Bourgeon

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Quand j’étais petite, ma grand-mère venait me voir tous les soirs. Elle disait que c’était pour me parler de sa journée mais en réalité, c’était plutôt pour examiner les coups et les bleus que j’avais reçus.

Récompense de ne pas être née garçon.

Je me souviens, que de sa main elle me soulevait le menton et émettait un claquement de langue désapprobateur.

Que je me sentais coupable sous son regard perçant.

Ses yeux semblaient m’accuser de la lâcheté qui nous caractérisait, nous, les femmes.

« Pendant combien de temps encore vas-tu te laisser faire ? »

J’avais le droit à cette question tous les soirs et tous les soirs je baissais la tête fuyant son regard. Déterminée à ne pas répondre.

À quoi bon ?

Je ne suis qu’une femme.

Je ne comprenais pas l’entêtement de ma grand-mère à vouloir se dresser contre les hommes.

Ne voyait donc t-elle pas qu’ils étaient plus forts que nous ? Que tout ce que nous pouvions faire, étaient nous soumettre et écarter les cuisses quand on nous l’ordonnait ?

Plus je grandissais et plus l’attitude de ma grand-mère m’énervait. Elle ne comprenait rien au monde dans lequel nous vivions.

En y repensant, c’était sans doute plus un mélange de colère et d’aigreur.

Colère, qu’elle s’oppose constamment à mon père, risquant sa vie, bien que celui-ci, ait trop peur de la mère de sa défunte première femme pour lui faire quoi que ce soit.

Aigreur, dû à la lueur d’espoir qu’elle avait un jour déposée dans mon cœur alors que je n’étais encore qu’une enfant ignorante de la vie et de ses réalités.

« Pendant combien de temps encore vas-tu te laisser faire ? »

Et cette question.

Elle tournait dans ma tête.

Encore et encore.

Encore et encore.

Encore et encore.

« Il n’y a pas de réponse ! »

Voici ce que j’aurai dû lui crier, mais avant que les mots ne franchissent la barrière de mes lèvres, son regard m’avait épinglée.

« De mon temps, on ne se serait jamais laissé faire. »

Tais-toi et écoute me disaient ses yeux.

« Contrairement à ce que tu sembles penser fillette, les choses n’ont pas toujours été ainsi. Bien sûr pendant longtemps cela a été le cas, mais nos ancêtres ont petit à petit fait bouger les choses. Ce n’est pas parce que la société a régressé, que nous devons suivre le mouvement. »

« Mamie... »

« Chut, laisse-moi finir. Je ne serais bientôt plus là pour te secouer. Si la force des hommes réside au fait qu'ils doivent survivre à chaque bataille qu’ils font, la nôtre réside dans celle de survivre à chaque jour qui passe dans une société où ils règnent. Et ce n’est pas parce qu’un idiot comme ton père te dit que tu es une bonne à rien, que les femmes en général sont des bonnes à rien, que tu dois l’écouter ! Tu m’entends ? »

Elle a attrapé mes mains et les a serrées aussi fort qu’elle le pouvait, son regard vitreux trahissant son âge, ne quittait pas mes yeux.

« Ma petite fille. »

Elle m’a serrée dans ses bras et j’ai senti la chaleur de tout l’amour qu’elle me portait et toute la tristesse ressentie depuis que ma mère était morte.

Cette nuit-là, fut la dernière que nous passâmes ensemble.

Sans doute avait-elle ressenti le besoin de venir me « secouer » une dernière fois comme elle le disait, parce qu’elle savait que le temps lui était compté.

Autant à elle qu’à moi.

Mon père s’était choisi un gendre.

C’est une dernière fois que je marchais seule, libre.

Sans père, frère, époux ou enfant à mes côtés.

Sur ce calme et paisible chemin menant à la vie qui m’était imposée.

Pourtant, je ne le trouvais pas dur à parcourir comme je m’y attendais, mais calme et accueillant.

Dans la brise printanière, les arbres en fleur qui le bordait laissaient quelques pétales s’échapper.

Un doux souvenir pour me tenir chaud les jours où la vie me glacerait jusqu’à l’âme.

Nostalgique, j’ai pensé à ma grand-mère et à l’espoir qu’elle m’avait confié.

Désolée mamie, je ne suis pas comme toi.

L’espoir est le plus grand des fardeaux, aussi fragile qu’un bourgeon.

Ne t’inquiète pas, je me chargerai de le transmettre à mes filles.

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