Chapitre 2
Elle qui n’avait jamais rêvé de se marier, était devenue aujourd’hui devant Dieu et les hommes Madame Stuart Hamilton. La cérémonie ne se déroulait pas exactement comme elle l’avait espéré. Lorsqu’ils avaient choisi la date, en ce début du mois de mai, Hope avait imaginé pouvoir organiser la réception dans le jardin. Le printemps était sa saison préférée, elle aimait le soleil qui vous réchauffait après le froid de l’hiver, la floraison des plantes, et le retour des oiseaux migrateurs. Elle pensait que cette saison, synonyme de renouveau, serait un merveilleux symbole pour sa nouvelle vie qui allait commencer.
Malheureusement, la nature lui avait fait défaut cette année. Le gel tardif avait mis à mal les fleurs printanières. La pluie avait pris le relais et ne s’était plus arrêtée, noyant ce qui avait été épargné par le froid.
Cette journée n’était pas différente, il pleuvait sans interruption depuis qu’elle s’était réveillée. Personne n’avait fait de commentaires, mais elle avait bien lu dans les yeux de tous les domestiques que ce temps catastrophique était signe d’un mauvais présage. Mais Hope n’en avait cure.
Elle était arrivée à l’église dans une calèche tirée par un cheval gris, selon une coutume qui devait porter chance aux jeunes mariés et les cloches avaient longtemps carillonné pour chasser les mauvais esprits. Lorsqu’elle était remontée avec son père l’allée couverte de fleurs symbolisant un chemin de vie heureux, menant à l’autel elle avait été submergée par un sentiment d’excitation. Sa vie allait prendre un nouveau tournant. Elle allait enfin pouvoir vivre des aventures trépidantes et sortir de son cocon familial, avec un homme séduisant qui l’attirait irrésistiblement.
D’un naturel confiant et optimiste, elle avait foi en l’avenir. Elle ne doutait pas qu’elle saurait surmonter les obstacles et les difficultés. Elle avait évidemment quelques appréhensions concernant sa future belle-famille qu’elle n’avait jamais rencontrée. Ils n’avaient pas voulu faire le déplacement pour assister au mariage de leur fils. Ils organiseraient une réception à leur retour qui était proche. En effet, après leur voyage de noces, les deux tourtereaux prendraient la mer pour rejoindre, dans un premier temps New York, puis Savannah, en Géorgie. Bien que Stuart n’ait rien dit, elle avait eu l’impression que Monsieur et Madame Hamilton n’étaient pas ravis à l’idée de leur union, même si elle ignorait pourquoi.
La réception battait son plein. La grande salle de bal de leur demeure de Grafton Manor bourdonnait comme dans une ruche. Charles et Alicia, fiers de marier leur fille unique, avaient vu les choses en grand et n’avaient reculé devant aucune dépense pour lui offrir une journée inoubliable. Ils avaient décidé de ne pas organiser une cérémonie matinale suivie d’un petit déjeuner comme il était de coutume, mais d’organiser une somptueuse fête avec un orchestre.
Cette réception était aussi une soirée d’adieux pour leur enfant. La jeune femme leur en était profondément reconnaissante car elle avait remarqué combien Stuart était comblé d’être le centre de toutes les attentions, ce qui compensait l’absence des siens.
Une foule bigarrée, composée de leurs nombreux amis et familles, se pressait autour d’eux pour les congratuler. Les événements mondains étaient rares chez les Windfield, ce qui expliquait que tous les invités avaient répondu présents à leur invitation. Toute la bonne société était rassemblée et les femmes rivalisaient de beauté dans leurs robes aux couleurs chatoyantes. Les musiciens jouaient un air entrainant et plusieurs couples dansaient.
Hope n’avait pas eu une minute, seule, à consacrer à ses parents depuis qu’ils étaient sortis de l’église ; chacun ayant été accaparé par les invités. L’heure du départ approchait et son cœur se serrait. Bien qu’elle aspirât de tout son être à cette nouvelle vie, la séparation n’en était pas moins douloureuse. Elle avait conscience qu’elle ne les reverrait peut-être jamais ; elle sentit sa gorge se nouer et les larmes lui montèrent aux yeux.
Se ressaisissant, Hope se tourna vers sa grande tante Agathe et accueillit ses félicitations avec un sourire
- Oh ma chère enfant, votre robe est magnifique, ces broderies argentées sur votre corsage sont très charmantes. lui dit la vieille femme émue. Votre mère m’a fait part de votre prochain départ. Est-ce bien raisonnable d’aller vous établir chez ces monstres sanguinaires poursuivit-elle, en surmontant difficilement son dégout.
- Ne vous tourmentez pas ma tante, je serai très bien. La famille de Stuart nous a fait cadeau d’une maison à Savannah, nous y serons très bien installés. Lui répondit Hope sur un ton rassurant. Elle était, elle-même, soulagée de ne pas devoir vivre avec ses beaux-parents.
