Semaine 18.3 - Lison et Auguste

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Auguste resta bouche bée lors d'une ou deux secondes. Puis un sourire fleurit, comme s'il saisissait enfin qu'elle le taquinait. Il roula des yeux.

- Que de bonté en vous, ma chère amie ! ironisa le garçon. Prochaine question : quel âge avez-vous ? Quatorze ans, quinze ?

Lison éclata de rire face au caractère saugrenu de cette interrogation, si éloignée des précédentes.

- Quatorze, mon cher monsieur, et vous donc ?

- Seize. Je vous pensais plus âgée.

- Et moi je vous pensais plus jeune, il faut croire qu'aucun de nous ne sait bien juger.

Elle haussa les épaules avec défaitisme et Auguste s'esclaffa. Lison avait beau à peine connaître ce jeune garçon – ou plutôt ce jeune homme, si l'on est regardant de son âge – une grande affection naissait dans son coeur et voir le rouge colorer légèrement ses joues creuses lui fit plaisir.

- A mon tour de vous interroger. Hum. Quelles occupations avez-vous pour passer le temps ?

- Des livres, principalement. J'aime particulièrement ceux d'aventure, ainsi que les carnets de croquis des voyageurs, puisqu'ils me permettent de sortir un petit peu de ma chambre. Et... pouvez-vous garder un secret, Lison ?

Son ton était mystérieux mais son regard malicieux, et la jeune fille dut faire un effort pour rester sérieuse et sobrement hocher la tête. Qu’allait-il bien ajouter ? Certainement un bêtise et cela ne la rendait que plus curieuse de l’entendre.

- Mes romans préférés sont ceux parlant d'amour. Oui, oui, je sais, continua-t-il, agitant les mains comme un politicien le ferait pour apaiser une foule, ce n'est pas un goût des plus banals mais que voulez-vous, je suis un peu fleur bleue.

- De mon côté, j'ai toujours eu un faible pour les romans épiques. J'ai longtemps rêvé de devenir pirate.

Elle haussa les épaules dans un long soupir tragique.

- Je suis sûr que vous auriez fait une pirate incroyable.

- Qui sait, peut-être un jour fugerai-je vers la mer, ravissant des trésors et installant mon antre sur une île paradisiaque où il ferait bon de vivre. Bien, donc, les livres vous occupent. Quoi d'autre ?

- Les cours, un tuteur vient trois jours par semaine. Et un peu de violon ou de piano quand mon père est à la maison, il aime m'entendre en jouer.

- Oh, vous êtes musicien ?

Il sembla un peu rougir, ce qui donnait presque à son visage une teinte vivante.

- Musicien est un grand mot pour mon maigre talent. J'aurais arrêté il y a longtemps si ce n'était pour faire plaisir à mon père.

- Et lui, joue-t-il ?

- Plus depuis des années. Il était doué, très, mais... il ne joue plus. Il ne fait plus que me l'enseigner sans toucher lui-même à un instrument.

Son expression s'était refermée, comme s'il se recroquevillait autour du noyau trop tendre de ses pensées. Lison hésita à le pousser à plus de précisions, puis abandonna. C'était certainement lié au sujet non abordé de sa mère. Peut-être sa parente était-elle morte ? Non, elle ne dirait rien, elle ne voulait pas le blesser. Et puis, ils étaient encore des inconnus l’un envers l’autre, elle ne pouvait pas lui demander de si grandes révélations.

- Bref, passons. De quoi d'autre voulez-vous parler ?

Auguste pâlissait. Ou plutôt, il était déjà pâle, et maintenant, sa peau devenait transparente tant elle perdait sa couleur. Il respirait par à coup.

- Auguste ?

Lison se redressa. Il inspira profondément – du moins, aussi profondément que ses poumons malades le lui permettaient – puis expira en toussant brutalement. Sa quinte dura longtemps. Ses yeux pleuraient et il recula dans sa chambre. La jeune fille ne le voyait plus mais pouvait entendre ce son terrible résonner sur la neige. Peu à peu, la toux s'espaça pour laiser place à une respiration sifflante. Enfin, le garçon réapparut à la fenêtre. Ses yeux étaient rouges, légèrement exorbités et larmoyants.

