormais beaucoup de temps devant elle pour se reposer et prendre un peu soin d’elle avant la reprise des cours. La matinée débutait à peine, mais l’ennui grandissait déjà à vue d'œil. La jeune femme zieutait l’état de son appartement, ces derniers mois elle avait négligé ce lieu en faveur de ses nombreuses heures de travail, cela aura au moins eu le mérite d’être bénéfique pour le vernissage. Un jour de plus ou un jour de moins, cela ne faisait pas une grande différence pour Cassidy, elle opta donc pour une balade sous le soleil de Manhattan après avoir rendu visite à son meilleur ami au café où ce dernier travaillait.
Arrivé au Mona’s Coffee, la jeune femme cherchait la silhouette élancée de son ami parmi les clients et les employés du café, mais ce fut sans succès. Commandant un thé glacé, elle en profitait pour questionner le barista qui l’informa que Noah avait demandé sa semaine. Sirotant sa boisson fraîche, elle sortit de la bâtisse des questions embrumant son cerveau. Pourquoi Noah était-il si distant depuis quelque temps ? Pourquoi n’était-il pas venu au vernissage comme il l’avait promis ? Pourquoi ne lui donnait-il aucune nouvelle ? Avait-elle fait quelque chose de mal ? Perdue dans ses réflexions, la jeune femme ne vit pas l’homme avec la poussette. L’inévitable arriva, elle percuta le père de famille de plein fouet, renversant malencontreusement le contenu de sa boisson sur la veste de l’homme. Elle se confondit en excuses, choquée et honteuse.
« Il y a eu plus de peur que de mal ! Ne vous inquiétez pas ! assura l’homme. »
Cassidy s’arrêta net à l’entente de cette voix masculine qu’elle reconnut instantanément. Relevant la tête, elle posa son regard incrédule sur l’individu qui se révéla être Spencer. Cela fut encore plus déroutant lorsqu’elle réalisa qu’il était avec un bébé. Bouche bée, Cassidy regardait l’homme, l’esprit confus.
« Tu… C’est… tentait de dire la jeune femme, pointant du doigt tour à tour Spencer et le bébé.
— Viens, mon appart est à deux rues d’ici ! Je t’expliquerais tout ! »
Suivant le jeune homme, Cassidy resta légèrement en retrait. Ils parcoururent silencieusement les rues de la ville, slalomant entre la multitude de New-Yorkais. S’arrêtant devant une porte en fer forgé, ils pénétrèrent dans une petite cour magnifiquement fleurie en ce début d’été. Dans le petit appartement, Spencer posait l’enfant dans le parc et laissait Cassidy seule le temps d’enfiler des vêtements propres. La jeune femme profitait de l’absence de son ami pour balayer du regard le logement. Il n’y avait pas grand-chose à dire à part “Sobre” et “Impersonnel”. Il s’agissait là des deux adjectifs pouvant qualifier les lieux. Les murs blancs ne comportaient aucune décoration. Concernant l’ameublement, il y avait uniquement le strict nécessaire. Cet appartement était comme neuf. Seuls les cartons empilés ci et là prouvaient que le logement était habité. Cassidy en conclut rapidement que l’arrivée de Spencer à Manhattan était très récente. Les cartons de déménagement étaient à peine déballés. Elle reportait son attention sur le bébé qui gazouillait. Cassidy ne put que craquer face à cette petite frimousse. Elle tendit ses doigts pour jouer avec l’enfant et le chatouillait. Ce dernier rigolait à n’en plus finir. Une joie communicative qui atteignit le cœur de la jeune femme.
« C’est la première fois qu’il se laisse approcher aussi facilement ! s’étonna le père de l’enfant, regardant la scène le cœur chaud. Et cela faisait longtemps que je n’avais pas vu ce sourire sur ton joli visage ! ajouta le jeune homme, le regard brillant, à l’intention de la jeune femme à la chevelure bleutée. »
Surprise et gênée, les joues de Cassidy s’empourprèrent. Face à la réaction de son amie, Spencer eut un léger rire irrésistible.
« J’avais oublié ta timidité ! Ainsi que ta difficulté à accepter les compliments sur ta beauté !
— Si tu continues dans ce sens, je vais finir par devenir rouge comme une pivoine ! plaisantait Cassidy, d’un petit rire gêné. »
Toutefois, Spencer n’avait pas tort. Contrairement à ce que son apparence laissait penser, Cassidy était de nature discrète et timide. Comme l’expression le disait, "l'habit ne fait pas le moine”. S'asseyant tous les deux plus confortablement sur le canapé, Cassidy comptait prendre la parole la première mais Spencer la prit de vitesse.
