Chapitre 6-les Classes

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Pour de jeunes personnes habituées par leur voyage à une certaine liberté et indiscipline, la prise en main par les sous-officiers de garde fut très rude.

Dès la liste journalière d’émargement, la feuille de route et le sauf-conduit remis à l'officier, l'encadrement fit l’appel et récupéra les livrets militaires de chacun. Beaucoup manquaient dans les autres groupes. Le responsable titulaire fut obligé d'en donner les raisons. Il lui fallait énumérer l’inventaire de ceux qui étaient malades et restés en hôpital ; de ceux qui étaient décédés ou emprisonnés avec la désignation de la ville et éventuellement de la gendarmerie dans laquelle l’on pouvait retrouver leur signalement  s’ils étaient vivants ou leur carnet militaire s’ils étaient décédés ; de ceux qui avaient déserté en cours de parcours et aussi, de ceux qui avaient signé l’ordre de marche, mais qui n'étaient jamais partis de leur village.

Lorsque toutes les formalités administratives furent terminées, on les conduisit dans un bâtiment dénommé « douches collectives ». Là, un soldat les reçut dans une vaste salle humide. Il distribua des sacs et commanda :

- Débarrassez-vous de tous vos vêtements pouilleux et puants. Fourrez-les dans le sac et inscrivez votre nom dessus si vous voulez les récupérer à la sortie. Rares étaient ceux qui savaient écrire et encore eut-il fallu qu'ils aient de quoi le faire.

Tous se regardèrent hésitants. Ceux qui ne parlaient pas en français qui ne comprenaient pas et les autres qui n’avaient pas l’habitude de se déshabiller en public. La consigne fut réitérée en terme plus imagé et plus sèchement :

- Mettez-vous à poil, non de dieu !

Même les jeunes gens qui ne comprenaient pas le français n’avaient d’autre choix que de s’exécuter. Une fois nus, ils passèrent à la queue leu leu dans un couloir. Il plut de l’eau presque chaude. On leur donna un morceau de savon noir et, lorsque le local fut entièrement occupé, l’eau s'arrêta.

- Lessivez-vous sous les aisselles et entre les C... bandes de pouilleux…

Comme le sergent le leur répétait en joignant le geste à la parole tout en les regardant avec méchanceté, ils durent, peut-être pour la première fois, se laver dans les endroits inhabituels et ailleurs. On rouvrit l’eau avec injonction de se dépêcher pour se rincer puis, rapidement, elle fut coupée. Sous les cris de ceux qui étaient insuffisamment rincés et les quolibets de leurs persécuteurs.

On les fit sortir et chacun se servit d'une serviette pour s'essuyer. On distribua un caleçon et un pantalon assorti à une chasuble en serge de couleur grise. Dans cette tenue, ils changèrent de bâtiment et se retrouvèrent dans un couloir le long duquel ils aperçurent, à travers des vitres floutées par la poussière et les toiles d'araignées, des dortoirs immenses. De nombreux casiers en bois, occupés par une couverture pliée, un traversin et une paillasse roulée, s’ordonnaient sur trois niveaux, Au centre de la pièce étaient disposées trois tables métalliques entourées de tabourets. Chaque conscrit dut choisir un « pieu » avant d'y déposer le sac contenant ses vêtements civils.

Dehors, le tambour sonnait la soupe.

De nouveau alignés ils se retrouvèrent sous le commandent des deux sergents, qui les avaient pris en compte dès leur arrivée. L’un d’eux hurla comme à son habitude : « Alignés-vous... Silence dans les rangs ». Ils se dirigèrent vers le réfectoire. Ils avançaient tristement accompagnés du seul bruit des godillots ferrés qui claquaient tels des sabots sur les pavés. Des tables, sur lesquelles trônaient huit tabourets, les pieds en l'air, étaient remisées. Au bout de chacune d’elles, laissaient étaient empilés des couverts et des écuelles en métal partiellement rouillés. Sur ordre, les jeunes hommes en récupérèrent timidement un lot.

