12.
- J’ai dis, baissez votre arme ! répéta-t-il.
- Qui êtes-vous ? lui demandais-je, sans pour autant obtempérer.
- Je vais sortir ma carte. Mais n’ayez aucun geste brusque, ok ?
Il s’exécuta à l'aide de sa main gauche, l'autre tenant son arme toujours braquée sur moi.
- Commandant Gaboré Hagbo, de la Division des Investigations Spéciales de la police nationale, annonça-t-il, en rangeant aussitôt sa carte dans sa poche.
Il en profita pour décoller avec sa main gauche ce qui avait été jadis une peau brûlée, à savoir un bout de peau factice, en cire. Il retira également de son œil droit une lentille de contact.
Je ne pus masquer mon étonnement.
- Vous n'aviez pas un œil de verre ?
- Non, Capitaine. Et je n'étais pas brûlé au visage, comme vous venez de le constater. Je suis spécialisé dans l’infiltration et les investigations complexes. J’enquêtais sur vous depuis un bon moment.
Owonko, bien qu’il fût mal en point, semblait ne plus trop savoir à quel saint se vouer, en nous regardant à tour de rôle.
- Pourquoi enquêtiez-vous sur moi ?
- Tamara Owonko recevait depuis plusieurs mois des menaces d’un cybercriminel connu sous le nom de Fadyl54. Elle était venue dans les locaux de la Division, il y a quelques mois, pour nous faire part de ses craintes et nous communiquer l'identité de la personne qui se cachait sous ce pseudonyme. Vous.
Je continuais à regarder silencieusement mon interlocuteur, avant d’esquisser un sourire.
- Et comment aurait-elle pu le savoir, Commandant ?
- Ce que vous ne savez pas, Capitaine, c'est que Tamara avait mené sa propre enquête, bien avant de venir nous voir. Son père, ici présent, étant millionnaire et réseauté, elle savait à qui faire appel pour mener discrètement ses propres investigations. Elle nous a révélé qu’elle avait voulu se racheter pour son crime et retrouver l’identité de la femme qu’elle avait accidentellement heurté il y a des années. Dans le but de remettre par la suite un dédommagement anonyme à sa famille. Elle a donc fait appel à un détective privé, qui lui a fourni des coupures de presse concernant l’accident, ainsi que des documents particuliers, actuellement en notre possession à la Division. Tout ceci lui a fait comprendre le fin fond de l’histoire.
- De quels documents s’agissait-il ?
- Principalement, l’extrait de naissance de votre mère et le vôtre, Capitaine. Votre mère s’appellait Tamara Fadyl Makiseba. Quand à vous, votre véritable nom est Massikeh Akawo Mensah. Votre nom de famille actuel était le nom de jeune fille de votre grand-mère maternelle, que votre mère a choisi volontairement de vous donner, afin que cela n’éveille pas les soupçons. Massikeh étant un prénom mixte, cela vous a arrangé pour faire porter les soupçons sur moi.
- Tamara, murmurai-je comme pour moi-même au bout d’un moment, toujours à se mêler de ce qui ne la regarde pas.
- C’est ainsi qu’elle a fait le rapprochement entre le second prénom de votre mère et celui de votre pseudo utilisé pour la harceler, à savoir Fadyl54. Elle avait également compris qu’en vous révélant involontairement qu’elle avait causé la mort de votre mère, qu’elle s’était mise en danger. Car elle possédait également des documents provenant d'un hôpital psychatrique, où vous aviez été internée de 1990 à 1993, pour soigner vos troubles de dédoublement de la personnalité, alors que vous étiez encore adolescente. Vous avez bien évidemment dissimulé cette information lorsque vous avez intégré la police. Pour résumer, notre enquête à la Division consistait à vous tendre un piège, dans lequel vous auriez forcément fini par tomber.
- Tamara savait que vous nous suiviez, en fait ! Vous faisiez exprès d’apparaître sur les photos !
- Je devais me faire passer à la fois pour son amant, mais aussi pour celui qui avait tous les mobiles du monde pour la tuer, ce qui explique mon déguisement. Mais nous n’aurions jamais imaginé qu’un capitaine de police tel que vous, avec des états de service exceptionnels, irait jusqu’au meurtre pour assouvir une vengeance !
Des voitures de police déboulèrent, non loin. De l’une d’elles, sortit Dawilé et le Commandant Gassoba, qui déclara aussitôt à travers un interphone :
- Capitaine Akawo Mensah ! Vous êtes en état d’arrestation pour homicide volontaire sur la personne de Tamara Owonko, pour tentative de meurtre sur la personne de Karys Dabo, pour dissimulation de preuves et pour entrave à la justice ! Veuillez baisser votre arme.
Son visage et celui de Dawilé reflétaient une grande tristesse et je sentis mes yeux picoter. Mon coéquipier s'approcha et se tint à quelques mètres de moi.
- Tu savais ? lui demandais-je.
