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" — Tourne-toi. Voilà, c'est parfait. Noam, tu te souviens de ce que je t'ai dit sur les jeunesses de la Ligue ?
— Oui, Mère. C'est pour se préparer à devenir une parfaite citoyenne. Mais Ezra ?
— Il a rejoint l'académie comme tous les garçons de la famille. Il fait son devoir et tu devras faire le tien. Quelles sont les consignes ?
— Ne jamais parler des entraînements, ne jamais montrer mes compétences.
— Mais encore ?
— Se comporter tel que la Ligue l'exige. L'exubérance dans la futilité, la retenue dans l'importance.
— Mais encore ?
— L'honneur et la tempérance, être le reflet de la famille Grisfald.
— Tu as quinze ans et ce ne sera pas facile au début. Tu devras te modérer durant les sessions. On continuera les entraînements en fin d'après-midi. Viens et souris, tu vas rencontrer les membres du comité."
Noam grogna et cligna des yeux en se frottant le cou. Un fin rayon de lune lui permit de reconnaître une des cellules du Bureau des contrôles. Les murs carrelés avec le triangle de céramique noire, la petite lucarne ronde avec ses barreaux en fer forgé.
— L'exubérance dans la futilité, marmonna-t-elle. Pourquoi a-t-il fallu que je me remémore cette journée ?
Elle allait être interrogée, peut-être même torturée et elle allait être obligée de se modérer. Aucune précipitation, tant qu'elle n'avait pas emmagasiné le maximum d'informations. Elle sursauta aux cliquetis du verrou, aucun son ne s'était fait entendre laissant présager l'ouverture. Noam se redressa en grimaçant, les picotements de son fessier lui révélèrent que peu de temps s'était écoulé, une ou deux heures au plus . Elle tituba, constata qu'elle avait été vêtue d'une tenue de prisonnier, un t-shirt sans manches et un pantalon en toile vert. Un tremblement de colère l'emporta quand elle remarqua qu'elle n'avait plus de sous-vêtements. Elle fit face à la porte qui s'était ouverte.
Un soldat lui intima l'ordre de sortir, il pointait sur elle un pistolet à énergie pulsée. Elle leva les bras et le précéda dans les couloirs. Sa présence indiquait que le capitaine ne devait pas être loin. Il la poussa dans un vestibule où se trouvaient six femmes, aux corpulences identiques à la sienne. Le grésillement d'un haut-parleur leur fit relever la tête.
— Veuillez entrer, dans la pièce deux, une après l'autre et attendez les instructions.
Elle garda sa position de septième et suivit les filles. Elles s'alignèrent dans une petite salle blanche aux murs aveugles comportant une série de caméras, des numéros s'affichèrent sur leur buste. Une voix terne cracha des consignes durant près d'une demi-heure ; elles avancèrent, reculèrent, prononcèrent une phrase dictée.
La séance d'identification terminée, Noam fut conduite dans une salle d'interrogatoire, sans fenêtre avec deux chaises et une console en son centre. Seule, elle s'installa et ferma les paupières, se répétant ses entraînements de résistance à la torture. L'attente était un élément crucial pour faire céder les accusés, mais elle connaissait les hommes comme Arad. Elle savait qu'il allait flancher bien avant elle. La jeune femme prit ses aises, même si les égratignures la piquaient encore.
L'aîné des Blaker l'observait via un moniteur, il fit les cent pas puis décrocha l'intercom.
— Des nouvelles ?
— Aucune, Capitaine.
— Vous avez vos ordres ?
— Oui, Capitaine.
Il raccrocha et étira un large sourire. Réajustant son uniforme, il se pencha sur l'écran et le tapota de son index.
— La petite souris est prise au piège. Je vais la faire couiner.
Il quitta le bureau, suivi d'un jeune officier, et parcourut le couloir jusqu'à la porte grise. Son ton fut impérieux.
— Mademoiselle. Vous allez être inculpée de coups et blessures. Êtes-vous informée des sanctions pour cette infraction ?
— Oui, Monsieur, énonça Noam.
L'officier donna un coup de pied dans sa chaise pour l'obliger à s’installer plus convenablement. Noam se redressa et observa l'enseigne ; un jeune homme de son âge. Elle songea à son jumeau qui devait avoir un grade similaire à présent.
— Devrais-je aussi retenir l'utilisation d'une fausse identité ?
Il poussa la console contre le mur et gravita autour d'elle. Noam ne prit pas la peine de suivre ses mouvements.
— On fait moins la fière sans ses spectateurs, la nargua-t-il, susurrant à son oreille.
Elle baissa la tête et posa ses mains sur ses genoux. Son attitude l'enorgueillit et il adopta une posture plus conquérante.
— Je pense que nous pourrons parvenir à un accord.
— Lequel ? questionna-t-elle d'une voix à la fatigue simulée.
Il posa ses doigts sous le menton de Noam et lui releva la tête.
— Il faudra que tu sois une bonne enfant de la Ligue et je suis certain que tu sais où se trouvent tes intérêts.
Sans se tourner vers son subalterne, il lui ordonna de ramener un pot de café ainsi que deux tasses, le militaire fila aussitôt. Dès le départ du soldat, il griffa les épaules nues de la captive et écarta un peu le pan de tissu.
— Je devrais te remplumer un peu. Tu es trop maigre à mon goût.
Soudain, il s'emporta et la gifla. Noam sursauta puis porta sa main sur sa joue endolorie.