Une fois tout le monde installé, les sergents qui passaient entre les rangs demandèrent le silence tandis que des serveurs habillés tout en bleu entraient en poussant les chariots chargés de soupières fumantes. Ils distribuèrent une soupe épaisse, mélange de viande et de légumes. Une boule de pain et deux bouteilles de vin furent déposées au bout de chaque tablée. Les recrues étaient si affamées que le repas fut avalé plus que savouré. Le souper achevé, les recrues reçurent l’ordre de se lever, de débarrasser et d’apporter la vaisselle à la plonge. Dos tournés, des « bleus » s’activaient à la vaisselle, le long de bassins, leurs hanches encombrées d'un lourd tablier de caoutchouc.

Les « gris », comme l'on appelait les nouveaux arrivants, eurent le temps de fumer et de déambuler dehors durant une heure. Mais ils durent faire front aux moqueries des anciens.

De retour dans la chambre, ils remarquèrent avec surprise que des sacs blancs, censés contenir leurs couchages, étaient posés sur les tables. Sans y toucher, abrutis de fatigue, ils s'allongèrent, tout habillé, sur leur paillasse, et s'endormirent d'un sommeil lourd alors que la nuit n'était pas encore tombée.

***

Ils passèrent les quinze premiers jours sans s’en apercevoir tant ils furent abrutis de corvées diverses qui ne leur laissaient aucune minute de répit. Les caporaux étaient sans cesse derrière eux les traitants de fainéants.

L'aube s'illuminait à peine lorsqu’ils furent réveillés par le son d'une corne lointaine, puis par celui d’un tambour plus proche. Déjà, dans le couloir, des sergents hurlaient des ordres. Il fallait qu’ils se lèvent sans traîner aux aisances et aux bassins situés aux extrémités du bâtiment. Du savon était à disposition et des brigadiers veillaient à ce que les « gris », soient propres et nets pour la première inspection.

***

Le tambour résonna de nouveau ce premier jour de févier.

Ils se rassemblèrent sur la grande place de la caserne où les sergents et les caporaux tentèrent laborieusement de les aligner convenablement. Sur leurs côtés et en face d'eux, des soldats expérimentés se tenaient déjà en rang serré. Tous faisaient face à un mât qui s'élevait vers le ciel au-dessus d'un petit jardin encadré de lourdes chaînes blanches et d'un canon à chaque angle.

Georges souffla :

- C’est magnifique toute cette uniformisation…

L’un de ses voisins ricana :

- Je crois que l’on va en « chier » pour y arriver… On en reparlera lorsque l’on sera réglé comme eux. On a n'a pas encore « bouffé » notre pain blanc…

Des officiers apparurent. Des « Garde-à-vous ! » retentirent. Les troupes furent inspectées au rythme lent du tambour. Une fois la revue terminée, l’instrument cessa. Les officiers, qui ne s’étaient pas approchés des nouveaux venus, rejoignirent le pied du mât dans un silence de mort. Le tambour sonna la montée des couleurs. Des injonctions brèves furent émises et le drapeau hissé par deux brigadiers. Dès la cérémonie achevée, toujours strictement alignés, les militaires en tenue, suivis des bleus, libérèrent la place, dans l’ordre inverse d’arrivée.

Les « gris » étaient maintenant seuls. Leur commandant leur annonça l'emploi du temps de la journée. Puis, sous les ordres des sergents et des caporaux, l’ensemble se dirigea vers la cantine habituelle pour y déjeuner. À l’issue, ils ne regagnèrent pas un site de corvée mais les douches collectives.

- C’est notre premier de jour de classe, dit Georges, que nous ont-ils inventé maintenant. En tout cas, nous allons changer de casernement. Serait-ce bon signe ?

Cependant, point de toilette. À la place, ils durent se plier aux ordres des médecins qui, comme lors du conseil de révision, les toisèrent et les palpèrent dans tous les sens. Quelques-uns furent renvoyés chez eux. Des secrétaires reportaient les « bon pour le service » et les « réformés » sur de gros registres usés aux épaisses couvertures noires. D’autres complétaient les carnets individuels et attribuaient des papiers à ceux qui étaient libérés en leur déclarant : « Tu remettras ces documents au maire de ta commune ou aux gendarmes si tu passes devant leur caserne. Ne les égare pas sinon tu seras porté déserteur !" "Voici ton sauf-conduit. Bonne route ! » annonçait un autre.