Il me regarda quelques secondes, avant de répondre :
- Oui. Ainsi que le Commandant Gassoba.
- Depuis quand ?
- Depuis le début de l’enquête.
- Quoi ?
Il s’avança de quelques pas puis s'arrêta, avant de déclarer :
- Le Commandant Hagbo, en apprenant le meurtre de Tamara, a aussitôt contacté le Commandant Gassoba, qui m’a mis immédiatement dans la confidence. J’ai compris que c’était vrai, en te voyant jouer la comédie, tout ce temps.
Je le dévisageai, sans rien dire.
- Akawo, j’étais celui qui te connaissais le mieux et qui savais anticiper tes moindres faits et gestes. Je savais que tu allais faire de ton mieux pour reporter les soupçons sur les autres, notamment le Commandant Hagbo, du temps où on l'avait surnommé le type à l'œil de verre. Il a volé exprès l’agenda dans nos locaux et a fait semblant d’être une menace.
- C’est donc lui qui a vandalisé mon appartement ?
- Je t’ai invité à dîner ce soir-là exprès, pour lui permettre de mettre en scène ce qui pouvait s’apparenter à un acte de vandalisme.
- C’est lui aussi qui rédigeait ces messages ? Et qui a déchiré les pages de l’agenda de Tamara ?
- Tout ceci était dans le but de te faire réagir, afin de te faire commettre une erreur, expliqua Dawilé. L’agenda qui était chez toi était un faux, mais l’exacte copie de celui de Tamara, que le Commandant Hagbo a déposé sur ton lit, en y inscrivant le dernier message. Pour ce qui est du mot glissé sous ta porte, que j’avais tambouriné un instant auparavant, c’était bel et bien moi.
Il désigna de la tête le petit tas fumant, qui avait été autrefois les sacs en papier Kraft.
- Et pour info, les feuilles de l’agenda que tu as pris plaisir à brûler étaient des copies préalablement scannées. Les originaux sont en lieu sûr. Ainsi que ta matraque. J’ai pris soin hier soir de la subtiliser chez toi et à ton insu, pour la remplacer par une fausse. Les analyses et les traces de sang trouvées sur ta matraque de service ont prouvé qu’il s’agissait bien du sang de Tamara et de Karys. Et que tu étais l’assassin.
Il inspira bruyamment avant de poursuivre :
- En ce qui concerne le pendentif, je savais que c’était toi qui l’avais, après que tu l’aies emporté chez toi, juste après le meurtre de Tamara. Tu as proposé ce matin de faire cette perquisition, qui allait s’avérer être une occasion formidable pour toi d’incriminer Owonko, et c’est ce que tu as fait. J’ai fais exprès de te proposer d’inspecter la chambre des Owonko et le bureau. Tu as eu l’intelligence d’attendre que je sois avec toi dans la pièce, de me faire croire qu’un des tiroirs avait du mal à s’ouvrir pour avoir le temps d’y mettre discrètement le pendentif, qui était en réalité dans la poche de ton uniforme depuis ce matin. Je n'ai qu'une seule question. Comment et pourquoi as-tu attaqué Karys ?
J’eus du mal à contenir mon arme dans ma main, qui se mit à trembler légèrement.
- Elle savait que... Je n'étais pas moi-même la plupart du temps. Une fois, lorsque j'étais chez les Owonko, elle m'a surprise en train de parler à mon reflet dans le miroir, tandis que j'attendais Tamara dans le rez-de chaussée. C'est pour cette raison qu'elle a été surprise de me voir dans un uniforme, lorsque nous sommes allés annoncer le meurtre de Tamara à ses parents. Je suis donc allée la voir, juste après ton départ avant-hier soir. Tamara m'avait dit où elle vivait et c'est pour cela qu'elle ne s'est pas méfiée en me voyant sonner à sa porte. Elle a réussi toutefois à m'énerver à un moment donné, je ne sais plus pourquoi et par inadvertance, je lui ai avoué que c'était moi l'assassin. Elle ne devait pas le savoir ! Elle ne devait le dire à personne ! Alors, comme j'avais ma matraque sur moi... J'ai pu subtiliser des plaquettes et flacons de médicaments dans le dépôt des pièces à convictions de la BMDJ et je les ai disposé chez elle ensuite, pour qu'on la soupçonne à son tour. Elle a voulu se défendre et m'a griffé la poitrine, et j'ai préféré ainsi lui couper les ongles, tandis qu'elle était inconsciente. Tu connais la suite, Dawilé. Mais je dois admettre que tu es fort. Vraiment fort, murmurai-je en esquissant un pâle sourire. Tu as donc fait semblant de m’aimer et faire comme si de rien n’était, pendant tout ce temps pour parvenir à tes fins, celui de me piéger ? Ce que tu m'as confié hier soir, chez toi, faisait aussi partie de votre plan à tous ?
Il baissa la tête, avant de me regarder à nouveau. L’expression de son visage montrait un certain désappointement.
