2.

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La maison des Owonko se trouvait dans un quartier ultra résidentiel, situé un peu avant celui des affaires. C'était une demeure moderne à l'architecture assez élaborée, avec un grand jardin bordé de palmiers et d'arbres fruitiers.

C'était la première chose qui m'avait plu lorsque, des années auparavant, Tamara m'avait invité à venir la voir pour la première fois. Nous étions encore à l'université lorsqu'elle avait tenu à me montrer coûte que coûte ce qu'elle appelait "sa maison de rêve, avec piscine et jardin".

À cette évocation, je sentis mes yeux picoter légèrement.

  • Akawo, tu vas bien ? me demanda Dawilé, tandis qu'il pressait son doigt sur la sonnette.
  • Oui, le rassurai-je avec un léger sourire. C'est juste que je suis encore... un peu retournée par tout ça.
  • C'est compréhensible.

La voix fluette de Karys, la femme de ménage des Owonko, se fit entendre :

  • Qui est-ce ?
  • C'est la police. Veuillez ouvrir, s'il vous plaît, déclarai-je à travers l'interphone.

Une minute plus tard, elle entrouvrit prudemment la lourde et grande porte en fer forgé.

  • Karys, c'est moi, Akawo.
  • Mademoiselle Mensah ! s'écria-t-elle, surprise en me reconnaissant, tout en nous laissant entrer. Vous êtes policière? demanda-t-elle en portant son regard sur mon uniforme. Je ne savais pas !
  • Oui et voici mon coéquipier, le Lieutenant Koma. Est-ce que monsieur et madame Owonko sont là ce matin ?
  • Aujourd'hui, monsieur n'est pas allé travailler.

Tiens donc, me dis-je. Et pourquoi ça ?

  • Madame aussi est là, reprit Kayrs en refermant la porte. Je vous conduis à l'intérieur. Mais... il... il s'est passé quelque chose, n'est-ce pas ?

Je la regardai quelque secondes et observa qu'elle avait l'air assez inquiète. Sans doute pensait-elle qu'elle avait été accusée de vol par ses employeurs ?

Mais c'était la manière dont elle avait formulé la question qui me fit tiquer. Il s'est passé quelque chose, n'est-ce pas ? Le "n'est-ce pas" laissait entendre qu'elle se doutait probablement que quelque chose s'était effectivement passé et qu'elle en connaissait sûrement la teneur.

  • Informe-les que nous sommes là, Karys, lui intimai-je tout simplement.
  • Très bien, dit-elle en baissant la tête, avant de retourner à l'intérieur pour nous annoncer.

Une minute plus tard, elle revint et nous fit entrer.

Les Owonko se tenaient debout, dans leur vaste salon bien décoré et rempli de meubles africains en tout genre. Ils semblaient inquiets.

  • Bonjour, je...
  • Akawo, qu'est-ce qui se passe ? m'interrompit Madou Owonko, le visage grave.

Ce dernier portait une tenue décontractée, chose inhabituelle étant donné que je l'avais toujours vu en costard. Il avait revêtu une tunique ainsi qu'un pantalon en bogolan assortis et des sandales en cuir. Vu de près, il était le parfait sosie de Denzel Washington.

C'était la première chose qui m'était venue à l'esprit il y a des années, lorsque Tamara m'avait présenté à ses parents. Sa mère, d'après ses dires, avait grandi dans une profonde misère. Serveuse dans un bar local tout d'abord, elle fut ensuite ensuite hôtesse d'accueil dans un hôtel de luxe. Lors d'un séjour de Madou Owonko dans cet hôtel, dans le cadre d'un symposium des années auparavant, celui-ci avait été séduit par cette très belle femme. Et quelques mois plus tard, ils avaient convolé en juste noces.

Trente ans plus tard, le visage d'Akissi Owonko semblait marqué par son addiction aux antidépresseurs depuis une dizaine d'années, d'après ce que m'avait dit Tamara. Le fait d'être une femme au foyer et épouse d'un milliardaire ne lui avait étrangement pas réussi.

Dawilé me lança un discret coup de coude. Je ne m'étais pas rendue compte que je m'étais plongée dans mes pensées et mes suppositions, sans pour autant répondre à la question posée.

  • Monsieur et Madame Owonko, voici mon coéquipier, le Lieutenant Koma. Nous avons une mauvaise nouvelle à vous annoncer...

Comme je l'avais craint, ils s'effondrèrent de douleur à l'annonce de la mort de leur fille. Nous préférâmes garder le silence, avant de prendre place sur le canapé en face du leur.

  • Qu'est-ce... qu'est-ce qui s'est passé ? me demanda en pleurs Mme Owonko, tandis que son mari l'étreignait avec difficulté.
  • C'est ce que nous cherchons à savoir. Mais l'enquête est en cours et nous ferons tout ce qui est possible, afin de retrouver son assassin, lui assurai-je.
  • Il n'y a pas de doutes possible ! tonna Madou Owonko. Cherchez du côté de son petit ami actuel, Lanssana Agbo ! Ils ont créé ensemble leur startup il y a trois ans et je sais que Tamara était contrariée à cause de cet individu. Il semblerait qu'ils se disputaient souvent ces derniers temps. Elle avait beau nous rassurer, je suis sûr que Lanssana est impliqué dans sa mort !