- Comme disait mon grand-père qui aimait les proverbes et les citations : « Le ridicule effraie plus qu'un coup de sabre ! » grommela Georges.

Pendant ce temps, un peu plus loin, les « réformés » s’apprêtaient à quitter la caserne, heureux de leur bonne fortune.

Georges les regardait avec envie traverser la caserne à grands pas en direction de la sortie.

- Tout de même, leur laisser faire un si long voyage pour les renvoyer chez eux. C’est misère pour ces gens.

***

- Mon adjudant-chef, réorganisez le troupeau que nous avons devant nous ! Je ne veux voir qu’une seule tête !gner. L'opération est toujours compliquée pour eux, car ils éprouvent des difficultés à comprendre le français, ce qui engendre des malentendus avec les brigadiers. Le sergent-chef qui chapeaute la manœuvre s'énerve face à leurs erreurs et leur manque de coordination. En fin de matinée, après de nombreux ordres donnés par le sergent-chef qui n'était jamais satisfait, la compagnie fut considérée comme relativement prête. Un adjudant-chef qui les surveillait depuis un moment, demanda des rectifications par taille, réajusta des ceinturons, corrigea la position des calots. La masse des nouvelles recrues, vue de loin semblait imposante. Cependant, engoncées dans cet uniforme, trop ample et trop roide, sans aucune poche pour se sentir à l'aise et détendu, les postures restaient raides et maladroites, laissant transparaître la nervosité de la troupe. De plus, aucun d'entre eux ne savait que faire de ses bras et de ses mains. Même leurs jambes, recouvertes du long et large pantalon réglementaire, les embarrassent, les rendant malhabiles et gauches dans leur démarche.

Des officiers qui observaient de loin s’avancent. L'un d'entre eux se décrit comme étant leur commandant. Il chapitre vertement les futurs soldats, sur leur tenue nonchalante, décuplant la tension. Les hommes s'agitaient.

Le lieutenant donna un ordre et les sergents-chefs les reprirent en main pour obtenir le silence et le réalignement.

Puis, un homme très décoré, avec une énorme barbe grise à la hussarde, se présenta comme étant leur colonel. Il avait l'air imposant et impérieux avec ses distinctions scintillantes sous le soleil.

Il déclara avec une voix forte et autoritaire :

- Vous êtes l'avenir de l'armée française. Vous entrez dans votre période militaire probatoire. Sous mon commandement et à l'instar de vos vétérans, je vous veux irréprochables ! Vous étiez au dépôt. Ce jour, vous êtes affectés pour une durée de quatre mois à cette compagnie d'instruction. Nous avons pour mission de vous enseigner les rudiments militaires et de français. À l’issue de vos classes, vous serez déplacés dans différents régiments ou des services en fonction de vos compétences personnelles. Pour l’instant, suivez en toutes circonstances les consignes et les ordres de vos supérieurs et tout se passera bien pour vous ! Je vous souhaite bon courage.

Tout le monde n’a pas bien compris le discours, mais l'autorité de l'homme et la fermeté du ton ont impressionné les auditeurs. Un silence respectueux planait. Ils se sentaient intimidés, mais motivés par la responsabilité qui leur était imposée. Tous pensaient qu'ils devaient répondre aux attentes de leur commandant pour faire de leur mieux pour réussir.

Un lieutenant se présenta comme étant le commandant adjoint de la 3ème compagnie. Il n'oublia pas d'énumérer les sanctions qu'ils encouraient en cas de désobéissance ou d’insubordination.

- Mon adjudant-chef, réorganisez le troupeau que nous avons devant nous ! je ne veux voir qu’une seule tête !

L’adjudant-chef vexé par les propos du lieutenant devant le colonel et le commandant s’irrita du manque d'entrain des jeunes, les qualifiant de mollusques.

Tandis que les officiers se retiraient, ils furent ordonnés alphabétiquement en quatre pelotons d'une trentaine d'hommes.

