La Potion de Liberté

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 La cloche sonna les dix coups.

 Sac dans le dos et livres à la main, je me précipitai dans les couloirs sombres et froids de l'école pour rejoindre l'aile nord, accompagnée des autres élèves de ma classe. Nous nous arrêtâmes devant une immense porte en bois sombre, et attendîmes qu'elle s'ouvrît. Comme par magie, elle pivota sur ses gonds dans un grincement aigu et familier que nous entendions tous les vendredis matins.

 La pièce était circulaire, assombrie par les rideaux noirs qui cachaient les fenêtres. Je fus la première à entrer et, dès que j'eus posé un pied sur une dalle de la pièce, des torches s'enflammèrent avec un crépitement, illuminant ainsi la classe. Les bureaux en acajou étaient installés de sorte qu'ils eussent la même forme que la pièce, et ils entouraient un autre bureau surélevé sur une estrade au centre. Sur les murs en pierres poussaient de magnifiques plantes qui dégageaient une agréable odeur de nature, les bibliothèques croulaient sous les tonnes de livres qu'elles portaient avec difficulté, d'autres étagères abritaient des bocaux remplis de quelque ingrédient mystérieux et fantastique.

 Nous entrâmes en nous bousculant dans un cri d'émerveillement en voyant cette scène qui nous semblait si théâtrale. Puis nous nous installâmes à notre place, laissant tomber nos sacs aux pieds de nos chaises et posant avec bruit nos livres sur nos paillasses. Et nous attendîmes avec impatience notre professeure de potion.

 Celle-ci arriva peu de temps après nous, se matérialisant dans un nuage de poussière bleutée au milieu de la pièce. Dans son surcot rouge ouvert recouvert d'un plastron de fourrure blanche, la professeure Azalée était resplendissante. N'oublions pas sa cape toute aussi rouge que sa robe et ornée de broderies dorées qui pendait majestueusement dans son dos.

   -Bonjour à tous ! nous salua-t-elle, toute souriante.

   -Bonjour madame Azalée ! répondis-je avec mes camarades, en chœur.

   -Pour le cours d'aujourd'hui, je vous ai réservé une surprise !

 Nous lâchâmes tous un grand « Oh ! » et attendîmes qu'elle nous révélât son secret.

   -Ce ne sera pas vraiment un cours, mais plutôt un atelier, continua-t-elle. Vous allez inventer une formule et une potion qui l'accompagne. Sur une feuille -que je ramasserai, bien évidemment- vous allez m'écrire votre formule, et les ingrédients qui composeront votre potion.

 Excités, nous partageâmes notre enthousiasme ! Un atelier comme celui-ci était le premier de notre année. Et je dois dire que nous étions tous fous à l'idée de créer notre propre recette pour un sortilège !

   -Sur ce, à vos chaudrons !

 Elle nous laissa donc nous débrouiller.

 Tous les élèves se levèrent et se précipitèrent vers les étagères, une première idée en tête.

 Je ne bougeai pas tout de suite. Je réfléchissais à mon rêve depuis ma plus tendre enfance. Depuis toujours, je voulais être libre et échapper à tous les défauts du monde. C'est alors qu'une idée germa dans mon esprit !

 Motivée et inspirée, je m'élançai vers la cage renfermant les colombes. Madame Azalée les aimait beaucoup, c'était ses animaux de compagnie lorsqu'elle était seule dans la salle de potions. D'une blancheur immaculée, elles étaient vraiment magnifiques ! Mais elles n'étaient pas des colombes ordinaires ; elles avaient un côté divin, étant des enfants d'Anges qui se matérialisaient sous cette forme sur Terre. 

 J'ouvris la cage. Habituées à la présence de l'Homme, elles n'étaient aucunement effrayées. L'une d'elle n'hésita pas à grimper sur mes doigts. Je la sortis, la caressa, lui fis un baiser et lui pris délicatement une plume de son aile gauche avant de la remettre avec ses compagnes. Puis je refermai la cage et allai déposer ma nouvelle acquisition sur mon bureau. Je posai quelque objet dessus pour l'empêcher de s'envoler.

 Ensuite, je me dirigeai vers la cheminée. Aux pieds de l'âtre se trouvait un seau contenant des os de dragons. J'en empoignai un et le posai aux côtés de la plume. Puis je farfouillai dans un bocal rempli de lézards morts et emmenai avec moi l'un de ces cadavres. Sur ma paillasse, j'en coupai la queue avant de renvoyer le reste du corps là où il était.

 J'étais maintenant avec trois ingrédients. Ce n'était pas beaucoup. Je replongeai dans mes pensées... Quand je pensais à liberté, la célèbre expression « fruit de la liberté » me venait à l'esprit. À nouveau inspirée, je m'empressai de demander à la professeure si je pouvais passer aux cuisines chercher quelque ingrédients. Évidemment, elle me répondit par l'affirmative.

 C'était donc en courant que je quittai un instant la salle de cours pour revenir quelques minutes plus tard, une jolie et douce pêche à la main. La pêche était mon fruit préféré et, chaque fois que j'en mangeais, j'avais l'impression de m'élever dans les airs ! Son goût était si bon, si doux !

 Voilà. À ce moment, je me sentais parée à préparer ma nouvelle potion ! De retour à ma paillasse, je remplis mon chaudron d'eau et je laissai chauffer le temps de préparer la recette.

