Chapitre 1- Sarah

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La petite boîte de nuit est blindée de monde et je ne trouve pas ma place dans ce capharnaüm. Quelques filles, aux manières bien trop vulgaire à mon goût, se pavanent sur les podiums, se poussent, et se battent pour être l’objet de convoitise de tous ces affamés qui se tiennent à leurs pieds comme des veaux en dessous du pis de leur mère.

J'ai pitié d'elles, et mon visage ne peut contenir mon expression de dégoût.

De mon siège de velours tâché, j’observe, vêtue de ma mini robe noire en sequins choisie par Delphine et validé par Jessica, cette décadence d’un œil critique. Le goût de mon hypocrisie éhontée rend âcre mon verre de vodka. Je comprends cette envie de se faire remarquer et d’être désirée, mais il y a l’art et la manière de le faire dit-on. Je sais aussi que nombre d’entre elles n’iront pas plus loin que la provocation. Se contenteront de flatter leur égo blessé et se coucheront le sourire aux lèvres à l’idée que leur charme fasse encore de l’effet.

Je les juge, mais moi, je fais pire. Je me nourris, m’abreuve de luxure pour remplir ce vide en moi, alors que je ne ressens…plus rien.

Mes amies dansent et s’amusent non loin de moi. Elles tentent de me motiver à les rejoindre sur la piste en hurlant mon prénom à tout va, mais je refuse à chaque fois, levant mon verre dans leur direction pour toute réponse.

Elles ne savent rien de ce que je fais désormais. De ce que je suis devenue. Je me suis toujours gardée de me vanter de mes « conquêtes », comme elles se vantent des leurs. Mes amies connaissent mon enfance douloureuse et les horreurs qui se sont produites avec Gabriel, c'est suffisant pour moi. Je souhaite au moins garder le contrôle sur ce jardin intime aux fleurs fanées qu’est ma vie sexuelle et amoureuse. Je scande continuellement que j’aime ma solitude. Que ma réussite professionnelle est ma priorité. Alors, elles ne peuvent pas imaginer que mon lit n’est que très rarement froid. Que la nuit, cachée dans l’obscurité, je me fais reine de cœur, et qu’à l’aube je dévore les espoirs de ces amants qui surjouent sûrement un attachement envers ma personne par simple politesse. « Toujours debout, jamais vaincue !» , s’amusent-elle a proclamer à l’unisson en mon honneur parfois afin de me redonner le sourire. Elles prennent leur slogan pour un hommage au courage qu’il m’a fallut pour survivre aux épreuves de la vie, mais elles n’imaginent pas comme ça me coûte que l’on me le rappelle continuellement. Comme j'aimerais effacer leur mémoire, et la mienne en passant. Comme j’aimerai enfin passer totalement à autre chose.

Je me sens oppressée. Tout mes sens sont maltraités. Entre les mains baladeuses, l’odeur d’alcool, de transpiration, les stroboscopes qui me donne le vertige et la musique a la basse mal réglée qui vibre dans mes tympans, je suis saturée.

Je termine d’une traite cet alcool de mauvaise qualité, attrape mon sac et me lève de mon tabouret.

— Sarah ! Tu reviens ! Je te connais, n’essaie même pas de te sauver ! me hurle Delphine.

Pour tout réponse je lui souris, montre mon paquet de clope et de deux doigts, dans un salut scout, lui fait signe. L’expression de son visage affiche clairement qu’elle sait que je ne reviendrai sûrement pas.

Il pleut, mais je préfère cela au fumoir obligatoire. La pluie n’est plus que crachin et cela me fait du bien. Le videur me sourit gentiment et me répète pour la cinquième fois, de façon houleuse, qu’il me fait une fleur en me laissant fumer dehors. Malheureusement pour lui, il n’est pas mon style.

Mon paquet de clopes à la main, je m’avance encore un peu plus loin afin de m’asseoir sur le muret humide attenant à la boîte. Je souffle bruyamment. Je suis réellement arrivée à mes limites sociale aujourd’hui… De sa lueur fugace, la flamme de mon briquet m'éclaire dans l'obscurité et, d’une bouffée, j’inspire ma frustration et ma honte de ne pas être honnête avec mes amies. Mais, pourquoi serais-je obligée de tout leur dire ? En quoi cela ferait-il de moi une meilleure amie ? Suis-je vraiment un monstre de leur cacher ce pan de ma vie alors qu’elles me disent tout de la leur ? Elles sont si heureuses de ma reconstruction, je ne peux leur faire revivre l’angoisse quant à mon instabilité émotionnelle.

Ces questions en tête, je ferme les yeux et choisis de m’allonger de tout mon long. Les gouttes pleuvent sur mon visage, calme mon esprit. Le froid ne tarde pas à mordre mes cuisses, je tremble mais étrangement me fait me sentir… vivante. La musique n’est plus qu’un vrombissement sourd, le brouhaha de voix ne peux plus m’atteindre d’où je suis. Je vénère ce moment et profite de ma cigarette lentement.