L’adjudant-chef, reprenant le commandement, ne perdit pas de temps pour rappeler sa rigueur sur le comportement militaire de chacun, la tenue vestimentaire, la discipline, l’hygiène personnelle et la propreté du casernement. Il conclut son allocution en les informant des heures auxquelles ils devaient se coucher et se lever, et de la nature des actions individuelles, collectives et quotidiennes qu'ils auraient à accomplir en plus de leurs exercices.

Il n'y avait aucune violence dans les yeux de ces garçons pubères encore sensibles à la liberté. Cependant, ils venaient de prendre conscience qu'ils n’étaient pas là pour s'amuser et que les gradés ne plaisanteraient pas sur la discipline requise pour être un soldat. Les consignes qui leur paraissaient strictes devront être suivies à la lettre s’ils voulaient éviter les ennuis.

L'après-midi, ils firent quelques manœuvres à l'écart, au fond de la caserne, derrière les écuries. Ils s'instruisirent à se déplacer correctement de concert, à reconnaître les différents signaux du tambour qui ponctuaient la journée ainsi qu’à la façon de saluer les supérieurs à qui on ne dit jamais bonjour monsieur mais, on se présente nominativement après avoir salué. Ils débutèrent aussi l'apprentissage d'une chanson militaire.

Le tambour battit la fin du travail.

- Ouf ! Souffla Georges, on nous en a tant expliqué que je ne me souviens plus de rien ! Sauf que le chant nous permet de garder la cadence des pas pour marcher tous ensemble. Je suis exténué. Tout a été tellement compliqué pour tout le monde.lentendus avec les brigadiers. Le sergent-chef qui chapeaute la manœuvre s'énerve face à leurs erreurs et leur manque de coordination. En fin de matinée, après de nombreux ordres donnés par le sergent-chef qui n'était jamais satisfait, la compagnie fut considérée comme relativement prête. Un adjudant-chef qui les surveillait depuis un moment, demanda des rectifications par taille, réajusta des ceinturons, corrigea la position des calots. La masse des nouvelles recrues, vues de loin semblait imposante. Cependant, engoncées dans cet uniforme, trop ample et trop roide, sans aucune poche pour se sentir à l'aise et détendu, les postures restaient raides et maladroites, laissant transparaître la nervosité de la troupe. De plus, aucun d'entre eux ne savait que faire de ses bras et de ses mains. Même leurs jambes, recouvertes du long et large pantalon réglementaire, les embarrassent, les rendant malhabiles et gauches dans leur démarche.

Des officiers qui observaient de loin s’avancent. L'un d'entre eux se décrit comme étant leur commandant. Il chapitre vertement les futurs soldats, sur leur tenue nonchalante, décuplant la tension. Les hommes s'agitaient.

Le lieutenant donna un ordre et les sergents-chefs les reprirent en main pour obtenir le silence et le réalignement.

Puis, un homme très décoré, avec une énorme barbe grise à la hussarde, se présenta comme étant leur colonel. Il avait l'air imposant et impérieux avec ses distinctions scintillantes sous le soleil.

Il déclara avec une voix forte et autoritaire :

- Vous êtes l'avenir de l'armée française. Vous entrez dans votre période militaire probatoire. Sous mon commandement et à l'instar de vos vétérans, je vous veux irréprochables ! Vous étiez au dépôt. Ce jour, vous êtes affectés pour une durée de quatre mois à cette compagnie d'instruction. Nous avons pour mission de vous enseigner les rudiments militaires et de français. À l’issue de vos classes, vous serez déplacés dans différents régiments ou des services en fonction de vos compétences personnelles. Pour l’instant, suivez en toutes circonstances les consignes et les ordres de vos supérieurs et tout se passera bien pour vous ! Je vous souhaite bon courage.

Tout le monde n’a pas bien compris le discours, mais l'autorité de l'homme et la fermeté du ton ont impressionné les auditeurs. Un silence respectueux planait. Ils se sentaient intimidés, mais motivés par la responsabilité qui leur était imposée. Tous pensaient qu'ils devaient répondre aux attentes de leur commandant pour faire de leur mieux pour réussir.

Un lieutenant se présenta comme étant le commandant adjoint de la 3ème compagnie. Il n'oublia pas d'énumérer les sanctions qu'ils encouraient en cas de désobéissance ou d’insubordination.

