Chapitre 16

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 Chez les Ben Saadi, si mes calculs sont corrects, la prière est terminée, l’heure de dîner approche, chaque membre de la famille effectue sa tâche quotidienne : Sarah prépare le repas, Farid range la vaisselle, les enfants mettent la table. Par acquit de conscience, j’entre, afin de ratifier la persistance du rituel. Mais le réel est décidément un oiseau rebelle, rétif à toute prédiction : Sarah ne s’affaire pas aux fourneaux, la table n’est pas dressée et Farid, dans le salon, s’est assoupi devant la télévision. Le volume sonore des publicités, comme toujours plus fort que celui de l’émission qu’il regardait – subterfuge grossier mais efficace pour attiser la curiosité du consommateur potentiel –, le fait sortir de sa léthargie. Il jette un coup d’œil sur son portable : vingt heures trente-quatre.

 — Sarah ! Tu as vu l’heure ? On est en retard. Sarah ?

 Aucune réponse ne lui parvient. Farid se lève, préoccupé, appelle une nouvelle fois son épouse, sans davantage de succès que les deux premières. Il pénètre dans la cuisine : aucun aliment n’est sorti du réfrigérateur, rien n’est sur le feu. Il se dirige vers la chambre conjugale : elle est fermée. Il hésite un moment, met la main sur la poignée, s’apprête à la tourner, se ravise, colle son oreille contre la porte, attend quelques secondes, finit par se décider à ouvrir la porte.

 C’est d’abord la lumière tamisée qui le surprend : les rideaux ont été tirés, la lampe de chevet allumée. Au milieu du lit, une jonquille, délicatement posée. Et sous la couette la coupable : Sarah. On ne voit que son visage et ses longs cheveux auburn. Ses paupières sont ornées de fard couleur violine, ses cils de mascara. Un trait d’eye-liner complète le tableau. Elle plante son regard dans celui de son mari. Farid a un mouvement de recul, dépassé par la situation.

 — Sarah, qu’est-ce que tu fais là ? Ça ne va pas ? Tu ne te sens pas bien ? Tu es malade ? Et cette jonquille, d’où vient-elle ?

 Il n’a pas beaucoup de suite dans les idées. N’importe qui à sa place aurait vu là une invitation. Mais il est manifestement focalisé sur les choses à faire, le dîner à préparer, les enfants dont il faut s’occuper. Sarah ne se décourage pas, ce soir. Sans cesser de le fixer, elle dit :

 — Tout va bien, ne t’inquiète pas. Cette jonquille, c’est l’une de celles du bouquet qui est dans le hall. Je l’ai prise en rentrant. Maintenant, viens.

 — Mais… Je ne comprends pas. Et les enfants ?

 — Ils peuvent attendre. Ils sont dans leur chambre, ils font leurs devoirs. Ou ils font semblant de les faire. Et honnêtement, pour le coup, je m’en moque, de ce qu’ils font.

 Puis elle répète : viens. Il s’approche, s’assied sur le bord du lit, décontenancé. Elle approche ses lèvres, l’embrasse tendrement. Il ne refuse pas son baiser, mais ne peut s’empêcher, au bout de quelques secondes, d’y mettre fin, pour murmurer :

 — Sarah, que se passe-t-il, enfin ?

 Elle pousse un soupir, avant de répondre :

 — Il se passe que j’en ai assez de n’être plus que la mère de tes enfants. Il est temps que tu retrouves ta femme. Comme avant. Maintenant, tais-toi et prends-moi. J’en ai envie. J’en ai besoin.

 Ce ton ferme, ces paroles crues : je ne reconnais pas Sarah. Elle qui ne sort jamais sans son voile, qui regarde le sol dès qu’elle croise quelqu’un, surtout si c’est un homme, elle vient bien de dire : prends-moi. Je ne suis pas le seul à être étonné, d’ailleurs. Farid a les yeux écarquillés et la bouche grande ouverte. Ce qui ne l’empêche pas d’accepter les caresses que Sarah entreprend. D’une main, il écarte un peu la couette, observe la peau nue de sa femme, vient s’allonger auprès d’elle. Sarah déboutonne la chemise de son mari, lentement. On entend le froissement de vêtements qu’on enlève, la palpitation de corps qui se mêlent, des souffles qui s’accélèrent. Ils s’étreignent. Sarah, les yeux mi-clos, resserre ses jambes et ses bras autour du dos de Farid, avant de laisser échapper un feulement. Au-dessus d’elle, il accélère ses mouvements ; sa peau devient moite, des gouttes de sueur perlent maintenant sur ses tempes, son souffle est saccadé : tout son corps lui rappelle qu’il a perdu l’habitude de ce genre d’effort. Il contracte une dernière fois ses muscles, se fige un instant, les yeux fixés sur ceux de sa femme. Un gémissement jaillit du fond de sa gorge. La jonquille gît désormais au pied du lit, elle n’a pas résisté à leurs ébats. Ni lui ni elle ne s’en soucie.

 — C’est bon de te retrouver, murmure Farid. J’avais oublié à quel point j’aime être contre toi.

 Sarah ne répond rien, mais elle approche ses lèvres de celles de Farid. Un long et langoureux baiser s’ensuit. Le dîner attendra peut-être encore un peu.

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