Le mascara coulait sur ses lèvres gercées.
Les flocons de glaces se déposaient sur son chignon en bataille.
La chemise de nuit tournoyait dans une danse macabre.
Seule, au sommet de la bâtisse, elle répétait les pas de valses qui autrefois avaient su charmer son âme, des pas trompeurs, des pas menteurs. La nuit camouflait sa peau à peine recouverte, la même nuit froide qui avait pris sa dignité et son coeur. Elle accola la bouteille contre ses lèvres, dans un lent et douloureux baiser, le seul capable de remplacer l'écrasant remord : celui d'en avoir trop dit ou pas assez, celui d'être parti ou d'être resté trop longtemps.
Le bord s'approcha puis s'éloigna avant de se rapprocher de nouveau. Elle tanguait comme un bateau à la dérive qui avait abandonné son sort entre les mains de Dieu. Sauf qu'elle se moquait de Dieu, elle se moquait du vide, prisonnière d'une fumée artificielle et agréable ; un songe éphémère qui s'estompa "Non, juste une fois laisse moi sombrer". Elle reprit une nouvelle gorgée, encore plus longue, encore plus suffocante, encore plus apaisante.
Elle dansa plus vite, plus fort, comme pour se prouver qu'elle était encore là, qu'elle existait, non pas à travers lui. C'était sa vengeance. Elle bougeait ses bras tremblants aux doigts fendus, valsait avec ses pieds nus entravés de cloques, ignorait ses poils hérissés et son cœur tapant à l'aide. Car l'alcool s'était emparé de toute pensées, il avait édifié une utopie sans question ni reproche, il l'avait sauvée. Désormais, elle n'avait plus froid, elle n'avait plus mal, étreinte par une douce chaleur fictive, la seule qui lui restait, la seule qui l'embrassait.
Jusqu'au bout, elle avait dansé, jusqu'au bout, elle avait souri et si vous vous étiez approché du toit cette nuit-là vous l'auriez sans doute entendu chanter.