- Mon adjudant-chef, réorganisez le troupeau que nous avons devant nous ! Je ne veux voir qu’une seule tête !

L’adjudant-chef vexé par les propos du lieutenant devant le colonel et le commandant s’irrita du manque d'entrain des jeunes, les qualifiant de mollusques.

Tandis que les officiers se retiraient, ils furent ordonnés alphabétiquement en quatre pelotons d'une trentaine d'hommes.

L’adjudant-chef, reprenant le commandement, ne perdit pas de temps pour rappeler sa rigueur sur le comportement militaire de chacun, la tenue vestimentaire, la discipline, l’hygiène personnelle et la propreté du casernement. Il conclut son allocution en les informant des heures auxquelles ils devaient se coucher et se lever, et de la nature des actions individuelles, collectives et quotidiennes qu'ils auraient à accomplir en plus de leurs exercices.

Il n'y avait aucune violence dans les yeux de ces garçons pubères encore sensibles à la liberté. Cependant, ils venaient de prendre conscience qu'ils n’étaient pas là pour s'amuser et que les gradés ne plaisanteraient pas sur la discipline requise pour être un soldat. Les consignes qui leur paraissaient strictes devront être suivies à la lettre s’ils voulaient éviter les ennuis.

L'après-midi, ils firent quelques manœuvres à l'écart, au fond de la caserne, derrière les écuries. Ils s'instruisirent à se déplacer correctement de concert, à reconnaître les différents signaux du tambour qui ponctuaient la journée ainsi qu’à la façon de saluer les supérieurs à qui on ne dit jamais bonjour monsieur mais, on se présente nominativement après avoir salué. Ils débutèrent aussi l'apprentissage d'une chanson militaire.

Le tambour battit la fin du travail.

- Ouf ! souffla Georges, on nous en a tant expliqué que je ne me souviens plus de rien ! Sauf que le chant nous permet de garder la cadence des pas pour marcher tous ensemble. Je suis exténué. Tout a été tellement compliqué pour tout le monde.

- Moi je retiens que mon expérience militaire sera remplie de rigueur, de discipline et d’esclavage, répondit son voisin.

Ils se dirigèrent vers le long édifice en briques rouges désormais leur lieu de vie.

- Mais c’est le bâtiment que nous avons nettoyé et dont nous avons repeint les chambres la semaine passée... s’écria Georges.

Huit vieux brigadiers attendaient sur le trottoir. L'adjudant de compagnie leur demanda de rediviser les sections en quatre sous-sections. A l'issue, il fit les présentations :

- Vous avez encore beaucoup de progrès à faire pour marcher et chanter. Pour aujourd'hui ça ira. Vous vous répartissez maintenant par dortoirs. Les caporaux qui vous ont appelé sont vos « responsables de carrée ». Vous leur devez obéissance. Au moindre problème, ils m'en référeront immédiatement ou à l’officier de permanence si cela se passe la nuit ou les dimanches. Je ne veux pas d'histoire, entre vous. L'alcool est interdit dans les chambres.

Sous les ordres des sergents, ils allèrent en chantant récupérer la literie individuelle constituée d’un sac de couchage rêche et d’une couverture.

Au retour, chaque chef de salle se mit face à sa section, se présenta, fit encore l'appel par rapport à sa liste et indiqua le numéro du dortoir dans lequel ils passeraient dorénavant leurs nuits.

Les bleus prirent enfin possession de leurs quartiers. La pièce collective était plus longue que large, voûtée et sombre, éclairée par une seule fenêtre à son bout.

- C’est nous qui avons blanchi à la chaux les caissons et rempli de paille fraîche le sac matelas. Rigolaient les jeunes en se bousculant.

- Silence et écoutez-moi, hurla le caporal. Comme vous l'a dit l'adjudant tout à l'heure, je suis le responsable de votre piaule et de l’ordre ici. Chacun peut venir me voir s’il doit se plaindre de quelqu’un ou de quoi que ce soit. Il faut que vous sachiez que vous ne pourrez en aucun cas changer de chambre ni de châlit[1]. Le numéro indiqué sur le chambranle correspond à votre matricule, donc à votre nom. Il est aussi inscrit sur la liste d’appel posée sur la porte. Vous devrez répondre « présent » à l'appel du soir et du matin debout au pied du lit. Seul le commandant de compagnie pourra éventuellement vous bouger.

