Chapitre 10

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- Hope, ma chère, voilà une merveilleuse nouvelle. lui dit Mary Stanton.

Hope ne répondit pas et reposa sa tasse de thé sur le guéridon placé à sa droite. Sa main tremblait tellement que quelques gouttes s’étaient renversées sur sa robe. Mary était la première personne à qui elle annonçait sa grossesse. Elle n’avait pas encore écrit à ses parents. Elle ne pouvait s’y résoudre. Elle était restée prostrée dans son lit les jours qui avaient suivi la visite du Dr Wilson ; incapable d’accepter cette grossesse qui l’enchainait à Stuart. Toutes ses certitudes étaient ébranlées par ce bébé qui n’était pas encore né. Elle était suffisamment intelligente pour savoir que sa fuite en Angleterre n’était plus possible. Stuart aurait pu la laisser partir seule, mais il n’accepterait jamais qu’elle emporte son enfant.

Elle avait l’impression d’être condamnée, elle avait perdu la maitrise de sa vie et ne pouvait plus que subir un mariage basé sur un mensonge.

L’annonce avait modifié sa relation avec Stuart ; ce dernier avait bien senti qu’il avait repris la position dominante dans le couple. Le soir même, il avait réintégré le lit conjugal et mit les choses au clair : Hope devait cesser ses enfantillages et ses crises de jalousie. Il était temps qu’elle se comporte en adulte, elle allait devenir mère.

La jeune femme n’avait pas réagi à ses propos qui en d’autres temps l’auraient fait s’étouffer. Elle était en état de choc et se maudissait, elle qui avait passé sa vie à lire des livres de médecine, de ne pas avoir identifié les symptômes.

- Hope, m’entendez-vous ? Etes-vous souffrante ? Vous êtes toute pâle.

La voix de son amie la sortit de ses pensées. Elle ne savait que lui répondre. Elle balbutia un oui à peine audible. Mary lui prit gentiment la main et s’assit à côté d’elle sur le sofa.

- Que se passe t’il ? Vous pouvez me faire confiance.

A ces mots, Hope éclata en sanglots et sans aucune retenue raconta les derniers évènements. Elle lui parla de sa belle-famille qui la méprisait, de Stuart et Ashley, de son projet de repartir en Angleterre et de ce bébé qu’elle ne désirait pas. Elle ne pouvait plus s’arrêter, ça faisait si longtemps qu’elle portait ce fardeau seule, elle avait désespérément besoin de se confier et d’avoir une personne bienveillante pour accueillir ses confidences.

Mary l’écouta, la prit dans ses bras et la berça comme un petit enfant. Quand Hope se fut calmée, Mary lui parla comme une mère à sa fille. Ses quelques années de plus et son expérience de vie lui conféraient une sagesse qu’elle partagea avec la jeune femme. Elle la conforta dans l’idée qu’il n’était plus question de prendre la fuite et de quitter son mari, mais elle lui dit aussi que ce bébé était peut-être l’occasion de tirer un trait sur le passé et les rancunes ; qu’il pouvait représenter le pardon et une nouvelle chance pour son mariage. Elle lui dit que Stuart pouvait encore avoir des sentiments pour son amie, mais que, elle Hope, allait lui offrir un cadeau inestimable, une descendance.

Elle réussit à lui présenter la situation sous un jour nouveau et Hope se sentit rassérénée. Hope savait que son amie avait raison et qu’elle n’avait guère d’autres choix que d’accepter.

Elle savait aussi qu’il lui faudrait du temps pour pardonner à Stuart. Elle posa sa main sur son ventre encore plat et se demanda si elle attendait une fille ou un garçon.

Lorsque Mary prit congé, elle s’assit à son bureau et écrivit une longue lettre à ses parents.

*********************

Patsy frappa discrètement à la porte et apporta une tasse de thé à sa maitresse qui somnolait vers la cheminée. En ce mois de février, le temps s’était quelque peu rafraichi à Savannah et Hope que sa grossesse rendait frileuse avait demandé qu’on fasse du feu. Ses nausées matinales l’affaiblissaient ; elle peinait à garder ce qu’elle mangeait et avait perdu du poids.

La présence de la jeune fille réveilla Hope. Elle lui sourit gentiment.

- Vous avez du courrier, Madame. L’informa Patsy. Ça vient d’Angleterre. ajouta t’elle en rougissant.