Dawilé notait fébrilement au fur et à mesure ces nouveaux détails et je leur demandai :

  • Et à part Lanssana, Tamara s'était-elle plaint d'autres personnes ? Des amis ou des collaborateurs par exemple ?

Mme Owonko fit l'effort de réfléchir, malgré son état actuel.

  • Je ne sais pas si c'est important, mais il y a deux mois de cela elle... elle m'avait parlé d'un de ses anciens professeurs. C'était du temps où elle était étudiante à l'Institut des Arts et du Design, après son cursus à l'université. Elle m'avait... elle m'avait expliqué qu'il l'avait appelé pour lui demander de l'argent et elle avait poliment refusé. Et il semblerait qu'il l'ait très mal pris. Je ne sais pas si ça peut vous aider, ajouta-t-elle tristement en s'essuyant le nez avec un mouchoir.
  • Bien plus que vous ne le pensez, lui dit Dawilé. Et vous, Mr Owonko ? Avez-vous des ennemis sur le plan professionnel et privé ?
  • J'en ai plein, dit-il sur un ton bourru. Quiconque me connaît doit savoir que je suis le genre à prendre avec des pincettes. Au fil des ans, je n'ai eu que des inimitiés avec des partenaires et des associés de longue date. Mais... attendez, vous pensez que la mort de Tamara est liée à mon travail ?
  • Nous ne pouvons pas l'affirmer pour le moment, Mr Owonko, lui dis-je. Et quand est-ce que vous avez vu Tamara pour la dernière fois ?
  • Hier soir, répondit Mme Owonko. Elle nous a dit qu'elle avait un rendez-vous urgent et qu'elle devait sortir immédiatement.
  • C'était à quelle heure ?
  • Vers... vers 23h00, hésita-t-elle en regardant son époux. Je pense bien, oui, c'est ça.

Au même moment, le claquement de la porte d'entrée se fit entendre et un jeune homme d'une vingtaine d'années fit irruption dans la salle de séjour.

  • Salut, dit-il sur un ton qui reflétait une certaine fatigue, tout en posant un gros sac de sport rouge sur une des tables du salon. Qu'est-ce qui se passe ? Akawo... Qu'est-ce que tu fais là ?

Je me levai, imitée aussitôt par Dawilé qui me jeta un oeil interrogateur.

  • Lieutenant Koma, voici Youssou Owonko, le frère cadet de Tamara. Youssou, nous sommes...
  • Qu'est-ce qui se passe ?

Youssou avait l'air réellement agité. En le regardant attentivement, je remarquais que les pupilles de ses yeux semblaient dilatées.

Comme s'il avait consommé une drogue quelconque.

  • Youssou, nous sommes ici parce que... Tamara est morte. Elle a été assassinée.

Contrairement à ce à quoi je m'attendais, à savoir un visage rempli de tristesse ou de stupeur, celui de Youssou restait de marbre. Il se contentait, les bras croisés, de fixer un point invisible au-dessus de mon épaule.

Sans doute était-ce sa manière d'encaisser le choc de la nouvelle.

  • Youssou... Tu vas bien ? me hasardai-je à lui demander.
  • À question idiote, réponse idiote, finit-il par lancer, sur un ton acide. Je pète la forme, ça ne se voit pas ?
  • Écoute, nous sommes ici pour enquêter et pour retrouver l'assassin de ta soeur au plus vite, repris-je patiemment. Peux-tu nous dire si Tamara avait reçu des menaces récemment ? Au boulot ou dans sa vie privée ?
  • Tu crois que j'étais son journal intime ou quoi ? rétorqua Youssou, les sourcils froncés.
  • Un peu de respect, toi ! s'écria son père. Ta soeur est morte! Et tu es là, à faire l'idiot au lieu d'aider la police à attraper son meurtrier !

Youssou esquissa un sourire mauvais.

  • De toute manière, il n'y en avait que pour elle ! Tamara est si talentueuse par-ci, Tamara est si brave par-là ! Moi, comme tu l'as si bien dit papa, vous m'avez toujours considéré comme l'idiot de la famille ! Elle aimait se mêler de ce qui ne la regardait pas et ça ne m'étonne pas qu'elle ait eu son compte!

Mme Owonko se leva brusquement et alla donner une gifle magistrale à son fils.

  • Espèce d'insolent ! lui siffla-elle, tandis que Dawilé et Madou Owonko la retenaient du mieux qu'ils pouvaient. Tu seras toujours qu'un moins-que-rien !

Youssou, sans mot dire et le visage hargneux, récupéra son sac de sport avant de monter en vitesse l'escalier qui menait à l'étage. Une porte claquée se fit entendre aussitôt.

  • Très bien, nous allons vous laisser et si quelque chose vous revient, je vous laisse ma carte et celle du Lieutenant Koma.
  • Tamara portait-elle son pendentif ? nous demanda soudain Madou Owonko. Celui avec l'améthyste ?