Cette boîte n’est pas un endroit huppé. C’est même tout le contraire. Le vieux néon rétro peine à faire oublier que l’établissement est un ancien entrepôt. Mais Delphine et Jessica aiment venir ici pour être sûre de ne croiser personne de la grande ville. Leur liberté nous coûte à chaque fois quarante-cinq minutes par départementales, et nous prenons toujours le même hôtel qui se trouve à deux kilomètres de la boîte. L’attrait d’un regain de jeunesse fait faire de ces choses… Je repense à certaines soirées cocasses passeés ici et cela me faire rire bêtement. Que j’aime ces deux nanas.

Soudain, le bruit d’un briquet et du papier qui s’embrase me sortent de ma rêverie. Je ne suis pas seule. Lorsque j’ouvre les yeux et me relève brusquement, je constate qu’un homme se tient contre l’arbre non loin de moi et me fixe, sourire aux lèvres.

Instinctivement, je baisse la tête me souvenant de ma tenue. Honteuse, je rabaisse ma robe. Pour en rajouter une couche, la pluie a sûrement fait couler mon maquillage. La totale. Moi qui critiquais le manque d'élégance des danseuses de podium tout à l'heure, je ne suis pas mieux. Je dois avoir l’air d’un déchet soûl qui sort de boîte.

— Mais je t’en prie, ne sois pas gênée, continue ta méditation. C‘était assez plaisant à regarder, je t’avoue, me lance-t-il.

Alors qu’il s’avance un peu plus, le petit spot qui lutte de toute ses forces contre l’obscurité me révèle qu’il est grand, brun et barbue. A sa chemise et son jean je devine que lui aussi devait se trouvait dans la boîte.

— Tu comptais rester là à me fixer comme un pervers combien de temps, toi ? je lance sèchement pour essayer de retrouver la face.

— Je surveillais tes arrières, voyons. On a pas idée de s’allonger, le cul à l’air comme ça. Tu as abusé des verres, non ?

Même pas. Mais j’aurais préféré avoir cette excuse, non pas pour lui, mais pour moi-même.

— De un, je me pensais seule, et de deux j’avais… oublié.

— Oublié quoi ? demande-t-il maintenant à un ou deux mètres de moi.

Il est beau.

Merde. Le seul mec potable de ce patelin est louche. C'est bien ma veine !

— Que j’étais en robe ! C’est bon, t'a vu ma culotte on va pas en faire un foin !

Il éclate de rire et manque de s’étouffer avec sa fumée.

— En plus d’être un pervers, tu te fous de ma gueule ? dis-je en me plantant devant lui.

Non, mais, comme si j’allais me battre avec lui. Je vais pas bien ma parole.

Je suis minuscule et lui gigantesque.

— Non, non. Absolument pas ! Sors pas les griffe ! s’empresse-t-il de dire. C’est juste que j’espère que c’est l’alcool qui fait que tu t’allonges sous la pluie et rigole toute seule au point d’avoir l’air un peu givrée parce que sinon...

Il suspend sa phrase et fait mine de détourner le regard, alors que j’attends la suite comme une débile. Vexée et impatiente, je ne peux m’empêcher de prendre la parole, même si au fond de moi je me doute que c’est exactement ce qu’il attend :

— Sinon quoi ?

— Sinon tu risques de me plaire, lâche-t-il d'un sourire taquin.

Ouais, il est vraiment beau...

À mon tour, je rigole. Mais mon rire est sarcastique, un peu trop même, mais je tente par tout les moyens de ne pas montrer un quelconque intêret pour son physique avantageux.

— Et ça a déjà marché cette technique de drague ?

Je lui tourne le dos et récupère mon sac sur le muret.

— Je viens de l’inventer, lâche-t-il plus fort.

— Quel honneur ! Juste pour moi ? Ou pour ma culotte ? Franchement ça commence mal pour toi, mon pote, et je ne pense pas que ça puisse bien finir. Si tu permets j’aimerais bien rentrer, maintenant.

— Tu t’appelles comment ?

Je me retourne brusquement. Le culot de ce mec est incroyable !

— O.K ! Donc, pour toi, je donne l’impression d’avoir envie de discuter avec toi, là ?

— Oui.

— Au revoir !

Je m’éloigne avec une assurance feinte vers l’entrée de la boîte mais j’aperçois le videur qui me lance un sourire niais.

Bordel !

Je passe devant lui sans un regard, chose que je regretterais sûrement à ma prochaine venue, change brutalement de direction et avance plus rapidement vers la sortie du parking. Je dois avoir l'air d'une folle qui ne sait même pas où elle va ! Méfiante, je me retourne pour voir si l’autre est toujours là. Lorsqu’il croise mon regard, celui-ci me fait un salut de la main, et rigole encore !

Taré, celui-là ! Connard !

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