Les cours de lecture donnés en cachette commençaient à porter leurs fruits. Patsy lisait de mieux en mieux et les deux jeunes femmes en ressentaient la même fierté.

Hope lui adressa un clin d’œil complice.

Lorsque Patsy se retira, Hope s’empressa de décacheter la lettre qu’elle avait reçue. Elle avait hâte d’avoir des nouvelles de ses parents. Elle aurait aimé les avoir près d’elle. Elle était curieuse de connaitre leur réaction à sa grossesse. Peut-être que sa mère ferait le voyage pour l’accompagner dans la maternité.

Elle fut très surprise de découvrir l’élégante écriture de son père à la place des pattes de mouche de sa mère. C’était la première fois qu’il prenait la plume depuis son départ.

Prise d’une impulsion, Hope porta le papier à son nez et le huma à la recherche de l’odeur de menthe poivrée si caractéristique de son père. Les larmes lui montèrent aux yeux. Il lui manquait tant. Elle se retrouva plongée dans ses souvenir d’enfance.

Bien calée dans le grand fauteuil en cuir de la bibliothèque de son père, elle observait avec une intense concentration le jeu d’échec posé entre elle et lui. Il lui avait appris à jouer depuis peu et lui avait lancé le défi de réussir à le battre. Son père la regardait d’un air espiègle, se creuser les méninges pour trouver le coup le plus astucieux. Ce jour-là, elle avait échoué et pourtant elle en chérissait le souvenir. Elle avait une infinie complicité avec son père qui l’avait toujours poussée à se dépasser.

Elle laissa échapper un long soupir, et se plongea dans la missive qui était étonnamment courte.

Londres, le 20 janvier 1852

Ma très chère enfant,

C’est avec une grande émotion que je vous écris pour vous faire part du terrible malheur qui nous a frappé. Votre mère nous a quittée. Notre Seigneur l’a rappelée à Lui.

L’hiver, pourtant moins rigoureux que celui de l’an passé, l’a emportée.

Je regrette de vous l’annoncer de manière aussi abrupte, mais il n’existe aucun autre moyen de porter une si triste nouvelle.

Je vais me retirer chez ma sœur à Aberdeen. Je ne me sens pas le courage de rester chez nous sans elle. Vous pourrez m’écrire là-bas.

Portez-vous bien, ma très chère Hope. Que Dieu vous garde !

Votre père.

Hope fut submergée par le chagrin. Sa mère était décédée sans qu’elle n’ait pu la revoir ; elle était partie avant même de savoir que Hope portait un enfant. Son père âgé était brisé et seul car Hope, en fille indigne, l’avait abandonné. L’homme qu’elle distinguait à travers ses courtes lignes n’était plus celui qu’elle avait connu. Il se retirait pour finir sa vie solitaire en Ecosse. Il savait qu’il ne reverrait plus sa fille.

Hope fut prise de vertige. Ses repères, les piliers de son existence n’existaient plus. Il n’y avait plus de retour en arrière possible. Orpheline de mère et enceinte, elle était violemment propulsée dans la vie d’adulte. Elle n’était plus la fille, elle devait être la mère.

Elle fut douloureusement consciente qu’elle avait besoin de Stuart et que sauver son mariage était devenu plus qu’une nécessité. Elle ne put retenir davantage ses larmes.

C’est effondrée, devant la cheminée que Stuart la retrouva à son retour de la banque. Dès qu’il prit connaissance de la triste nouvelle, il l’entoura d’amour et d’affection. Il sut trouver les mots pour regagner une partie de son cœur dont il avait été banni.

Stuart se sentait grandi dans cette épreuve qui frappait son épouse. Il savait qu’elle avait besoin de lui et qu’il était à présent la seule personne sur qui elle pouvait compter. Il connaissait bien ses beaux-parents et il avait vite compris que son beau-père sans sa femme était comme un navire à la dérive et que Hope ne pouvait plus rien attendre de lui. Cette nouvelle donne lui procurait un pouvoir tout puissant sur Hope. Il en éprouva un plaisir malsain.

Affaiblie physiquement et émotionnellement, elle se laissa aller contre la solide poitrine de son époux et en puisa le réconfort dont elle avait besoin, totalement inconsciente de ce qui se jouait dans la tête de Stuart.

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