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Les lotissements des U4 étaient d'anciennes usines reconverties en logements pour les étudiants sur trois étages. Chaque niveau se composait de dix-huit chambres, délimitées par de fines cloisons ; huit à droite, avec, à l'arrière, une unique salle d'eau et dix sur la gauche. Le rez-de-chaussée accueillait une cuisine, un réfectoire et une salle d'étude ; les seuls endroits du bâtiment à l'éclairage collectif. Noam fit valider sa carte à la borne de l'entrée puis rejoignit le premier étage, celui réservé aux jeunes filles. Les garçons occupaient les deux suivants.
Elle alla se rafraîchir puis entra s'allonger sur le lit bosselé et ferma les yeux, sourde aux gémissements des tribades de la chambre cinq. Quelques voix s'insurgèrent et lui arrachèrent un sourire à la jeune femme. Le couinement de sa porte lui fit relever la tête.
— Ben alors ? T'es encore allée dans le quartier sud ? On t'a pas attendu pour partir, cela dit, piailla Alma en s'installant sur le rebord du lit.
— Pourquoi viens-tu te plaindre alors ?
— Toujours aussi agréable. Connasse ! rit Alma. On est de corvée de repas. Bouge ton cul !
Noam suivit du regard sa turbulente amie puis la rejoignit pour la rejoindre.
— Quoi de neuf ? Tu as revu ton U3 ?
— Oui ! On a conclu, si tu veux tout savoir. D'ailleurs, son pote était là, il a demandé de tes nouvelles, répondit Alma.
— Compte pas sur moi pour tenir le bavoir à cette larve, grogna Noam.
— Et la solidarité féminine ? T'abuses, No' ! Juste un soir, pour qu'on ait sa chambre. Je dois travailler sur mon avenir.
— Demande à Ava ou Elia.
— C'est toi qu'il veut.
Noam foudroya d'un coup d’œil assassin sa camarade et accéléra le pas en direction de la cuisine où les six autres résidentes s'attelaient déjà à la conception du repas du soir.
— No' ! ! cria-t-elle en pénétrant dans la pièce. C'est quand même un U3. Tu ne devrais pas faire la difficile.
Un grand coup de tranchoir sur la planche la réduisit au silence. Alma observa Noam hacher la viande comme si elle craignait de la voir s'enfuir. Elle partit dans son coin, faisant la tête tandis que les cuisinières du soir se mirent à rire. Alma était le modèle type d'une U4, bien plus préoccupée par la recherche d'un bon parti que par ses cours. Cela rendait Noam furieuse et à plus forte raison, car son bon parti espérait uniquement un plan cul pour occuper sa scolarité.
Les filles laissèrent place aux garçons pour le service et s'installèrent à table. Noam avala en douce un bol de soupe dans la cuisine et rejoignit sa chambre pour récupérer ses livres de cours. Elle se dirigea du côté de la salle d'étude, il n'y avait là aucun matériel technologique, même les livres y étaient rares. Elle s’assit sur une table du fond et entreprit ses fastidieuses révisions.
— Tu vas encore y passer la nuit ?
Elle leva les yeux sur le jeune homme qui venait d'entrer et le fixa de longues secondes avant de replonger dans sa lecture.
— Je vais encore y passer la nuit.
Il vint s'asseoir à ses côtés, posant un vieux carnet de croquis qu'il ouvrit sur une page vierge.
— Tu me diras un jour qui tu es ?
— Non.
— Je vais devoir me contenter de l'imaginer alors.
Il sourit et commença à tracer des lignes, laissant apparaître le sujet de son étude, Noam. La jeune femme sourit, à son tour, et lui donna un gentil coup d'épaule. Le silence couvrit les deux étudiants pour le restant de la nuit.
~ ~
À quelques kilomètres de là, Liram avait regagné son logement. Son immeuble avait deux étages et hébergeait de petits studios tout équipés. Le cadre était agréable et possédait, à proximité, tous les services pour les étudiants. À peine avait-il franchi la porte du couloir qu'il fut assailli par Acher. Son ami le plaqua contre le mur.
— Tu as survécu ! Eh ! Les mecs ! Notre perdant est rentré, s'écria-t-il en lui prenant sa carte des mains. Six ? Six tampons ? Ils t'ont fait quoi, les mecs du sud, pour que tu en fasses autant ?