 J'allai chercher un bol et un marteau et écrasai l'os. Devenu poussière, je mis celui-ci dans le bol et l'écrasai encore un peu plus pour affiner les grains. Je le versai ensuite dans mon chaudron dont le contenu était à présent tiède. Pour avoir des ailes, il fallait avoir besoin d'os pour en construire la structure. Et les os de dragons étaient plus solides que ceux d'animaux normaux. 

 Avec un couteau, je découpai la queue de lézard en morceaux que je laissai tomber dans le gros récipient. Ceci permettrait à la poussière d'os de former un nouveau squelette, puisque les lézards ont la capacité de faire repousser leurs membres.

 Je n'oubliai pas le fruit de la liberté, ma tendre pêche dont je récupérai le jus en l'écrasant. Cela gicla un peu partout malgré mon effort pour faire tout cela proprement ! Je versai doucement le jus dans le chaudron et mélangeai le tout.

 Tout en mixant la future potion, je débattis intérieurement au sujet de la formule. Fruit de la liberté... J'aimais beaucoup cette expression qui me donnait plein d'idées ! Je voulais la mettre dans la formule. Mais il fallait aussi annoncer les autres ingrédients. En fait, c'était comme un poème. Et les poèmes, pour les faire, je n'étais pas très douée.

 « Que le Fruit de la Liberté devienne magie »... Pas mal ! Le vers pour la pêche était là, c'était déjà ça !

 « Que le lézard fasse repousser ses ailes » ? Pourquoi pas, même si j'avais un doute sur cette phrase.

 « Que la poussière de dragon reprenne forme »... Oui, j'aimais assez !

 Il ne restait que la plume... que je pris d'ailleurs délicatement entre mes doigts pour la lâcher dans le chaudron. Elle fut dissoute dans l'eau bouillante et un nuage de vapeur s'éleva, prenant une majestueuse forme que je reconnus comme un ange. « Que la plume céleste m'offre le pouvoir de m'échapper »... Oui ! Ça y était, j'avais trouvé !

 Je pris une feuille de parchemin et empoignai ma plume d'écriture. J'en plongeai le bout dans l'encre noire et commençai à écrire...


Potion de Liberté


Ingrédients :

  1 os de dragon (écrasé et changé en poussière)

  1 queue de lézard (découpée en morceaux)

  1 fruit [différent pour chaque utilisateur de la potion] [ici : une pêche] (on en récupère le jus)

  1 plume de colombe divine (à laisser dissoudre dans l'eau du chaudron)


Formule :

Que la poussière de dragon reprenne forme,

Que le lézard fasse repousser ses ailes,

Que le Fruit de la Liberté devienne magie,

Que la plume céleste m'offre le pouvoir de m'échapper,

Me voilà prêt(e) à m'envoler vers le firmament !


 Je reposai ma plume et levai le parchemin devant moi, plutôt fière de mon travail. Puis je recentrai mon attention sur ma potion, qui était enfin prête ! Avec une louche, je versai le liquide dans une fiole bleue choisie minutieusement. Je refermai celle-ci avec un bouchon que j'ornai d'un ruban blanc. Puis je la posai sur mon bureau. Je la regardai avec un grand sourire.

 Une demie-heure avant la fin du cours, madame Azalée nous avertit que le temps de faire notre travail était terminé. Tout le monde cessa son activité, rangeant les matériels à leur place et le reste des ingrédients inutilisés. Madame Azalée fit ensuite passer les élèves au centre de la classe pour présenter leur potion.

 Les idées étaient nombreuses et originales. L'un avait créé une potion permettant de se grandir. Ainsi, disait-il, on pouvait atteindre les étagères qui étaient trop hautes pour ceux qui étaient trop petits. Un autre avait inventé une potion et une formule qu'on jetait sur quelqu'un d'autre, pour que celui-ci nous obéisse à la lettre !

 Quand ce fut mon tour, j'eus un peu le trac. Je n'avais pas l'habitude de passer devant autant de monde, même si les exercices de ce genre n'étaient pas rare dans cette école de magie.

 La fiole en main, je montai donc sur l'estrade au milieu de la pièce. Je me raclai la gorge et récitai ma formule.

   -Que la poussière de dragon reprenne forme, que le lézard fasse repousser ses ailes, que le Fruit de la Liberté devienne magie, que la plume céleste m'offre le pouvoir de m'échapper, me voilà prête à m'envoler vers le firmament !

 Le liquide s'illumina dans mon récipient. Je l'ouvris, une fine fumée s'en échappa et je la bus d'une traite ! Je sentis immédiatement un goût de moisi et de sang, provenant certainement de la queue de lézard. Mais la douceur de la pêche effaça aussitôt cet horrible goût. Je me sentis soudain apaisée, ma tête se vidait peu à peu, comme si toutes mes idées et pensées étaient balayées ! Puis une douleur m'envahit le dos, d'abord insupportable. J'avais l'impression qu'on m'enfonçait des tonnes de clous dans ma chair avec un marteau ! Mais la sensation disparut en un instant. Je me sentais toute légère, aussi légère qu'une plume !

 Et c'était sous des regards ébahis et des cris d'émerveillement que je m'élevai dans les airs, jusqu'au plafond de la classe !

 Je tournai la tête et jetai un regard par dessus mon épaule. Je lâchai ma fiole qui se brisa en mille morceau sur le sol dallé de la classe quand je vis des ailes majestueuses dans mon dos ! D'un blanc pur, divin, elles étaient vraiment magnifiques et elles semblaient illuminer la pièce qui était si sombre.

 J'étais ravie, j'étais submergée par le bonheur !

 Enfin, je ressentais ce qu'était vraiment la liberté !

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