Le Chant des Oiseaux
1*FUTAIE : Forêt de grands arbres.
2*CHUINTEMENT : Bruit sourd mais d'une durée longue.
3*PAYS : Dans ce cas-ci cela signifie la région
4*BROUÉE : Synonyme de brouillard
5*ORPHÉON : Une fanfare
Comme tous les matins installé dans ma tour je sirotais mon café en observant ma protégée, la forêt d'Iraty. Cependant cette fois-ci ni le brame des cerfs ni le chant des oiseaux ne m'ont accueillis dans la brume matinale. Et cela depuis le début de la semaine. Ce qui pour un apprenti ne serait guère étrange, mais pour une vieille branche un tel changement n'est pas de l'affaire du naturel. Cela fait plusieurs jours qu'un épais brouillard rampe entre les arbres cachant le paysage. Mais aujourd'hui la météo s'est montré plus clémente, sans faillir à ses amantes ; l'humidité et l'obscurité. Je finis mon verre saisis mon arme de service et m'en vais au cœur de la futaie* pour rechercher les bêtes fantômes.
Comme à leur habitude les longs hêtres se mélangeaient aux chênes, ce qui ne me permettait aucune aisance dans mes mouvement. Le soleil, tardant à se lever, ma vue devait s'habituer à cette semi obscurité. En bref je devais compter sur mon ouïe malgré une surdité légère. Mes pas s'imprégnaient dans la boue ce qui rendait d'autant plus étrange l'absence d'empreintes animales. Il y avait un silence morbide, la seule stimulation sonore qui régnait entre les branches était l'agitation du bourbier.
Je ne pu passer plus d'une heure et trois cigarettes avant que le brouillard ne retombe, plus opaque que jamais. Aucune bête ne fit acte de présence, le silence régnant d'une nature morte apporta au paysage lyrique un aspect profane. Cela ne suffit pas à la rendre malsaine à mes yeux, je n'étais que trop habitué à ces hectares. Je mis à siffler, ces méthodes n'étaient pas bénéfiques aux animaux mais je devais savoir si il y en avait au moins un dans les alentours. Aucune bête ne répondit à mon appel. Autant me faire détester cette expédition jusqu'au bout !...Évidemment ma vision ne fit que s'affaiblir au fil de mon avancée et je fus contraint de retourner sur mes pas! Je m'y dirigeai, dépité mais mon espoir revint ; un chuintement* répondit à mon appel précédent. Je m'y hâtai, ce son ne me rappelait aucun animal dont j'avais la charge mais à mon âge la mémoire n'est jamais fiable. J'eus du mal à déterminer la provenance du murmure de la forêt et finalement je ne l'entendis plus.
J'observais autour de moi ; la brume s'était épaissie, je ne reconnu pas ma position. Une crainte monta, l'aube n'était pas encore installée ; pour l'instant quelconque randonnée serait stupide et imprudente. Décidément c'était mon jour et ma chance, foutue météo. Une particularité terrestre m'interrompit alors que je m'asseyais contre un arbuste. Deux goutte étirées étaient simulées dans la terre, c'était tout bonnement le signe qu'un animal venait d'explorer cette zone. Je l'observais avec attention, en profitant du répit que cela m'apportait, c'était un bouc qui venait de passer, la foulée était fraîche. Une telle marque était singulière, le bouc ne logeait, habituellement, pas de tels pays*. La bête semblait s'être frayée un passage entre les arbres s'enfonçant dans la brouée* mais, je pensais, pouvoir la rattraper. Alors je me mit à sa recherche d'un pas rapide m'efforçant de suivre le signe de son passage, ce qui ne fut pas une mince affaire. J'espérai enfin avoir une piste, les chutes émotionnelles commençaient à sincèrement me lasser et ça ce n'est pas bon pour mon cœur.
Une heure de marche et deux cigarettes en plus, j'étais perdu et déboussolé. Je ne possédais plus de point repaire et les empreintes s'arrêtaient ici, entre deux buissons. Je soufflai du nez, j'essayai de ne pas m'inquiéter. Le jour était-il levé ? Je ne le savais même pas tant l'intérieur des bois était dense. Apparaissant tel un sortilège un doux sifflement retentit. Sa légèreté continue était perturbée pendants quelques notes par des piaillements animaux. Cela me raviva et je m'y hâtai, heureux d'enfin mettre un point sur l'absence du chant matinal des oiseaux mais ayant un sentiment de malaise au fond de la gorge. J'arrivai bien vite à la source de ce chœur et ce que je vis me fit tomber en arrière.
Une scène irréaliste se trouvait devant moi : Dans la brume infranchissable je ne pouvais distinguer que le nombre impressionnant de cerfs, chevreuils, écureuils et même oiseaux semblant réceptif à cet orphéon*, le flûtiste, lui, était indiscernable et même lorsque je le vis je ne pus le décrire. Ce passage intraduisible avait un aspect profane qui se confirma à la suite des évènements. Ce ne fût pas le visuel qui me terrifia mais l'odeur...et je compris bien vite lorsque le musicien invisible me remarqua, il arrêta son concerto et son publique sauvage tomba au sol dans une harmonie terrifiante. La chair de ces pauvres bêtes était pourrie...les oiseaux n'allaient plus chanter et les cerfs ne risquaient de pousser leur brame d'aussi-tôt. Au-delà de la brouée je sentis que l'être affreux m'observait longuement, et moi, désemparé, je restai au sol en tremblant. Quelle créature aurait pu dévaster une faune aussi rapidement ?
J'entendis l'assassin piétiner les bêtes qui avaient assistées à son carnaval mortuaire. Les pas devinrent des foulées de sabot. Je pris mon fusil et n'eut que le temps de me lever qu'un bouc, à la fourrure noire et ayant un visage affreux aux aspects indescriptibles, se rua sur moi. Je n'eus pas le réflexe de tirer mais l'effroi que m'inspirait cette abomination meurtrière me fit prendre la fuite entre les branches.
Je ne sais guère combien de temps nous courûmes dans les bois mort, et quels sentiers avais-je prit pour ne pas à avoir à approcher les collines, quand un rayon de soleil m'éclaira et que je sortis de cet enfer. Mes jambes claquaient, mon esprit était embrouillé et ma fin ne semblait pas tarder ; mon corps n'était plus fait pour parcourir des distances aussi rapidement, l'affolement m'avait possédé. Sans étonnement le bouc avait pris une avance titanesque ; ses cornes me frôlaient.
J'eus pour réflexe naturel de me retourner en hâte de tirer une balle dans l'œil dans l'anthropomorphe. Il n'y échappa pas et tomba raide mort à mes pieds. Un détail me pétrifia ; cette carcasse de bouc ne possédait aucune des particularités que j'avais descellé un temps auparavant.
Un cri d'oiseau résonna...je ne bougeais pas. Une odeur infâme emplit mes narines. Je ne bougeais pas. Un bruit retentit. Mon regard bougea. Ma main était à mes pieds, ma peau était verdâtre...le bouc se releva, indemne, et s'enfuiya dans les bois.
Je ne bougeais déjà plus
Annotations
Versions