- Je t’aimais sincèrement, Akawo. Et tout ce que je t'avais dit sur mon enfance et ma vie est la pure vérité. Tu sais ce que ça m’a coûté, de te côtoyer ainsi pendant trois jours, en sachant que c’était toi la coupable ? Oui, je l'avoue, c'était une des raisons pour lequelles j'avais du mal à te toucher, te prendre dans mes bras ! Pour parvenir à tes fins, c’est toi qui n’a pas hésité à tuer et à mentir aux personnes qui t’aiment le plus au monde ! ajouta-t-il, d'une voix tremblante.
Il prit une brève inspiration, avant de reprendre :
- Tu es Capitaine de police, Akawo. Une excellente enquêtrice ! Ensemble, depuis toutes ces années, nous avons mis derrière les barreaux des dizaines de criminels et assassins de haut rang. Et là, regarde-toi ! Tu en es devenu un. Tu as besoin d'aide et si tu coopères, avec un peu de chance tu seras intern...
- Non ! Plus jamais ça ! Dawilé, je... je n’avais pas le choix ! m’écriai-je sur un ton hystérique. C’est vrai, j’ai piraté l’adresse mail de Owonko et de là, j’ai envoyé les mails à Tamara. Mais au départ, c’était uniquement pour la terroriser et la faire quitter le pays ! Mais ce n’était pas son genre, de lâcher le morceau, et j’ai fait l’erreur d’utiliser comme pseudo le deuxième prénom de ma mère, pour la harceler.
Je déglutis avec difficulté, avant d'expliquer à nouveau :
- Lundi dernier, elle s’est amusée à m’envoyer un SMS avec un portable jetable, en m’appellant pour la première fois par mon premier prénom, Massikeh. Uniquement pour me narguer. C’est là que j’ai compris que les choses allaient mal se terminer, soit pour elle, soit pour moi. J’ai donc décidé le mercredi passé de lui donner rendez-vous ici, à 23h30. C'était uniquement pour qu’on s’explique, une bonne fois pour toutes ! Je… je pensais qu’elle voulait s’excuser de tout le mal qu’elle avait fait à ma mère, à moi, mais non ! Elle voulait... elle voulait me faire chanter. Elle disait que si je continuais mon petit jeu, qu’elle allait tout raconter à mes supérieurs, que ça allait entacher ma carrière. Que de toute manière, l’enquête sur la mort de ma mère, bien que non classée, n’allait jamais aboutir, vu qu’il y avait prescription. Que ma mère n’avait qu’à regarder la rue, avant de traverser ce soir-là !
Owonko se mit à pleurer, les yeux écarquillés, en me regardant raconter cette terrible histoire. Avec un sourire mauvais, je poursuivis, en arborant un air satisfait :
- Alors, j’ai vu rouge. Je lui ai donné un coup avec ma matraque sur le visage. Et un autre sur la tête. Et ainsi de suite. Je l’ai porté ensuite jusqu’ici pour la jeter en contrebas, sur la plage et les rochers.
Le silence fut assourdissant pendant une bonne minute.
- J’espère que l'agent Kassé ne m’en voudra pas, finis-je par dire, avant d'émettre un petit rire.
- Certainement, vu qu’il est à l’hôpital. Mais son état est stable, répondit Dawilé, les yeux plissés.
- Bien.
- Akawo, baisse ton arme maintenant, m'intima-t-il, sur un ton ferme. J’avais placé un micro microscopique dans le col de ton uniforme, juste avant la perquisition. On a tout enregistré depuis lors, ainsi que tes aveux.
- Très bien. Mais tu sais, vu que cet homme devant moi est à l’origine de tous mes problèmes, je dois donc finir le travail. Comme j’ai toujours aimé le faire !
Je pressai la gâchette pour tirer en direction de la tête de Owonko, lorsqu’une balle éclata dans ma main, celle qui tenait mon arme. Au même moment, je sentis une autre balle se loger dans l’os de mon épaule gauche.
Je m’effrondai sur le dos et je vis Dawilé baisser lentement son arme, tout en courant vers moi. Des policiers aidèrent Owonko à se relever et ma vision commença à être floue.
Dawilé me releva doucement la tête et je crus voir des larmes perler au coin de ses yeux.
- Je suis désolé, murmura-t-il.
Je lui souris faiblement et vit Gassoba se pencher également sur moi, avec des yeux tristes qui semblèrent me demander Pourquoi ?
Le plus triste dans cette histoire, tandis que l’équipe de secours tentait de me ranimer, c’est que je ne savais même plus pourquoi j'avais fait tout ça. Ma seconde personnalité avait su prendre le dessus et je n'avais rien pu y faire. Tandis qu'on m'acheminait aux urgences, avec Dawilé à mes côtés, je me mis à presser dans ma main encore valide, l'améthyste ayant appartenu jadis à ma mère, Tamara Fadyl, puis à Tamara Owonko. La seule amie, et sœur, que j’avais cru avoir de ma vie.
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