Chapitre 13
Le front appuyé contre la vitre de la calèche, Hope se concentrait pour retenir ses larmes. Elle avait demandé à Patsy de voyager devant, à côté du cocher, souhaitant se retrouver seule. Les irrégularités de la route faisaient tressauter le véhicule et mettaient Hope au supplice.
Tout son corps la faisait souffrir. Elle avait de nombreuses ecchymoses, ainsi qu’une profonde coupure au pied après avoir piétiné le verre du miroir brisé. Sous ses paupières closes, la scène de la veille tournait en boucle.
Stuart qui s’était montré extrêmement doux depuis l’annonce de sa grossesse avait oublié toutes précautions et assouvi sa frustration. Il l’avait avilie pour la punir. Et il avait mis en danger leur bébé. Elle craignait de le perdre et guettait le moindre signe avant-coureur.
Lorsqu’elle avait ouvert les yeux ce matin, Stuart avait déjà déserté les lieux et elle avait trouvé Patsy occupée à préparer ses bagages. La jeune esclave avait le regard fuyant et semblait mal à l’aise face à sa maitresse.
- Que fais-tu? lui demanda Hope.
- Le maitre a dit de préparer vos affaires. répondit-elle en chuchotant.
- Mes affaires ? pour aller où ? s’inquiéta Hope et d’un bond elle se redressa sur le lit et ajouta pleine d’espoir : en Angleterre ?
Stuart avait peut-être décidé de la répudier et de la renvoyer chez elle afin la clouer définitivement au pilori.
- Non, Madame dit Patsy. Vous allez vivre à Oak Shadow.
Sans ajouter un mot, elle sortit de sa poche une lettre et la lui tendit.
Ma chère épouse,
Au vu des circonstances, il me parait préférable que vous partiez à Oak Shadow. Je serai plus rassuré de savoir que vous bénéficiez de la protection et des conseils avisés de Mère pour mener à bien votre grossesse. Vous avez besoin de repos pour mettre au monde un fils fort et en bonne santé. Il est évident que l’environnement de la ville ne vous convient pas et il vous manque une présence maternelle.
Je viendrai vous voir dès que possible. Prenez soin de vous et de notre enfant.
Avec toute ma tendresse.
Stuart.
Oh le lâche pensa Hope. Il avait fui dès le matin et se débarrassait d’elle avec une simple missive. Il l’éloignait pour ne pas affronter ce qu’il lui avait fait subir et pour vivre sa liaison en toute quiétude. De plus, il était un peu tard pour se préoccuper du bien-être de son enfant après l’assaut de la veille.
Il l’envoyait vivre avec sa mère qui la détestait, il la privait de sa seule amie qui lui apportait du réconfort. Elle eut l’impression d’être condamnée au bagne.
Ce fut le coup de grâce pour Hope qui éclata en sanglots.
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Hope ne perdit pas le bébé. Malgré la violence de son père et le désespoir de sa mère, le petit être s’accrocha.
Les jours s’écoulaient très lentement à Oak Shadow. Hope partageait son temps entre la lecture et les promenades. Elle vivait cloitrée, fuyant la compagnie des autres. Son cœur saignait et son âme était meurtrie bien plus que son corps.
Elle n’avait écrit à personne pour prévenir de son soudain déménagement, ni à Charlotte, ni à Mary. Elle ne pouvait pas expliquer sa situation, elle en ressentait une telle honte et ne pouvait se résoudre à mentir.
Elle cherchait par tous les moyens à échapper à sa belle-mère ce qui n’était pas aisé car cette dernière n’avait plus que Hope sous son toit.
En effet, Juliette était partie rendre visite à sa tante à Charleston pour être plus près de l’animation. La jeune fille cherchait assidument un mari et Bettany, accompagnée de son époux, était auprès de sa sœur qui était souffrante.
Madame Hamilton s’était fait un devoir moral de prendre soin de la femme de son fils. Quand la jeune femme était descendue de la calèche, elle n’avait pu s’empêcher de remarquer son piteux état. Elle n’avait évidemment rien dit ; ce n’était pas son rôle de s’immiscer dans le mariage de Stuart. Elle avait compris que les vieux démons de son enfant était ressortis. Elle eut pitié de Hope et elle avait décidé de mettre de côté ses a priori.
