La petite Alicia ne vécut que quelques semaines. Elle était venue au monde après un accouchement difficile, provoqué par les coups de son père et qui dura presque deux jours.

Alicia, qui portait le prénom de sa grand-mère maternelle avait le cordon autour du coup et ne respira que grâce à l’aide providentielle de Mimba que Madame Hamilton avait appelée en dernier espoir devant la souffrance de sa belle-fille.

C’était une petite fille chétive dont sa mère tomba éperdument amoureuse dès qu’elle posa les yeux sur elle.

Hope avait perdu beaucoup de sang et était très affaiblie, elle avait frôlé la mort.

Cependant, lorsque Mimba lui mit son enfant dans les bras, elle ressentit un tourbillon d’amour déferler dans tout son corps qui lui procura une forme de régénérescence. Elle ne se lassait pas d’admirer sa fille et de la serrer contre elle.

Elle se dit que tout ce qu’elle avait traversé ces derniers mois en valait la peine, elle pourrait supporter pire pour cette petite fille. Par amour pour elle, elle choisit d’oublier la violence de son mari et les coups qui avaient provoqué son accouchement et de ne se consacrer qu’à son bonheur.

La naissance de la petite fille fit souffler comme un vent frais à Oak Shoadow. Madame Hamilton sembla revenir à la vie et même Stuart parut chasser ses vieux démons.

Il était lui aussi profondément attaché à son enfant. Il passait de longues heures dans la chambre de son épouse à cajoler la petite Alicia, endormie. Il s’extasiait sur sa beauté et lui cherchait des ressemblances avec lui et sa famille. Il affirmait sa paternité et essayait par-là de renouer avec sa femme. Il était redevenu tendre avec Hope et cherchait de milles façons de se faire pardonner même s’il était incapable de lui présenter des excuses. Il lui apportait chaque jour des petites attentions et il lui avait même promis de l’emmener rendre visite à ses amis, les Stanton.

Les deux parents débordants d’amour et d’admiration envers leur fillette occultait la triste réalité. Alicia était un bébé très calme qui ne pleurait pas. Elle ne réclamait pas à manger et se nourrissait très peu. Elle ne prenait pas de poids et s’affaiblissait de jour en jour. Personne ne semblait le remarquer et ceux qui le constataient n’osaient pas le dire à voix haute. Le Docteur Williams avait bien tenté de faire part de son inquiétude, mais Stuart, dans un accès de colère, l’avait chassé en le traitant de charlatan.

Seule Mimba qui rendait régulièrement visite à Hope faisait preuve de lucidité et tentait de retarder l’inéluctable. Elle proposa de faire appel à une nourrice pour allaiter la petite, cherchant ainsi à la nourrir plus fréquemment que ce que l’état de Hope permettait. Mais cela ne suffisait malheureusement pas. Elle cherchait à la maintenir éveillée, mais l’enfant était si petite et si faible que ses moments d’éveil étaient de plus en plus rares.

Madame Hamilton, qui avait pourtant déjà perdu un nourrisson, refusait de le voir et calmait les angoisses de Hope en chantant les louanges de sa petite fille si sage qui faisait déjà ses nuits. Mimba avait tenté de la mettre en garde, mais la maitresse de maison ne pouvait pas envisager la perte d’un autre membre de sa famille.

Mimba ne pouvait qu’attendre et prier pour que les Hamilton puissent surmonter la tragédie qui s’annonçait.

*********************

Alicia mourut comme elle avait vécu, sans un bruit. Hope la découvrit dans son berceau au petit matin, le teint cireux, telle une poupée de porcelaine. Elle était partie durant la nuit, la mort ayant déjà rigidifié ses membres.

Hope prit son bébé dans ses bras et ne versa pas une larme. Elle semblait ne plus pouvoir ressentir la moindre émotion. La mort de son enfant semblait l’avoir amputé de son cœur. Elle s’assit dans son fauteuil près de la fenêtre et comme tous les matins se mit à chantonner une berceuse.

C’est ainsi que Patsy la retrouva. Il fallut plusieurs minutes à cette dernière pour comprendre ce qui se passait. Elle tenta de lui retirer le bébé des bras, mais Hope la repoussa tout en continuant à bercer son enfant. Désemparée la jeune esclave alla chercher Mimba qui fit prévenir Madame Hamilton.

Hope gardait sa fille dans les bras et refusait de s’en séparer. Tous craignaient que le chagrin l’ait fait basculer dans la folie. Sa belle-mère s’approcha doucement d’elle et lui posa la main sur l’épaule.

- Hope, ma chère enfant, Alicia n’est plus. lui dit-elle gentiment.

Hope leva les yeux vers elle et murmura :

- Je le sais. Laissez-moi le temps de lui dire au revoir.

Madame Hamilton sentit les larmes lui monter aux yeux, mais rassérénée, elle ordonna qu’on laisse Hope tranquille et descendit annoncer la nouvelle à son fils. Hope garda sa petite Alicia dans les bras jusqu’au crépuscule et Madame Hamilton, pour la troisième fois en quelques mois prépara des funérailles.

On enterra l’enfant à côté de son oncle et de son grand-père. La cérémonie rassembla les mêmes personnes que celles du baptême quelques semaines auparavant. Le cœur broyé par le chagrin, Hope, entourée de son époux et de sa belle-mère, regarda stoïquement le cercueil de son bébé être enseveli.

Stuart posa une main sur son bras, mais d’un geste sec, elle s’en dégagea. Son mariage était aussi mort que sa fille. Elle ne pouvait s’empêcher de tenir son mari pour responsable de sa perte. Tous les souvenirs et les émotions qu’elle avait enfouis, étaient remontés à la surface et chaque coup qu’elle avait reçu, elle en était persuadée, avait atteint Alicia. Il avait tué leur enfant.

Elle ne laisserait plus jamais Stuart la toucher quitte à en mourir.