Semaine 18.6 - Lison et Auguste
Auguste eut tout juste le temps de cacher son écharpe sous un coussin avant qu'on ne toque à la porte.
- Entrez, répondit-il, le cœur battant.
La femme de ménage passa la tête dans l'embrasure. Elle écarquilla légèrement les yeux en remarquant son état mais n’en dit rien.
- Excusez-moi de vous déranger, monsieur, mais une dame vous réclame en bas, et comme votre père n'est pas là... Que dois-je faire ?
Auguste toussa. Ordinairement, elle l’aurait renvoyée, prétextant une maison vide, mais puisque la visiteuse l’avait explicitement nommé… Il se demandait ce qu’elle pouvait lui vouloir.
- Fais-la entrer et attendre dans le petit salon, veux-tu ? Dis-lui que je descends dans deux minutes.
La domestique hocha la tête et referma le battant. Auguste se tourna vers le psyché, vérifiant à la hâte s’il était présentable. Ses lunettes étaient de travers. Il ôta de ses cheveux une feuille aventurière, secoua son pantalon dans un vain effort pour le défroisser. Faute de mieux, il rabattit ses mèches en arrière sur le haut de son crâne, tira sur ses manches, tourna les boutons de manchettes pour mieux les placer et quitta sa chambre.
Il ne s’était pas préparé à ce qu’il découvrit en ouvrant la porte, et il en fut si surpris qu’il resta un instant immobile. Puis le garçon se rappela ses bonnes manières et entra le plus calmement possible dans la pièce, au centre de laquelle se trouvait la mère de Lison, dépouillée de son tablier mais avec un reste de farine sur la joue. Elle paraissait si embarrassée qu’Auguste en oublia sa propre gêne.
- Bonjour à nouveau, madame, la salua-t-il aussi poliment qu’il le put, que me vaut le plaisir de votre visite ?
Il tenait à lui montrer à que point elle s’était trompée quant à son attitude de plus tôt. La femme inspira profondément et, établissant un contact visuel direct pour la première fois depuis son arrivée, elle pinça les lèvres :
- Je viens vous présenter des excuses.
C’était si inattendu qu’il ne répondit pas tout de suite. Il tenta de retenir la quinte de toux qui montait mais s’étouffa un peu. Il reprit son souffle, haletant. Elle le fixait toujours, l’air gêné et vaguement préoccupé.
- Ma fille m’a explicité votre… relation, dit-elle quand un silence relatif fut revenu.
Elle lâcha ce mot comme s’il s’agissait d’un mot sale, d’une injure.
- Ah ? fit bêtement Auguste.
Sa gorge lui faisait mal, n’appréciant guère de devoir se réadapter à la chaleur. La mère de Lison pinça les lèvres.
- Oui.
- Ah, répéta le garçon, la voix enrouée.
Il posa une main sur le fauteuil, autant pour se donner contenance que pour garder l’équilibre. Il déglutit difficilement. Son corps n’aimait vraiment pas les changements si brusques de conditions, passant de l’humide au sec, du froid au chaud… Auguste s’éclaircit la gorge, un peu honteux d’avouer sa propre faiblesse :
- Veuillez m’excuser, madame, mais je vais devoir m’asseoir.
Il s’écrasa aussi élégamment qu’il le put. Ses poumons ne se gonflaient pas assez, il commençait doucement à manquer d’oxygène. Sa vision se bordait de noir. Le garçon imposa à ses muscles thoraciques un rythme lent et régulier. Il ferma les yeux, inspirant et expirant aussi calmement qu’il le pouvait. Quand il ouvrit les paupières, le visage de la femme faisait face au sien. Il ne l’avait pas entendue s’approcher, ni n’avait senti sa main se poser dans son dos. Il recula précipitamment contre le dossier de son fauteuil.
- Ex-excusez moi, bégaya-t-il, perturbé.
Déjà qu’elle le pensait de moeurs légères, voilà qu’il se montrait si… faible. C’en était écoeurant. D’un geste nerveux, il remonta ses lunettes sur son nez.
- Vous êtes malade, n’est-ce pas ? Ma fille m’a avertie de votre… condition.
Auguste se mordit la lèvre, mais hocha finalement la tête, honteux de sa santé fragile. Jusqu’où Lison était-elle allée dans ses explications ?
- Est-ce contagieux ? demanda suspicieusement la mère.
- Non, ça ne l’est pas, ne vous inquiétez pas. On naît avec, ou on naît sans. Je n’aurais jamais exposé Lison, si c’est ce qui vous préoccupe, madame.
Un reste de toux le saisit bien à propos. Ses poumons lui brûlaient, tout comme ses sinus, son nez, sa gorge, et à peu près tout son corps. Son crâne semblait vouloir exploser. Il ôta ses lunettes, posant une main fraîche, froide même, sur ses orbites palpitantes.
- Veuillez excusez la manière peu cavalière avec laquelle je vous accueille, madame, articula-t-il, mais, le froid…
La femme recula et s’installa dans un fauteuil voisin. Elle ne le lâchait pas des yeux. Auguste la regardait entre ses doigts et ne savait pas trop quoi lire sur son expression. De la colère ? De l’inquiétude ? Du remord ? De l’impassibilité totale ? Il n’en avait aucune idée.
- Alors pourquoi êtes-vous sorti ? demanda-elle gentiment.
Il soupira.
- Pour Lison. Elle n’était pas venue depuis (il toussa) depuis quatre jours, et elle n’a jamais été autant absente. Elle ne manquait jamais une seule de nos rencontres, vous savez ?
- Je l’ignorais totalement, à vrai dire.
- Hmf, elle va me tuer.
Le garçon avait grommelé et, ne s’étant pas attendu à ce qu’elle l’entende, il sursauta quand la mère de Lison se mit à rire.
- Hum, ma fille a en effet exprimé en propos… assez véhéments à quel point vous avez été inconséquent, et ignorant des risques, et complètement tête brûlée.
Auguste sentit un sourire amusé monter à ses lèvres. Ca ressemblait bien à Lison en effet. Elle n’avait jamais fait dans la demi-mesure. Il ouvrit prudemment un oeil.
- Lison ne doit donc pas être trop gravement atteinte ? se hasarda-t-il, sa voix laissant transparaître un filet d’espoir.
La mère de la jeune fille eut enfin un sourire pour la première fois.
- Elle est malade comme pas possible, mais plus têtue qu’une mule et bornée qu’un âne, alors pensez-vous…
Elle fronça légèrement les sourcils, l’air incertain.
- Excusez mon langage. Je n’ai pas l’habitude de...
Auguste agita sa main libre.
- Laissez, ce n’est rien de grave.
La femme passa la langue sur ses lèvres, comme si elle hésitait à parler. Le garçon ôta enfin les derniers doigts de ses paupières. La chaleur de l’air ambiant le heurta mais il se sentait mieux. Il inspira doucement, tâchant de ne pas respirer profondément, et ses poumons ne rechignèrent pas trop. Il chaussa ses lunettes, croisa ses jambes en s’enfonça plus loin dans le fauteuil. Il planta son regard dans celui de sa compagne inattendue. Elle paraissait se retenir de parler. En réalité, il lui sembla qu’elle était en train de se mordre la langue, comme Lison le faisait lorsqu’elle hésitait à aborder un sujet délicat.
- Si vous voulez dire quelque chose, je vous en prie, madame, dites.
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