Semaine 27.1 - Le conte dont la Mère Noël est l'héroïne

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Il était une fois, dans un pays lointain mais à une époque pas si vieille, le Père Noël. A peine deux mois avant les fêtes, il tomba gravement malade. La base polaire entra alors dans la plus grande effervescence, car si le maître des lieux venait à mourir, la magie entière de Noël disparaîtrait. Le vieil homme s’alita, les meilleurs lutins médecins furent consultés, et ils décrétèrent qu’il était atteint une grippe de non-croyance : trop peu d’humains croyaient en lui, et cela le tuait à petit feu. L’unique remède serait de lui apporter un disciple à la foi incommensurable.

Dès lors, on put voir des lutins désœuvrés errer tels des âmes en peine dans les longs couloirs de la base tandis que d’autres avaient décidé de se plonger dans un travail toujours plus intense. Les lumières, sensibles aux humeurs des occupants, brillaient bien moins vivement et les machines elles-mêmes tournaient au ralenti. La Mère Noël se désolait et ne quittait presque plus le chevet de son époux.

Elle aurait voulu trouver cet humain salvateur, mais savait que les croyances étaient bien trop faibles désormais pour lui assurer le succès de cette recherche et elle préférait profiter des derniers moments de son si ancien compagnon. Elle lui chuchotait des souvenirs au creux de l’oreille, serrait sa main décharnée quand il dormait ou n’avait pas la force d’ouvrir les yeux. Chaque matin, elle brossait avec soin ses cheveux et sa barbe d’une blancheur absolue.

Un matin, quelques jours plus tard, un bruit de chaîne dans le couloir la tira d’un mauvais rêve. Elle se redressa vivement, un peu honteuse de s’être endormie, puis vérifia que le Père Noël respirait toujours avant de se tourner en direction de la porte. Le son approchait. Les lourds pas claquaient sur les sols de parquet et de temps à autre, un rire un peu sinistre retentissait. La poignée tourna lentement et la porte s’ouvrit.

Dans l'embrasure se tenait un grand homme visiblement maigre malgré ses amples vêtements miteux. Son visage était en grande partie caché par une barbe sale mal entretenue, des cheveux gras et un large chapeau, mais son regard perçait ces rideaux avec la force d’un pic de glace. Le nouvel arrivant hocha légèrement la tête pour saluer la Mère Noël alors que son attention était déjà toute entière tournée vers le malade. Il posa son fouet et ses chaînes au pied du lit puis attrapa la main tremblante que tendait le Père Noël. Il la serra.

- Bonjour Nicolas, on m’a dit que tu étais malade, c’est quoi cette histoire ?

Sa voix était étonnamment douce et un petit sourire se devinait sous son imposante pilosité. Le Père Noël se redressa légèrement, adressant un regard reconnaissant à son épouse quand elle l’aida. Un rire s’échappa d’entre ses lèvres, très vite coupé par une toux.

- Tu m’avais manqué, Rudolph, fit-il enfin, la voix cassée. Je commençais à penser que tu ne viendrais pas.

L’homme à ses côtés sourit, resserrant encore son étreinte.

- Bah voyons, tu croyais vraiment que je ne profiterais pas de cette magnifique opportunité que tu m’offres ? Avec ce qui t’arrive, je vais pouvoir te vanner pour quelques siècles !

Le Père Noël émit un rire faible. L’inquiétude se lisait dans le regard du nouvel arrivant, bien qu’il se forçât à exprimer une mine joyeuse. La Mère Noël se pinça les lèvres, ne voulant pas s’interposer dans leurs retrouvailles.

- Bon alors, Nicolas, je vais changer, on en parlera plus tard ?

Comme le vieil homme hochait la tête, l’air visiblement fatigué par ces maigres efforts, il recula. La Mère Noël aida son époux à se recoucher, monta la couverture jusque sous son cou et l’embrassa sur le front avant de se détourner. En quittant la pièce, elle éteignit la lumière, observant un elfe prendre la relève dans la surveillance du chef du pôle.

Dans les couloirs, les chaînes de l’homme grinçait un peu. Ils s’arrêtèrent devant une porte quelconque, en bois massif et orné de motifs festifs.

- Je t’attends dans le petit salon, Rudolph, intervint la Mère Noël.

Il opina, l’air absent, mais alors qu’il allait disparaître derrière le battant, elle attrapa sa main et la serra.

- Je suis contente que tu sois là.

