Semaine 32.2 - Car un marché est un marché

5 minutes de lecture

Un enfant. Tient-il là la clé de la compagnie ? Un bébé qui grandira avec lui, qui ne sera pas dégoûté de son apparence car habitué, un petit à qui il pourra raconter ces histoires qu’il imagine le soir, à qui il pourra transmettre son savoir faire ? Serait-ce enfin la fin de sa solitude ?

Il jette un coup d’oeil à la fille endormie. Le prix est cher à payer pour ce troisième jour de filage, il le sait, mais il ne peut rien y faire. Et puis, elle a promis de combler la moindre de ses volontés, il aurait pu se montrer plus capricieux. Voire même, il aurait pu demander le royaume dont elle sera reine demain ! Non, cela aurait été idiot, le nain n’a aucune ambition de la sorte et ne veut rien de plus qu’une vie paisible. Obtenir un petit compagnon lui suffira bien largement.

Le matin arrive et la paille a à nouveau disparu, remplacée par cet or que le roi aime tant. Le nain se courbe devant l’enfant à moitié réveillée, lui rappelant sa promesse. Alors qu’elle hoche la tête, elle frotte ses yeux éblouis par le lumineux matériau. Le nain s’évanouit dans l’air, aussi discrètement qu’il est arrivé.

A peine trois mois plus tard, la nouvelle de la grossesse de la reine lui parvient. Le coeur joyeux, il arrange sa cave du mieux qu’il le peu ; un petit ne peut décemment pas grandir dans un environnement si peu décent. Lavé de fond en comble, frotté, lissé, re-meublé, l’endroit est aussi accueillant qu’un cocon de chaleur. L’année passée, l’enfant nait aux premiers redoux.

Le nain inspire profondément. Il est temps de rencontrer son futur. Paupières closes, il tourne une fois sur lui-même puis apparaît au milieu de l’anti-chambre de la reine. Elle dort dans son lit, la pièce désertée par les servantes. Un berceau a été déplacé à sa portée. Avançant sur la pointe des pieds pour ne perturber le repos d’aucun, le nain s’approche du petit lit et regarde l’enfançon avec curiosité. Il est si beau, si délicat ! Un peu rose et frippé par la naissance, avec un visage tendre et des poings serrés dans le sommeil. Le nain tend un doigt pour frôler la joue ronde et si douce.

- Bonjour toi, dit-il tout doucement dans un souffle.

Deux mains attrapent brusquement le bébé et le colle à la poitrine de la reine. Ses cheveux sont en bataille et ses yeux écarquillés par la panique.

- Que voulez-vous ? Attention je vais crier et avertir les gardes !

Sa voix est stridente. Le nain lui présente ses paumes ouvertes, mais le geste apaisant n’a aucun effet.

- Je suis venu chercher ma part du marché, petite.

Dans les yeux de la reine le nain peut lire la compréhension. Bien, elle se souvient enfin. Elle va donc tenir sa promesse, comme toute personne d’honneur se doit d’agir, et lui confier l’enfant. Au contraire, la reine recule plus encore dans son lit. Le bébé commence à se réveiller, gêné par l’étreinte de sa mère.

- Pas mon enfant ! gémit-elle. Tout sauf mon enfant !

- Un marché est un marché, et c’est ton premier né que tu m’as promis en l’échange de ta vie, lui rappelle-t-il.

- Mais je ne savais pas ! J’étais prête à tout promettre, cela ne voulait rien dire, ce n’était que des mots, je ne savais, je n’avais pas réfléchi !

Le nain est passablement irrité. Non mais quel est le problème avec ces foutus humains ? Une promesse est une promesse, et qu’importe si plus tard on la regrette : elle a été passée ! Il avale cependant sa salive, tournant sa langue dans sa bouche pour éviter de répliquer avec violence. Elle n’est qu’une enfant elle-même, après tout. Les circonstances ont fait d’elle une reine, il a fait d’elle une reine, mais elle reste une enfant. Et il a pitié d’elle.

Le nain soupire.

- Bien. Je te laisse une nouvelle chance. Si tu parviens à deviner mon nom, tu pourras garder ton bébé.

Les yeux de la jeune fille s’emplisse d’espoir. Elle rechigne cependant :

- Donne-moi trois jours, je ne peux pas trouver instantanément, ce n’est pas juste.

Pas juste ? Le nain retient un nouvel excès de colère. Quelle impertinente ! Se reprenant, il lui accorde pourtant le délai demandé et disparaît.

Le lendemain, la reine ne devine pas la bonne réponse, ni le surlendemain. Elle envoie des messagers aux quatre coins du royaume tâchant de découvrir le moindre des noms possibles, mais ce n’est pas suffisant. Au soir, le nain sautille autour de son feu, heureux par avance de sa nouvelle compagnie. Ses bras virevoltent autour de lui, ses mains dansant dans l’air au-dessus de sa tête. Sa voix un peu grave monte et descend au rythme des mots. Il chante. La mélodie lui est si familière qu’il ne réfléchit plus aux mots, il chante sa vie, il chante sa mort, ses envies, ses attentes. Il chante, tout simplement.

Un craquement derrière lui le fait se retourner, mais il n’y a déjà plus personne et le temps qu’il sorte de la cave l’intru s’est évanoui dans la nature. Un frisson court dans son dos : c’est mauvais signe, l’instinct ne se trompe jamais. Le coeur battant, il rejoint le château pour la dernière séance avec la reine. Son visage est apaisé, malgré l’échéance à sa porte, et le nain a un mauvais pressentiment. Elle sait, lui souffle toutes les cellules de son corps.

Serrant son enfant contre son sein, la jeune fille commence :

- Ton nom serait-il Pierre ?

- Non.

- Paul ?

Elle joue avec lui. Elle lui a déjà proposé ces noms, elle sait qu’ils ne conviennent pas, elle joue avec lui. Elle sait. Une goutte de sueur coule dans le cou du nain. Le bébé bouge légèrement sur les genoux de sa mère, cherchant une position un peu plus confortable avant de se rendormir promptement.

- Non.

Un sourire anime les lèvres de la reine.

- Et, par hasard, ton nom ne serait-il… Rumplestiltskin ? Quel étrange nom, tu ne trouves pas ?

Elle s’amuse en plus ! Le nain rougit sous l’effet de l’irritation. Elle a gagné et elle le sait. Elle gardera l’enfant, maudite soit-elle ! Il est tenté de lui arracher le petit des bras et de disparaître avec ; il est doué pour ne pas être vu, quand il le veut, mais ce ne serait pas juste. Elle a deviné, et un marché est un marché, lui ne faillira pas à sa promesse. Maudite soit cette reine sans parole !

Claquant le talon contre le sol avec furie, le nain s’évanouit en laissant derrière lui la jeune fille fière de son tour, ravie de conserver et sa vie et son enfant.

Le nain ne fut jamais revu. Si la reine commença à régulièrement trouver du crottin dans son lit, il n’approcha cependant jamais le petit.

Car un marché est un marché, et Rumplestiltskin était un nain de parole.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jo March ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0