Epilogue
« - Cette exposition est un réel succès ! Quel artiste ce Vic !
- Je vous remercie. »
Cela fait maintenant trois ans que Victor est mort. Il reste bien au chaud dans mon cœur. Il m’a fallu plus de trois mois pour sortir du coma dans lequel Minami m’avait plongé. Lorsque je me suis réveillé, j’étais seul. Plus de Victor. Plus de Minami. Plus de famille. Seul. Après nous avoir laissé dans la grotte, Minami a déambulé sur les docks, couverte de sang et a été appréhendée par un agent de la sécurité du port, pensant qu'elle avait été victime d'une agression. Dans un éclair de lucidité, elle a tout avoué en pleurant à chaudes larmes. L’homme a de suite prévenu les forces de l’ordre, croyant qu’elle avait perdu l’esprit.
Elle a été jugée pour enlèvement, séquestration et meurtre : étant donné son jeune âge et ses antécédents psychiatriques, elle a été condamnée à se faire soigner dans un hôpital. Elle erre aujourd’hui dans son monde, entre culpabilité et rancœur, haine et frustration.
Le plus dur a été d’apprendre que leurs parents étaient parfaitement au courant des dérives de leur fille : le père aveuglé par la réussite scolaire de Minami et sa possible grande carrière a préféré fermer les yeux, disant que c’était passager. De plus, Victor étant homosexuel et lui homophobe, la question a été vite réglée. La mère complètement soumise à son homme n’a rien (pu ?) faire. Ils ont été jugés pour non assistance à personne en danger. Personne n’a dénoncé les sévices qu’ils avaient fait subir à Victor. A quoi bon ?
Rita et Paul m’ont beaucoup soutenu : il est vrai que j’ai été amorphe pendant plus d’une semaine. Je refusais de sortir et même de me nourrir. Je voulais juste rejoindre Victor, peu m’importaient les moyens. J’ai essayé de me suicider par la pendaison : Paul m’a sauvé de justesse. Ce jour-là, il m’a emmené à l’atelier de peinture : cette sortie m’a été salvatrice. Lorsque j’ai revu notre tableau, tout mon chagrin s’est exprimé et j’ai hurlé ma douleur dans ses bras.
J’ai fini par découvrir cette fameuse toile que Victor m’avait empêchée de regarder : plus que toutes les autres, cette peinture était splendide. Elle représentait les jumeaux dos à dos, se tenant par la main, sur un fond d’aurore boréale. Victor avait les ailes d’un noir profond tandis que Minami arborait des ailes d’une blancheur immaculée. Je pris la décision de l’offrir à leurs parents. Comme un cadeau empoisonné. Leur crime à jamais immortalisé sur une toile blanche par leur principale victime. Je le leur ai fait livrer, tout en me cachant pas loin : je voulais voir leur réaction. En ouvrant, la mère s’effondra et le père porta la main à sa bouche pour étouffer un pleur.
Je me suis installé quelque temps dans la cabane de peinture, n’allant chez Rita que pour ma toilette. J’y ai retrouvé un carnet de dessin avec mon prénom marqué dessus… Sur la première page était écrit « Pour tes dix-huit ans, love, Victor ». Il était rempli de dessins nous concernant : les paysages, l’appartement, la peluche que je lui avais offerte, moi qui dors, moi qui lis, moi perdu dans mes pensées… sur la dernière page un croquis de nous front contre front, nos mains entrelacées au niveau de la poitrine. Ce jour-là, j’ai énormément pleuré en repensant à tout ce que j’avais perdu.
J’ai pris en photo une partie des toiles de mon aimé et les ai postée sur les réseaux sociaux en hommage. J’ai aussi récupéré ses dessins sur l’ordinateur. Un jour, un propriétaire de galerie me demanda si j’en étais l’auteur : il trouvait les peintures magnifiques et voulait les exposer. Sachant que Victor voulait que son talent soit reconnu, j’acceptais en lui expliquant la situation. Un accord fut vite trouvé.
J’ai vendu la maison de ma mère : de toute façon je savais que je ne pourrais jamais y vivre. Après des au revoir déchirants avec Rita et Paul, j’ai quitté la ville sachant que plus jamais je n’y reviendrai, une création spéciale de Victor à jamais gravée sur ma peau par leurs soins.
Depuis un peu plus d’un an maintenant, les expositions de l’artiste Vic ont un réel succès. La seule toile que j’ai gardée pour moi seul est notre « Océan bleu sur ciel gris » : elle m’est bien trop précieuse. De même que mon portrait qu’il avait dessiné le fameux jour de notre première fois. Je l'ai fait encadrer. J’ai réussi à surmonter mon chagrin bien que parfois je regarde les photos de nous que j’ai fait imprimer et qu’une petite larme passe par là… Mon amour pour Victor dort là, au fond de mon cœur telle une petite lueur dans ma nuit perpétuelle…
Ce soir, le vernissage a lieu dans une grande ville côtière. La vue de l’océan me rend nostalgique… Accoudé à la rambarde, une bière à la main malgré le champagne qui coule à flot, je souris tristement.
A la tienne...
« - Euh… bonsoir ? C’est vous l’artiste ? »
Surpris, je me retourne.
BABOUM !
Je manque de lâcher ma canette. Un jeune homme à la peau mate aux grands yeux noisettes se tient devant moi, à peine plus âgé que Victor l’aurait été.
« - Euh… non… L’artiste est décédé il y a de cela trois ans… Je ne suis que l’heureux héritier de ses œuvres…
- Je me disais aussi… Je crois bien avoir reconnu le coup de crayon… Je vous demande pardon mais... Par hasard… Son prénom… le vrai... n’était pas… Victor ?
BABOUM !
- Si… tu… vous le connaissiez ?
- Oui… Nous avons été proches un temps…, me répond-il en rougissant, ce qui fait battre mon cœur un peu plus fort. Je… je crois… qu’il a été mon premier amour…
- Dans ce cas, nous avons çà en commun… », lui avouais-je dans un murmure.
Il me regarde, l’air un peu surpris puis me sourit d’une manière si douce que j’en oublie de respirer.
« Pardon... je ne me suis pas présenté: je suis Stéphan, le fils du propriétaire de la galerie, artiste peintre à mes heures perdues... »
Et à nouveau mon monde s’éclaira.
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