Trois hommes sortirent dans le couloir et s'avancèrent vers le duo. Après un échange de félicitations aussi moqueuses que viriles, Liram put rejoindre sa chambre.
— Raconte-moi tout ! exigea Acher qui l'avait suivi.
— J'ai un rendez-vous demain dans un club de boxe du quartier sud, annonça Liram.
— Tu t'es battu ? Tu as été défié ? Tu veux de l'aide ?
Du frigo, Liram sortit deux bières et les posa sur la table.
— Si je te le dis, tu ne vas pas me croire.
Acher décapsula la bière et en avala une longue gorgée.
— Raconte !
— Je suis tombée sur une fille, un phénomène. Elle a...
— Une fille ? Du quartier sud ? T'abuses, mec ! le coupa Acher.
— C'est une U4, enfin, c'est ce qu'elle a dit. Mais elle est bizarre.
— Les U4 sont des plaies. Mais pourquoi une salle de boxe, elle veut te voir en short ? se moqua-t-il.
— Elle va sans doute vouloir qu'on fasse un combat.
— Tu plaisantes ?! Depuis quand les nanas savent se battre ? Ça sent le piège, je viendrais avec toi.
— Elle sait se battre. Je peux te l'assurer et je n'ai pas besoin d'escorte.
— Je viendrais. Je ne suis jamais allé dans cette zone.
Conscient que son ami était une vraie tête de mule, Liram n'insista pas. La conversation reprit sur les filles du bâtiment Kappa et le moyen de voir en douce leur soirée nuisette. Quand Acher le quitta, Liram chauffa un bol de nouilles, puis il s'étendit sur son lit. Le jeune homme fit rebondir une balle contre le plafond, songeant à ces heures passées au cœur d'un des quartiers les plus malfamés de la Cité.
— Écran sur porte d'entrée, identité appelant, demanda-t-il, en entendant la sonnerie.
Sur la surface boisée, la photo d'une jolie jeune femme apparut avec le nom de Sara écrit en dessous. Elle n'était sa petite amie que depuis une semaine et il s'en lassait déjà. Elle parlait trop tout en étant trop docile, comme la majorité des U2, formatées pour devenir de parfaites épouses conformément les critères de la Ligue.
— Fermeture du canal. Coupure de la sonnerie.
Liram saisit la balle et la jeta au sol, puis il se tourna vers le mur. Il s'était écoulé peu de temps lorsqu'on frappa à sa porte.
— Faites chier ! Je ne veux voir personne.
— Mon cœur ! C'est moi, Sara. Tu ne réponds pas à mes appels.
— Ouverture porte.
La commande ne fonctionna pas et qu'il dut répéter l'ordre plus fort.
Sara entra sans précipitation, jetant de timides regards sur le lieu de vie de son petit ami. Liram se redressa et lui fit signe d'approcher.
— Tu veux quoi ? demanda-t-il sèchement.
La jeune fille tressaillit et laissa échapper un petit couinement.
— Pourquoi es-tu fâché ? Qu'est-ce que j'ai fait ? Je pensais que tu m'aimais.
Liram la regarda, secoué par un rire nerveux qui fit pleurer la jeune fille. Il aurait dû s'en émouvoir, il l'aurait sans doute fait, mais il ne pouvait plus faire semblant.
— Je t'aime, tu m'aimes. Tout le monde s'aime ! Combien a-t-il payé pour jouer les greluches ? s'impatienta-t-il.
Il ferma les poings et fut tenté de marmonner des excuses. Il peinait à se reconnaître dans ses paroles, mais la mine d'incompréhension larmoyante de la jeune fille eut raison de ses remords. Il désigna la porte, Sara s'en alla en sanglotant de plus belle. Elle heurta Acher qui sortait de sa chambre ; il prit place dans l'encadrement de la porte.
— Qu'est-ce qui t'a pris ? Une jolie poulette comme ça et encore fraîche en plus.
— J'ai appris hier que c'était mon père qui avait arrangé notre rencontre. C'est la troisième en un an.
— Je vois. Bonne nuit mec. On se voit demain, lança-t-il en fermant derrière lui.
Son regard se figea sur l'entrée, Liram savait que son ami ne pouvait que compatir. Il était promis à une femme plus âgée, qu'il n'avait jamais vue. Plus que de la colère, ce fut de l'amertume qui gangrena son coeur. Il se retourna durant des heures avant de trouver le sommeil.
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