- Vous... vous avez une trace... sous le nez.

Auguste leva la main vers son visage. Un lent filet de sang coulait sur sa lèvre supérieure. Peu perturbé, il tira un nouveau mouchoir de sa manche et s'essuya. Il haussa les épaules.

- Ce n'est rien.

- Ce n'est rien ? répéta Lison d'une voix proche de l'hystérie. Rentrez au chaud, n'allez pas attraper pire que ce que vous avez déjà ! Et dire que vous êtes le plus âgé. N'êtes-vous pas censé être le plus... sensé ? Le plus raisonnable ?

- Mais vous partirez.

Lison balaya ses mots d'un geste impatient de la main.

- Rentrez.

Visiblement attristé, il recula d'un pas. Puis il avança de nouveau, plantant ses yeux dans ceux de la jeune fille.

- Reviendrez-vous ? S'il-vous-plaît.

Lison hésita. Elle n'avait pas très envie d'être la raison de la mort de ce si gentil garçon. Cependant, elle acquiesça, la bouche serrée. Ciel que c'était imprudent.

- Maintenant, rentrez, et réchauffez-vous.

Auguste hocha la tête machinalement, une nouvelle toux s'échappant d'entre ses lèvres. Bien que plus faible, elle préoccupa tout autant Lison que la précédente. Le froid n'était vraiment pas bon pour lui. Son père avait raison.

Alors qu'il fermait la fenêtre, la jeune fille remarqua enfin à quel point il faisait nuit. Elle fit volte face et courut jusqu'à chez elle. Papa et maman seraient mécontents de la voir rentrer si tard !

Le lendemain, quand Lison parvint au parc, elle était décidée à moins faire souffrir Auguste du froid. Elle avait repéré une petite avancée devant la fenêtre et se demandait si elle ne pouvait pas grimper dessus. Peut-être n’était-ce pas digne d’une jeune fille, mais au diable les convenances ! Après tout, elle passait bien par effraction au-dessus d'une grille. Grimper sur un toit, quoi de plus simple ? La jeune fille s'approcha. Oui, la glycine montait bien jusqu'en haut. Hum. Elle tira sur le tronc central, puis, estimant qu'il était assez solide pour supporter son poids, elle initia son ascension. Ce fut moins complexe qu'elle ne l'avait pensé au prime abord. Les prises se créaient d'elles-même dans l'enchevêtrement des branches et la principale difficulté résidait dans sa jupe qui régulièrement se coinçait sous ses pieds. Elle était presque sûre d'avoir déchiré son jupon mais décida qu'elle s'en préoccuperait plus tard. Enfin, elle atteignit le toit. Lison tâta les ardoises, vérifiant qu'elles ne glisseraient pas mais elles semblaient bien attachées. Lentement, elle progressa sur l'avancée. Qui y'avait-il en dessous ? Une salle à manger ? Un salon ? Peut-être une terrasse couverte. Elle était dans tous les cas ravie que les arbres du parc la cachent de la rue, il aurait en effet été délicat de gérer une personne la remarquant.

Parvenue à la fenêtre, elle toqua contre la vitre de ses jointures gelées. Le visage interloqué d'Auguste se dessina derrière. Il ouvrit vivement les battants.

- Mais que faites-vous là haut ? s'exclama-t-il. Vous allez tomber !

Lison écarta ses propos de la main. De fait, elle avait un excellent équilibre et l’exercice l’avait amusée.

- Mais non, mais non. Comment allez-vous, Auguste ? Après hier soir ?

Ce fut au tour du garçon de balayer son inquiétude. Il la rassura, lui assurant que rien de nouveau n'était apparu et que son état n'avait pas empiré.

Finalement, une routine se créa. Lison rejoignait Auguste tous les après-midi après les classes. Elle restait une heure, parfois deux, puis repartait. Elle lui parlait du monde extérieur, et lui de ses rêves et de tout ce qu'il apprenait dans ses livres.

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