Elle accablait la jeune femme de conseils ; l’obligeait à faire une sieste et avait recommandé un régime alimentaire prétendument sain pour un bébé mâle. Elle affirmait l’avoir suivi pour ses deux aînés et encourageait Hope à faire de même. Cette dernière était sceptique, mais ne souhaitait pas se lancer dans un long débat sur le sujet. Elle n’aspirait qu’au calme et la compagnie de sa belle-mère ne lui en procurait aucun. Elle ne comprenait pas cette soudaine complaisance.
Un jour, que Monsieur Hamilton avait été retenu à l’extérieur, les deux femmes se retrouvèrent seules, à table, en tête à tête. Hope avait bien tenté de prendre son repas dans sa chambre comme elle l’avait fait les précédents jours, mais Madame Hamilton avait insisté pour qu’elle se joigne à elle. Elle souhaitait l’entretenir d’un sujet important. Hope, surprise, avait laissé sa curiosité prendre le dessus et accepté.
Après le repas, Madame Hamilton lui expliqua très sérieusement qu’il était inconvenant que dans l’éducation qu’elle avait reçue, on ait omis de lui apprendre la couture. Et elle s’était donc mise en tête de lui apprendre à coudre, pour qu’elles préparent ensemble la layette du bébé.
Hope, totalement prise au dépourvu, éclata de rire. Elle ne pouvait se reprendre, elle riait aux larmes sous le regard interloqué et quelque peu offusqué de sa belle-mère. Cela faisait longtemps que la jeune femme n’avait pas ri et étrangement elle se sentit mieux.
Lors de son arrivée, Hope avait expliqué qu’elle avait toujours détesté la couture et mis un point d’honneur à refuser d’apprendre. Elle avait constaté l’air choqué de sa belle-mère suite à cette révélation, mais elle n’avait pas imaginé que ce serait un tel problème.
Hope n’avait pas le courage de se battre et elle finit par céder. Il fut convenu que les cours auraient lieu chaque matin après le petit déjeuner.
Madame Hamilton se révéla enchantée lorsqu’elle découvrit que Hope était une élève appliquée et douée que très rapidement, elle sut coudre et broder. Madame Hamilton ne put s’empêcher de ressentir une fierté toute maternelle et réalisa qu’elle finissait par apprécier sa belle-fille. Leurs rapports s’améliorèrent et la vie fut plus agréable pour Hope à Oak Shadow.
Hope prit l’habitude de consacrer sa matinée à sa belle-mère pour disposer de ses après-midis seule. Ça paraissait un bon compromis pour les deux femmes. Lors de leurs travaux de couture, elles parlaient arts ou littérature. Les deux femmes avaient le même intérêt pour l’histoire, bien qu’elles ne partageassent pas toujours le même point de vue. Elles eurent quelques écueils qui provoquèrent des discussions animées.
Alors qu’elles évoquaient les relations entre la France, pays d’origine de Madame Hamilton, et l’Angleterre, cette dernière lui révéla qu’elle avait perdu son frère aîné à Waterloo, lors des dernières guerres napoléoniennes et qu’elle et sa famille en avait gardé une haine farouche des Anglais. Elle lui expliqua également que la famille de son époux avait fui la terrible répression qui précéda l’acte d’union, annexant l’Irlande au Royaume Uni.
Hope comprit enfin l’animosité qu’ils avaient eue à son égard.
Il y avait, cependant un sujet qu’aucune des deux femmes n’abordait : Stuart. Hope n’avait pas eu de ses nouvelles depuis son arrivée à Oak Shadow, il y a trois semaines. Ses bleus avaient disparu et son pied était cicatrisé, mais elle avait le cœur rempli de rage, à tel point que parfois, cela lui donnait l’impression d’étouffer. Bien que ses relations avec sa belle-mère se soient réchauffées, Hope savait d’instinct qu’elle ne pouvait attendre aucun soutien de cette dernière face à son fils.
Un matin, alors qu’elles brodaient en silence, Madame Hamilton s’interrompit pour lui annoncer:
- J’ai reçu une lettre de Stuart !
Hope releva lentement la tête pour regarder sa belle-mère, elle ne dit rien, attendant la suite.
- Il rentre à la maison pour la fin de la semaine. enchaina-t’elle. Il a hâte de vous revoir, mon enfant. Ajouta-t’elle plus doucement.
Hope frémit, appréhendant les retrouvailles avec son mari.
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