— Je vais prendre un malin plaisir à te mater. Liram m'a dit qu'il ne te connaissait pas, mais je n'en ai pas cru un mot. Lui aussi, je l'ai maté.
À la mention de Liram, Noam se remémora son numéro et le répéta comme un mantra. Le pire était à venir, elle en était persuadée. L'enseigne revint, déposa le café et reprit sa place contre le mur. Le capitaine servit une tasse et s'approcha de la jeune femme.
— Tu vas être une gentille fille et me dire que tu vas accepter d'être mon épouse, murmura-t-il pour ne pas être entendu par le soldat.
Noam le regarda et s'exprima d'un simple non. Le capitaine lui renversa le café brûlant sur le bras droit ; elle poussa un cri.
— Diantre ! Ramenez-moi une trousse de soin !
Le jeune homme partit en courant et Arad ferma sa poigne sur les brûlures.
— C'est qu'elle n'a pas tout compris. Après ce petit incident, c'est chaque centimètre de ton corps que je vais faire saigner.
Les choses sérieuses allaient débuter, mais l'amateurisme du capitaine la fit sourire. Le remarquant, il la gifla, de nouveau. Il ôta sa veste et remonta ses manches. Au retour de l'enseigne, il récupéra la trousse, le renvoya et désactiva les caméras. Il commença par une volée de coups, dans son abdomen essentiellement. En dépit de la douleur, elle lui refusa le moindre cri. Il la jeta au sol, poursuivant la leçon de coups de pied ; elle se mit en position fœtale, les mains sur la tête. Il s'obstina ainsi durant un bon quart d'heure, lui reposant souvent la même question "acceptes-tu d'être mon épouse ?", cela en était profondément grotesque. Excédé, il se jeta sur elle et tenta de tirer sur son pantalon.
— La modération a ses limites, murmura Noam avant de se mettre à crier, en se débattant. Vous n'avez rien contre moi, vous n'avez rien tiré de la séance d'identification.
Blaker sortit un couteau dans le but de découper ce qu'il ne pouvait retirer. Il avait le regard fou et la vue du sang qui maculait la jeune femme ne fit qu’accroître sa frénésie.
— Tu vas voir ce que je vais tirer de toi, maintenant.
Elle lui décocha un coup de talon dans la mâchoire et se redressa, le dos collé au mur. La coupure de son mollet n'était pas profonde, mais c'étaient les blessures internes qui l'inquiétaient plus. Il lui fallait une bonne dose de concentration pour réduire les inflammations et le début d'hémorragie qu'elle ressentait. Elle allait devoir jouer sur deux tableaux et elle ignorait combien de temps elle pourrait tenir sans le tuer. Il revint à la charge, furieux et bien loin de s'imaginer tout ce qui trottait dans la tête de la jeune femme.
— Fille du Maréchal ou pas, j'aurais ce que je veux, sois-en sûre, affirma-t-il, irascible.
Elle l'esquiva une première fois et lui donna un coup de coude en minimisant ses déplacements. Le second coup entailla son bras gauche. Quelqu'un frappa.
— Je n'ai pas fini, revenez plus tard, beugla le capitaine.
— Monsieur, le Maréchal Grisfald est en route. Il sera là dans moins de dix minutes.
Le capitaine fixa la porte, irrité puis alla l'ouvrir. Un brigadier se tenait tout droit, il écarquilla les yeux en voyant le couteau.
— Entrez et prenez cela, dit-il en tendant l'arme à l'homme. C'est une ennemie de la Ligue, elle m'a attaqué et j'ai dû me défendre. Je vais aller prendre les formulaires pour l'exécution.
L'officier opina en serrant le manche ensanglanté. Il posa un regard affligé sur la jeune femme puis avança plus près de l'entrée.
— Grendel ? Ramenez-moi le fusil de maîtrise, réclama-t-il avant de revenir à Noam. Et vous, vous allez rester bien sage.
La jeune femme observa le manège, écœurée et se laissa glisser au sol sans lâcher des yeux l'homme qui avait remplacé le capitaine. Les minutes s'écoulèrent et le membre du Contrôle s'impatienta, changeant le poignard de main. Un échange de voix dans le couloir l'interpella et il se plaça dans l'encadrement de la porte. Rapidement, il rentra dans la pièce, se figeant. Noam comprit que son père était là. Ce dernier entra, il était impressionnant tant par sa prestance que sa carrure. Ses iris sombres dévisagèrent Noam, la main flattant le pommeau de son sabre. Il revint au gradé qui s'était mis au garde-à-vous.
— Vous savez ce qui s'est passé ici ? questionna-t-il d'une voix posée.
— Oui, Maréchal. Le Capitaine Bla... expliqua-t-il.
Le haut dignitaire militaire sortit prestement son arme et trancha la tête du brigadier. Un ligne écarlate orna le mur blanc. Sous le corps, des fils sanglants suivirent les sillons du carrelage.
Noam resta bouche bée, elle se redressa le plus droit possible, passant outre ses blessures. Il la jaugea un moment en essuyant la lame avec un chiffon propre qu'il jeta sur le cadavre.
— Lieutenant-colonel Harch !
Un quadragénaire se précipita à l'intérieur de la salle.
— Qu'elle soit soignée. Vous l'emmènerez ensuite au domaine, exigea-t-il avant de quitter la salle.
— À vos ordres.
L'officier s'exécuta et Noam se laissa faire. Elle n'avait pas d'autres alternatives.
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