« Tu sais, quand je t’ai vu hier soir, j’ai bien failli ne pas te reconnaître ! lui avoua-t-il. Tu as, à la fois, tellement changé et en même temps, tu es restée la même !
— J’avais dix-huit ans quand tu es parti vivre à Washington ! Les gens changent et évoluent ! Il s’en est passé des choses en sept ans Spencer ! J’ai appris à voler de mes propres ailes moi aussi ! »
Cassidy lui conta son parcours depuis son départ, allant de l’obtention de son diplôme d’art à l’acquisition de son atelier, en passant par son job à temps partiel en tant que professeur de dessin. Le jeune homme admira la fille qu’il avait connue auparavant. Il était impressionné et tellement fier d’elle. Elle avait tellement évolué. Au-delà du changement capillaire, il la trouva épanouie, grandie et surtout magnifique.
Spencer racontait à son tour sa vie passée à Washington ses sept dernières années. Il avait vécu pas mal de choses, autant de hauts comme de bas. Son rêve de faire carrière dans la police avait fini par se réaliser. Il avait gravi les échelons, obtenant l'année précédente le grade de capitaine. La vie n’était pas rose dans ce métier mais il y tenait et n’en changerait pour rien au monde. Quant à la mère de Marley, Joanna, ils s’étaient rencontrés deux ans auparavant lors d’une enquête. Ce fut le coup de foudre pour les tourtereaux. Enfin c’était ce qu’avait cru Spencer durant ces deux années idylliques. Joanna avait fait un déni de grossesse. Les jeunes parents apprirent la nouvelle le jour de l’accouchement lorsque Joanna eut des maux de ventre qui, au final, étaient des contractions. La naissance de Marley avait tout bouleversé dans leur couple et c’était, apparemment, beaucoup trop de changement pour Joanna, qui ne désirait pas avoir d’enfant. D’ailleurs, elle avait fait le choix de ne faire ni partie de la vie de cet enfant ni de celle de Spencer. Par le biais d’une infirmière, le père de famille avait reçu une lettre de la part de Joanna, une lettre d'excuses et d’adieu. Du jour au lendemain, il se retrouvait père et célibataire. Ces deux derniers mois avaient été un vrai chamboulement. Il avait fallu trouver un nouveau rythme de vie, acheter tout le nécessaire et surtout apprendre de nouvelles choses comme savoir changer une couche, donner le bain ou même préparer un biberon. Malgré cela, Spencer ne regrettait en rien son nouveau statut de père. Il chérissait tous les moments passés avec son fils, il aimait Marley plus que tout au monde. Toutefois, avoir un nourrisson à charge dans un métier comme celui de Spencer n’était pas très compatible, ce qui fut la raison pour laquelle il avait demandé sa mutation à Manhattan, proche de sa famille.
« Maintenant tu sais tout ! concluait le père de famille. Je pensais que tu savais pour Marley !
— Je n’étais pas au courant ! Je demandais de tes nouvelles de temps en temps à Noah mais je t’avouerais que ces derniers temps je ne l’ai pas beaucoup vu ! J’ai été pas mal occupé avec le vernissage ! »
Durant le reste de la journée, Cassidy et Spencer se remémorèrent de vieux souvenirs d’enfance. Ils profitèrent de ces douces températures de début d’été pour se promener dans un parc, ne se quittant que lorsque le soleil commençait sa descente dans le ciel. Pour Cassidy, le reste de la soirée se passa tranquillement. C’était l’une de ces soirées où la solitude était bénéfique et amplement appréciée. Enveloppée dans une douce odeur de rose, la jeune femme dégustait son verre de vin rouge dans la chaleur d’un bain moussant. Elle se relaxait au rythme de musiques country. Cassidy avait toujours été particulièrement sensible à ce style de musique et ça l’aidait à se détendre davantage.
La nuit arriva tout aussi rapidement et l’heure du coucher avec. Cependant la jeune femme tournait sans cesse dans son lit, ne trouvant pas le sommeil. Elle finit par s’asseoir plus confortablement pour entamer la lecture d’un des nombreux bouquins dont elle disposait. Au fil de sa lecture, page après page, mot après mot, ses paupières se fermaient inexorablement vers des songes tout aussi noir que la nuit pouvait l’être.
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