Aujourd'hui, tu arrives. On se l'est promis, on a tout mis en oeuvre et tu es monté dans le train. Tu vas faire les 800km qui nous séparent. Selon ton billet, tu dois arriver à 10h15 alors, dès 10h, je me suis installée sur un banc du quai. Heureusement, il fait beau et doux. C'est rare pour la saison. Je commence à regarder autour de moi pour passer le temps. Quinze minutes encore et je te serrerai dans mes bras.

 Je ne suis pas la seule à profiter du soleil et du temps clément de ce mois d'avril. Nous sommes quelques uns, avec ou sans bagage, attendant le train. Une dame âgée tend son visage vers le ciel, les yeux fermés et elle hume l'air frais et parfumé par les arbres qui commencent à fleurir. Elle me fait penser à ma grand-mère et je sens mon coeur qui bat plus fort en pensant à elle. Elle me manque tellement. Allons, pas de pensée triste, tu es en route et ça m'emplit de joie !

 Ton train est en retard. La voix dans le haut parleur parle de durée indéterminée suite à un accident sur la voie. J'espère que tu vas bien ! Je profite du temps à t'attendre pour sortir mon carnet et mes aquarelles de voyage. Cela va m'aider à ne pas regarder ma montre. Je commence par croquer la dame âgée. Ses cheveux blancs, bouclés, qui bougent avec le vent. Son regard doux et inquiet qui montre qu'elle aussi attend quelqu'un. Son nez fin, ses lèvres pleines peintes en rose. Elle porte un ensemble vert qui fait ressortir son teint laiteux et ses yeux bleus. Avec le pommier en fond et la gare sur le côté, ça fait un charmant portrait. Je vais le lui offrir.

 Hélène (c'est comme ça qu'elle s'est présentée lorsque je l'ai abordée) a adoré son image peinte et l'a trouvée très ressemblante. On a discuté quelques minutes et c'est comme ça que j'ai su qu'elle attendait son fils, sa bru et ses petits-enfants qu'elle allait voir pour la première fois. Je lui ai offert un café et nous avons bavardé un peu avant qu'elle aille s'asseoir à l'intérieur, face aux écrans, pour voir quand la situation allait se débloquer.

 J'ai donc continué à regarder autour de moi. Vivant dans un village perdu, la gare la plus proche n'était pas dans une grande ville mais dans la campagne, entourée de verdure, face à des champs qu'un fermier était en train de travailler. Les odeurs de la terre retournée, de l'herbe coupée et des céréales ensemencées parvenaient jusqu'à moi dans le souffle léger du vent. J'ai repris mes aquarelles et j'ai immortalisé ce moment. Des enfants couraient un peu partout et venaient voir ce que je faisais.

 Déjà deux heures que je t'attends. Beaucoup de personnes sont passées, des couples se sont retrouvés, d'autres se sont séparés, des familles sont parties en vacances, des parents ont laissé leurs enfants seuls pour la première fois avec leurs grands-parents... Mon carnet de croquis se remplit doucement. Des expressions de voyageurs heureux ou fatigués, des visages collés aux fenêtres à admirer la nature ou à faire des grimaces.

 Une annonce, enfin, qui concerne ton train. Tu arrives ! Ces quelques minutes vont me paraître plus longues que les heures écoulées. Je vois la locomotive au loin. J'imagine, l'espace d'un instant, qu'elle est encore à charbon et que la fumée épaisse et blanche forme des nuages qui annoncent son arrivée. On nous demande de nous éloigner de la bordure des quais. Je range mon matériel, me recoiffe avec la main, prie pour que mon maquillage soit encore correct parce que je n'ai ni le temps ni l'envie d'aller vérifier aux toilettes.

 Les wagons sont à l'arrêt, les portes s'ouvrent et te voilà ! Tu es plus grand que la plupart des voyageurs et ta tignasse blonde accroche le soleil. Je ne vois que tes yeux bleus qui me cherchent. Tu me vois enfin. Je vais courir vers toi, prépare-toi à m'attraper au vol !