Leur mentor insistait sur cette concordance parce qu'il savait que certains voudraient transmuter. Des affinités existaient déjà.

- De plus, poursuivit-il, vous avez l’entière responsabilité de la propreté de la chambre et de votre pieu. Comme au dépôt, tous les matins vous devrez défaire et plier vos couchages puis rouler le matelas. Tous les quinze jours le dimanche, vous laverez vos bâches[2] et remplacerez votre paille. J’y veillerai ! Je ne suis pas votre ennemi, vous pourrez me poser toutes sortes de questions. Si j'ai l’explication, je vous répondrai. C’est tout ! Vous pouvez continuer.

Alors que les jeunes prenaient possession de leur gite tout en soupirant, le tambour sonna la soupe. Dans le couloir, les sergents criaient déjà de se dépêcher pour l’alignement.

- Prenez votre gamelle et vos couverts, leur lança le caporal alors qu'ils s'élançaient étourdiment.

- Sinon vous boufferez avec vos doigts.

- Restez dans la composition des chambres ! ordonna le sergent-chef.

Ce fut en rangs, maintenant mieux réglés, que les gris et leur chef de chambre, supervisés par les sergents, se rendirent en chantant à la cantine, les ustensiles métalliques à la main. Malgré que la compagnie de Georges fût en avance devant le réfectoire, tous les anciens, sans un regard vers eux, y pénétrèrent dès l'ouverture des portes. Heureusement, les tables étaient réservées par compagnie et les adjudants veillaient. Comme à l’habitude, le souper se passa dans un brouhaha infernal.

Une fois leur écuelle vide, ils se hâtèrent de la nettoyer sous l'eau de la fontaine extérieure pour fumer et discuter entre eux avant le tambour de la douche obligatoire et du coucher.

Les émotions encaissées lors de cette première journée remontaient à fleur de peau. Les commentaires allaient bon train. Certains se plaignaient de la dureté de la vie militaire, d'autres se demandaient comment ils allaient s'adapter à toutes ces règles nouvelles. Les peurs et les incertitudes se lisaient sur leur visage fatigué, mais ils s'encourageaient pour rester positifs. Ils se trouvaient tous dans la même situation. Ils devaient faire corps et s'entraider pour surmonter les épreuves à venir. Au sortir de la douche, les conversations se prolongèrent dehors jusqu'à ce que le tambour annonce le couvre-feu. Epuisés, les bleus regagnèrent sans entrain leur dortoir, mais avec l'espoir d'un lendemain meilleur.

Ils furent reçus par leur chef de chambrée qui les attendait tout sourire. Alors, enfin au calme, ils purent mieux se connaitre et bavarder sans contrainte avec lui. Chacun voulait lui poser sa question.

- Demain sera un autre jour leur dit-il au bout d'un moment, pour l'heure le couvre-feu a sonné.

***

Les anciens de leur village n'avaient cessé de leur répéter qu'ils mangeraient à l'armée de la « vache enragée ». Pensant qu'il s'agissait d'une viande avariée, les novices étaient étonnés :

- Nous avons dans notre écuelle un gros morceau de bœuf tendre, disait l’un.

- Il y a une quantité suffisante de pommes de terre ou de fayots ou de légumes et cela, deux fois par jour s’ébahissait un autre.

- Le tout s'accompagne toujours d'une part appréciable de pain blanc. Boof ! Il est souvent trop cuit... Celui de ma mère est bien meilleur...

- Pour moi, il est d'une qualité et d'un parfum supérieurs à celui que nous mangeons chez nous. Le quart de vin rouge est un peu aigrelet, mais il se laisse bien boire avec l'habitude.

Parlait chacun suivant ses gouts et ses traditions.

Le dimanche suivant, de repos, Georges décida d’écrire à sa famille...

[1] Encadrement en bois ou en fer d’un lit. Plus péjorativement, indique un lit.

[2] Dans l’esprit de l’époque : sac de couchage servant de drap et sac qui une fois rempli de paille servait de matelas. elles

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