Sa voix avait un tel accent de vérité qu’il ne put s’empêcher de lui sourire tristement. La porte se ferma dans son dos. Un peu plus tard, pendant qu’elle tricotait un pull étrangement grand, la Mère Noël leva la tête en entendant le fauteuil grincer en face d’elle : Rudolph venait de s’asseoir. Elle termina son rang puis mit son ouvrage de côté.

- C’est le paradis de pouvoir ôter mes vêtements crasseux, tu peux me croire, mais je suis venu directement après le travail, je ne voulais pas faire attendre Nicolas.

Il était vrai que la douche l’avait métamorphosé. Ses cheveux étaient propres, retenus en arrière par un fin cordon dans la nuque, et sa barbe soigneusement brossée reposait sur un tee-shirt blanc. Un jean complétait sa tenue tandis que son fouet pendait négligemment dans son dos. Ses yeux très bleus n’avaient rien perdu de leur vivacité mais une nouvelle bonté s’y était ajoutée.

La Mère Noël sourit.

- C’est bien normal, ne t’en fais pas.

Rudolph s’enfonça dans le siège.

- Pfiou, c’est épuisant d’effrayer les enfants. Je me dis souvent que Nicolas a hérité du job facile à côté du mien, mais notre père avait raison, il aurait été un désastre en tant que Père Fouettard.

Il attrapa un biscuit sur la petite table à côté de lui, mordant à pleine dent dedans.

- Hum, c’est un délice, comme toujours, Dulce.

Il prononçait par taquinerie son prénom doulss, au lieu de doultché, mais cela n’embêtait pas la Mère Noël, qui aimait beaucoup son beau-frère. Elle sourit.

- Sens-toi libre d’en manger autant que tu veux, les lutins ne tolèrent pas le sucre et Nicolas ne peut plus en ingérer.

Le visage de Rudolph devint brusquement bien plus sérieux. Il se pencha en avant, les coudes sur les genoux.

- Comment va-t-il ? Que disent les médecins ?

Dulce lui résuma en quelques mots la situation, et la mine de l’homme s’assombrit encore. Il déglutit sa bouchée, ôtant sans vraiment faire attention quelques miettes tombées sur sa barbe.

- Maudit soit Nicolas ! Ce sont toujours les bons qui partent... Nous, les mauvais, même si on croit pas en nous, nous survivons mais les bons comme Nico… Les bons comme Nico ont besoin des humains.

Il siffla entre les dents, énervés, puis frappa contre l’accoudoir de son fauteuil. La Mère Noël l’observa, attristée. Il avait raison, bien sûr, et elle s’en désolait. Le silence revenait quand un lutin pressé pénétra dans la pièce, la mine surexcitée. Il tenait contre lui un calepin rouge et blanc. Un grand sourire, le premier visible dans la base depuis plusieurs jours, était collé à ses lèvres. Il s’inclina légèrement devant le Père Fouettard, plus profondément devant la Mère Noël, son bonnet manquant de glisser par dessus sa tête tant il était excité.

- On a trouvé ! piailla-t-il, la voix sur-aiguë.

Dulce et Rudolph échangèrent un regard confus. L’intervenant, comprenant que le sens de sa phrase n’était pas suffisamment explicite, reprit sans perdre de son enthousiasme :

- On a trouvé le remède pour Père Noël !

Ils bondirent sur leurs pieds, soudainement électrisés par la pensée qu’il pourrait être sauvé. Le lutin décolla son calepin de son torse et souleva quelques papiers avant de trouver celui qui les intéressait.

- On cherche depuis le début une foi suffisamment puissante mais jusqu’à présent rien n’était assez, mais c’est bon, on a trouvé ! Les médecins sont catégoriques : il fera l’affaire. Il s’appelle Jackson Williams, a trente-trois ans et réside au 15, boulevard des Frances, Sidney, Australie. Sa foi est importante, je ne sais pas comment nous avons pu la manquer, d’autant plus qu’il est adulte !

Sa voix craqua un peu sur ce dernier mot. Il est vrai que cela était rare, d’autant plus par ces temps-ci, qu’un adulte croit encore au Père Noël. Au bord des larmes, la Mère Noël porta une main à ses lèvres et se laissa tomber sur son fauteuil. Craignant qu’elle ne soit mal, Rudolph s’approcha d’elle mais elle le rassura d’un regard mouillé. Ce n’était qu’un soulagement intense.

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