J'haussai un sourcil et échangeai un regard avec Dawilé, qui semblait intrigué.

  • En fait, nous..., commençai-je.
  • Nous ne sommes pas en mesure de vous communiquer les derniers développements de l'enquête, m'interrompit de manière abrupte Dawilé. Veuillez nous comprendre.
  • Akawo, tu dois savoir que ce pendentif est très important, me dit Madou Owonko en me regardant droit dans les yeux. Je le lui avait offert le jour de son dixième anniversaire. Il représentait beaucoup pour elle et là... on aurait aimé le récupérer. Elle le portait encore hier, avant de quitter la maison.
  • Vous en êtes sûr ? lui demanda Dawilé, en ouvrant son bloc-notes.
  • Vous voulez que je vous le répète en quelle langue ?
  • Doucement, chéri, lui murmura son épouse en lui pressant légèrement le bras.

Elle demanda à son tour, les yeux remplis de larmes :

  • Quand est-ce que nous pourrons disposer de son corps ? Cela nous permettrait de prendre les dispositions pour son inhumation. Pour l'enterrer comme il convient, ajouta-t-elle d'une voix sourde, avant de pleurer de plus belle.

Madou la prit dans ses bras et, d'un signe de tête, nous demanda de quitter les lieux.

  • Nous n'allons pas vous déranger plus longtemps, déclarai-je. S'il vous plaît, faites savoir à Youssou qu'il doit passer au poste de police, au plus tard demain matin.

Une fois dans le jardin, j'observais que Karys, qui nous accompagnait afin de nous ouvrir la porte d'entrée, semblait elle aussi avoir pleuré un bon moment. Elle avait dû entendre malgré elle notre entretien dans le salon avec les Owonko.

  • Karys, je suis vraiment désolée, lui dis-je sur un ton qui se voulait réconfortant. Je sais que tu l'appréciais énormément.
  • Elle... C'est vrai qu'elle avait ses défauts mais elle était si gentille ! Plus gentille que Youssou, murmura-t-elle, en reniflant bruyamment. Je lui avais aussi dit de faire attention à cet homme étrange là qu'elle fréquentait ces derniers temps...
  • Quel homme ? Comment s'appelle-t-il ? lui demanda Dawilé, en ouvrant une énième fois son bloc-notes.

Karys regarda derrière elle, comme si elle craignait qu'on l'entende.

  • Je ne sais pas, mais c'était vraiment un homme bizarre, murmura-t-elle. Mr Agbo était son fiancé, mais dernièrement, elle sortait aussi avec un homme de grande taille, avec une barbe de deux ou trois jours. Aussi, j'ai pu remarquer qu'il avait un oeil de verre car on dirait que son oeil était... blanc ou transparent. Sa joue semblait brûlée aussi ! Mais apparemment, Tamara ne souhaitait pas que ses parents connaissent l'existence de cet homme, car il n'est jamais entré dans la maison.

J'étais impressionnée que ce petit bout de femme ait en réalité un tel sens du détail.

  • J'ai toujours su que tu étais d'une intelligence rare, Karys, lui dis-je en esquissant un sourire. Et ce que tu viens de nous révéler va beaucoup nous aider dans notre enquête ! C'est... pour cela que tout à l'heure tu craignais qu'il lui soit arrivé quelque chose ?

Elle aquiesça, l'air triste.

  • Je dois y aller ! Sinon ils vont se demander pourquoi je prends autant de temps pour fermer la porte.

Une fois dans la voiture, tandis que je bifurquai sur la route nationale, je ne pus m'empêcher de demander à mon coéquipier :

  • Qu'est-ce qui t'as pris de m'interrompre tout à l'heure ?
  • Il faut avouer qu'en ce moment tu n'es pas du tout objective, Akawo. Tu te rends compte que tu étais sur le point de donner des détails de l'enquête à de potentiels suspects, alors qu'elle vient à peine de commencer ?
  • Tu délires, Dawilé ! Les Owonko, de potentiels suspects ? Franchement, tu as vu leur réaction en apprenant le meurtre de leur fille ?
  • Tu marques un point, sauf que le petit frère lui, n'a pas manqué de montrer à quel point il était éploré, ironisa mon interlocuteur tandis qu'il remettait en ordre ses notes. Et apparemment, il semble qu'il ait passé la nuit hors de la maison.

Mes mains se crispèrent légèrement sur le volant.

  • Akawo, reprit Dawilé avec une certaine douceur, je sais que Tamara était ton amie. Mais on se doit de rester professionnels. Tu dois prendre en compte le fait que Youssou Owonko n'avait pas l'air de porter sa soeur sur son coeur, ce qui peut constituer un mobile.
  • Ok, ok, tu as raison, finis-je par admettre, tout en soupirant sombrement. Dorénavant, je serais plus objective.
  • Tu m'as déjà dis ça tout à l'heure et ça ne s'est toujours pas confirmé, me taquina-t-il avec un sourire en coin.

Je lui rendis son sourire, même si intérieurement j'espérais du fond du coeur qu'aucun membre de la famille Owonko n'était impliqué dans ce meurtre.

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