Je peux ôter le bouquet, maintenant, il n’est plus nécessaire. Ma présence non plus, d’ailleurs, mon rôle ici touche à sa fin. Violette, Alexandre, Julien, Marie-Line et les autres n’ont plus besoin de moi. Je suis entré chez eux, en eux, j’ai pénétré leurs entrailles ; j’espère qu’ils me garderont une place de choix, à présent qu’ils ont repris conscience de mon importance. Je ne suis pas certain qu’ils aient bien compris que j’étais à leurs côtés depuis le début de la semaine, ni qu’ils soient parvenus à m’appréhender avec précision. Je ne leur en veux pas : moi-même, j’ai parfois du mal à m’y retrouver. Les philosophes m’ont donné tellement de noms différents : Spinoza m’a appelé Conatus et m’a défini comme l’effort de tout être vivant pour persévérer dans son être – j’aime bien ; Schopenhauer m’a nommé Vouloir-Vivre et a prétendu qu’il fallait renoncer à moi pour éviter l’alternance entre souffrance et ennui qui caractérise le cycle de la vie humaine – j’aime moins ; Nietzsche, au contraire, m’a exalté sous le nom de Volonté de Puissance – soit. Mais si ma désignation a pu varier au cours de l’histoire, mon identité profonde est restée la même, elle a traversé le temps, et mon suicide n’est pas à l’ordre du jour, n’en déplaise à Schopenhauer : je l’affirme haut et fort, moi, le coup de pouce qui pousse à l’action, l’élan vital qui donne la force d’affronter la vie et ses vicissitudes, qui fait qu’on ne renonce pas, je continuerai à me rendre partout où on aura oublié l’existence du désir. Mon existence.