Hope savait que son mariage ne faisait pas l’unanimité et que son prochain déménagement inquiétait ses proches. Elle comprenait leurs préoccupations et malgré son bonheur éclatant, elle avait aussi quelques appréhensions à quitter sa famille, sa maison et son pays. Elle les avait habilement dissimulées afin de ne pas tourmenter davantage ses parents.
Sa famille avait eu des réactions très diverses à l’annonce de son mariage.
Alicia Winfield, avait tout d’abord ressenti un immense soulagement à l’idée que sa fille ne resterait pas vieille fille, immédiatement suivi par une vive inquiétude que son unique enfant parte vivre à l’autre bout du monde. Elle aurait préféré que Stuart renonce à retourner en Géorgie et elle avait espéré qu’après ses études et son mariage, il déciderait de s’installer à Londres, mais il n’en avait pas été question. Son gendre s’était montré intraitable sur le sujet.
Alicia était également consciente que sa famille considérait cette union comme une mésalliance. Sa sœur, Rosemary, lui avait vertement reproché qu’elle tolère que sa fille puisse épouser cet Américain. Ne se souvenait-elle pas de l’oncle Richard tué lors de la guerre de 1812 ? La pauvre tante Agathe ne pleurait-elle pas encore son frère bien aimé.
De plus leur statut de cousins, éloignés, il est vrai, de la famille royale leur permettait d’espérer un mariage plus noble. Alicia n’avait pas voulu provoquer une nouvelle dispute ; elle avait elle-même entendu ces remarques lors de son propre mariage avec Charles qu’ils avaient également trouvé indigne et n’avait pas cherché à défendre ce qui était indéfendable pour ses frères et sœurs. Elle avait fait fi de leur bénédiction pour elle et ferait pareil pour Hope.
Charles, lui s’était montré très distant avec sa fille depuis l’annonce de ses fiançailles. Il était fréquemment parti en voyage, il s’était tenu le plus loin possible de Londres et n’avait guère eu de temps à lui consacrer. Hope avait aussi été très prise par l’organisation de son mariage. Leur complicité lui manquait et elle souffrait de cette situation. Elle n’avait, cependant, aucun ressentiment à son égard. Elle comprenait qu’il fallait couper le cordon pour qu’elle puisse partir et pour qu’il puisse la laisser partir.
- Excusez-moi, ma tante, j’aimerais aller saluer mon amie Charlotte et son père Lord Andrew. dit Hope, coupant ainsi court à toute discussion.
La jeune femme se fraya un chemin parmi les invités pour rejoindre son amie qui se tenait à l’écart. Elle avait les traits tirés et semblait fatiguée.
- Charlotte, est-ce que tu vas bien ? lui demanda sur un ton inquiet Hope. Elle lança un regard préoccupé au père de son amie qui se tenait à côté.
- Je vais bien, Hope, ne t’inquiète pas. J’ai juste mal dormi, n’est-ce pas Père ? la rassura Charlotte, en prenant la main de son père tout en lui intimant du regard ne pas la contredire. Ta robe est magnifique et le marié est superbe, petite chanceuse ajouta-t-elle avec un clin d’œil.
Hope rougit. Elle jeta un coup d’œil à son mari, en grande conversation avec un de ses amis de l’université. Il était vrai que Stuart était particulièrement élégant ce jour-là. Il portait un costume noir classique avec une cravate blanche. A la boutonnière de sa redingote courte, il avait une rose blanche identique à celles qui composaient la couronne qui retenait son voile de dentelle. Il s’était laissé pousser la moustache. Il paraissait plus mûr et il en était d’autant plus séduisant.
Se sentant observé, il se retourna et ses yeux s’accrochèrent à ceux de son épouse. Il la regardait avec admiration. Il était fier d’avoir épousé une femme aussi belle. Elle perçut le désir dans son regard et eut un frisson en pensant à leur nuit de noces. Il parut impatient que la soirée se termine.
Hope se détacha de ce regard impudique et se retourna vers son amie. Charlotte allait terriblement lui manquer. Elles étaient amies depuis leur plus tendre enfance. Elles n’avaient pas de secret l’une pour l’autre. Hope était présente, lorsque Charlotte était tombée de cheval et s’était brisée la colonne vertébrale. Elle l’avait aidée dans les mois qui avaient suivi et lui avait toujours apporté soutien et réconfort. Elle paraissait si fragile dans son fauteuil roulant. Charlotte avait tout d’une poupée de porcelaine avec ses cheveux blonds et ses grands yeux bleus ; on avait immédiatement envie de prendre soin d’elle. Cependant, sous cette apparente vulnérabilité se cachait une femme forte qui avait surmonté bien des drames.
Hope la considérait comme la sœur qu’elle n’avait jamais eue.
Le cœur de Hope se serra. Comment allait-elle supporter de ne plus la voir ?
Son amie sentit son soudain désarroi et lui prit gentiment la main.
- Ne t’inquiète pas, Hope. Lui souffla-t-elle. Nous nous écrirons.
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